Il se passa près d'une heure avant que Kahu ne revienne vraiment à lui. Son immobilité effrayante se dissipa peu à peu jusqu'à ce qu'il cligne les yeux, l'air complètement perdu. Heureusement, la clinique disposait de tout le matériel médical nécessaire à soutenir sa respiration jusqu'à ce que tout le venin dans son organisme soit expulsé. Il était encore pâle et un peu hagard, mais au moins il était tiré d'affaire. Assis sur une chaise tout près du bassin, Malaki fut le premier à le voir remuer un peu et il se dépêcha d'aller prévenir Martha qui travaillait dans la pièce d'à côté. Ses jambes lui faisaient mal, l'obligeant à marcher plus lentement qu'il l'aurait voulu, mais heureusement il n'y avait pas loin à aller et la soigneuse se précipita aussitôt près du bassin.
— Tu nous as fait une belle frayeur, remarqua-t-elle en serrant Kahu en le serrant dans ses bras. Si Malaki n'avait pas réagi aussi vite, on te perdait.
— Que s'est-il passé ? croassa Kahu.
Depuis les bras de Martha, il chercha le regard de Malaki qui vint s'agenouiller auprès de lui pour prendre sa main dans la sienne et la serrer doucement avec un faible sourire, exactement comme l'avait fait le soigneur à bord de la Nausicaa.
— Tu as dû effrayer une pieuvre à anneaux bleus et elle t'a mordu à la caudale, cequi t'a complètement paralysé, de la queue à la tête. Tu as eu de la chance de ne pas être un humain, tu aurais pu y rester.
— Je ne l'ai même pas vue, j'ai aucune idée de ce qui a bien pu la provoquer. Dorénavant je ferais beaucoup plus attention en m'occupant des pieuvres.
En dépit de son état, il parvint à ponctuer sa phrase d'un clin d'œil canaille qui tira un petit rire soulagé à Malaki. L'alerte était passée, Kahu était bien réveillé et fidèle à lui-même, l'inquiétude résiduelle disparaîtrait peu à peu. De toute manière, cela faisait partie des risques du métier de sauveteur, tout comme l'avait été l'accident de Malaki avec l'épave. C'était seulement effrayant d'être passé si près d'une catastrophe, sans aucun signe avant-coureur.
— Mele et Caden se sont occupés de tes tâches de la soirée, annonça Davy en les rejoignant. Toi, tu es en congé jusqu'à nouvel ordre, alors tu vas nous faire le plaisir de rentrer chez toi et de te reposer un peu. Malaki, je te le confie. Assure toi qu'il ne s'en aille pas crapahuter à droite et à gauche dans son état. Il faut qu'il dorme, et qu'il essaie de manger un peu aussi.
— Je ne me sens pas vraiment capable de courir, avoua Kahu. Ni même de nager, à vrai dire. J'ai l'impression que tout mon corps ne répond pas à l'appel.
— Raison de plus pour ne pas t'agiter. Et ça vaut aussi pour toi, Malaki. Tes points de suture ne sont pas encore prêts à être retirés, ne va pas te blesser à nouveau alors que tu es en si bonne voie de guérison. Courir dans les escaliers et nager comme un humain n'a pas arrangé les choses, tu as eu de la chance de ne pas faire sauter les points ou te blesser davantage.
Pour être honnête, Malaki aurait risqué bien plus que de rouvrir ses blessures pour sauver Kahu, mais étant donné l'expression orageuse de Davy, il s'abstint d'en faire la remarque. À la place, il accepta sagement d'ouvrir les portes pour que Martha puisse pousser l'aquarium de transfert dans lequel se trouvait Kahu jusqu'à son appartement.
— Étant donné la dangerosité de la toxine pour l'organisme humain, mieux vaut que tu restes sous cette forme tant que ton organisme n'a pas tout expulsé, indiqua Davy. Enfin, je suppose que Malaki sait quoi faire dans cette situation, il est le seul à avoir su comment réagir. De fait, c'est lui qui va veiller sur ta tête de mule ce soir.
— Je ne me sens pas de me transformer tout de suite, de toute manière, répondit Kahu. Tout mon corps me fait mal, comme si j'étais passé à l'essoreuse à salade ou que j'avais la grippe. Je vais probablement faire la sieste dans le bassin, ou quelque chose dans ce goût-là.
Il avait l'air complètement éteint, Malaki ne l'avait jamais vu si épuisé, pas même lorsqu'il s'était réveillé à bord de la Nausicaa pour le trouver à ses côtés, luttant contre le sommeil. C'était probablement ça qui était si inquiétant, d'ailleurs. Une fois dans l'appartement de Kahu, au bord du bassin, Davy et Martha l'aidèrent à descendre leur ami dans l'eau avant que Malaki ne se transforme pour l'accompagner.
— Garde un œil sur lui, murmura Martha. Il va sûrement dormir un peu, mais après il risque de s'agiter. L'immobilité ne lui a jamais réussi.
— Je vais tâcher de l'occuper, promit-il. Au pire, j'appellerai au secours.
Elle lui expliqua rapidement comment les joindre au cas où grâce au téléphone étanche posé sur le bord du bassin, avant de le laisser s'occuper de Kahu qui dérivait un peu, trop affaibli pour nager correctement. Gentiment, Malaki le guida vers l'abri sous-marin qui se trouvait au fond du bassin et ne fut qu'à peine surpris lorsque Kahu se blottit tout contre lui, vidé de ses forces.
— Tiens moi dans tes bras, murmura-t-il. S'il te plaît.
Le cœur complètement à l'envers, Malaki l'enlaça de tous ses bras et pressa même un baiser sur son front alors que le soigneur nichait son visage contre son épaule, les yeux déjà fermés par le sommeil. Il y avait quelque chose d'incroyablement touchant à le tenir comme ça, comme Kahu l'avait tenu lors de sa première nuit dans le bassin hôpital, sans jamais lâcher sa main. Éprouvé par sa mésaventure, le sauveteur était pâle, sa peau cuivrée aussi grise que de la cendre, et il avait l'air inquiet, même dans son sommeil. Mais il faisait confiance à Malaki pour le soutenir et le protéger, et la pieuvre en avait le cœur serré. Tout doucement, pour apaiser la ride d'inquiétude sur son front, il se mit à fredonner une berceuse, racontant l'histoire du diamant des profondeurs, et de la sirène qui l'avait trouvé.

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Odysseis (1&2)
FantastiqueKahurangi est une sirène, mais pas que. Depuis quelques années, il travaille comme soigneur animalier au parc Odysseis qui recueille et protège des animaux marins blessés ou en danger. Il adore son travail, apprécie sincèrement ses collègues, et n'h...