28. Ethnic

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À la fin de son spectacle, Kahu fut bien content de laisser Malaki s'occuper des pieuvres à sa place. Sa mésaventure de la semaine passée l'avait un peu refroidi, pas au point de fuir les pieuvres, mais suffisamment pour qu'il y réfléchisse à deux fois avant de descendre dans leur bassin. Avoir quelqu'un pour le faire à sa place sans le moindre danger lui convenait parfaitement, d'autant que ça lui permettait de regarder Malaki évoluer dans l'eau avec une semi-combinaison.

Parce que les vitres du bassin donnaient sur les couloirs des visiteurs, il était trop risqué pour lui de descendre avec ses tentacules qui ne pouvaient pas passer pour un costume. Ce qui laissait quand même largement de quoi se rincer l'œil, puisqu'il était torse nu avec seulement un bas de combinaison et des palmes. D'ailleurs, Kahu n'était pas le seul à admirer la vue, s'il en croyait les gloussements qui s'élevaient dans son dos. Il pouvait parfaitement les comprendre, il ne parvenait pas à détourner les yeux de ces muscles puissants qui roulaient sous la peau pâle et de ce visage aux traits forts dont l'expression était si douce. Et maintenant qu'il savait exactement quel était le goût de ces lèvres souriantes, c'était encore plus difficile de ne pas les dévorer du regard.

Et peut-être que Malaki avait entendu les gloussements aussi, ou bien il avait aperçu du mouvement, parce qu'il leva la tête dans leur direction et sourit avant d'envoyer un baiser plein de bulles dans leur direction. Les jeunes femmes derrière Kahu n'en gloussèrent de plus belle, ce qui l'arrangea bien parce qu'ainsi personne ne l'entendit faire de même. Puis Malaki fit un léger mouvement de tête pour indiquer la surface et il hocha la tête en souriant avant de se faufiler dans les couloirs du personnel pour grimper à l'étage qui donnait sur le bord du bassin. Son ami était en train de sortir son matériel de l'eau, encore à moitié immergé.

— Tu as du succès, déclara-t-il en s'accroupissant à sa hauteur. Ces pauvres filles étaient écarlates.

— Tu devrais voir le public lorsque tu fais tes spectacles, répliqua Mele qui se trouvait à proximité pour aider Malaki. Je suis certaine qu'une partie de ces gens ne vient que pour te mater et se fiche complètement des pensionnaires du parc. C'est l'avantage des sirènes, je suppose, vous êtes tellement... décoratifs.

Malaki se mit à rire alors que Kahu l'aidait à se hisser sur le bord du bassin, non sans inspecter son torse au passage, bien content d'avoir une excellente excuse pour le toucher. L'horrible contusion des premiers jours avait presque disparu, ne laissant qu'une trace violette à peine plus foncée que sa peau. Quant aux points de suture, ils n'étaient pas visibles avec la combinaison qui les recouvrait, mais Kahu savait très bien qu'ils ne seraient bientôt plus nécessaires.

— Il est plus décoratif que moi, s'amusa Malaki en pointant du doigt les tatouages de Kahu. Avec tous ces motifs, ça attire le regard.

Pour s'amuser, Kahu plia les bras, histoire de faire bouger les muscles sous sa peau et mettre en relief les tatouages qui le recouvraient depuis les poignets jusqu'au milieu du torse, rappelant ceux qui couraient le long de ses jambes jusqu'à ses pieds.

— J'ai toujours été fascinée par le fait qu'ils se voient même sur ses écailles, avoua Mele. Avant de le rencontrer, je n'imaginais pas que les sirènes puissent se faire des tatouages. Maintenant je serais plutôt surprise de voir que toi tu n'en as pas.

— C'est une sorte de concours de circonstance, expliqua Malaki. La plupart des pieuvres ont des tatouages, mais je n'ai jamais eu l'occasion de m'en faire un. Enfin... maintenant que j'ai survécu de peu à la mort, je suppose que ça peut être un bon motif. J'ai tatoué ma sœur lorsqu'elle a accouché de sa petite Kalei. Mais je ne sais pas s'il en va de même dans le banc de Kahu.

— Expliquez-moi comment ça marche, demanda Mele en s'asseyant à leurs côtés. Je suis super curieuse maintenant.

Comme ils avaient un peu de temps libre, Kahu aida Malaki à s'installer plus confortablement, puis ils entreprirent de détailler les tatouages traditionnels de leurs bancs d'origine. Chez les pieuvres, chaque tatouage marquait un moment qui changeait la vie de son porteur, raison pour laquelle Malaki n'en avait pas encore, parce qu'il n'était pas marié, n'avait pas d'enfant, et venait seulement de frôler la mort.

— Là d'où je viens, c'est un peu différent, enchaîna Kahu. Les formes sur mes jambes symbolisent mes écailles. On les reçoit après notre première visite à la surface, lorsque l'on a des jambes pour la première fois. C'est censé aider à canaliser la douleur du changement. Toute la famille aide à leur réalisation, c'est très douloureux mais ça fait partie du rituel. Les autres sur mes bras et mon torse symbolisent d'autres passages importants. Quand j'ai décidé d'aller vivre en grande partie à la surface, j'ai demandé à mon frère de réaliser ce motif pour rappeler que je faisais toujours partie du banc et que je ne les oubliais pas. La raie sur mon épaule rappelle le premier sauvetage auquel j'ai participé. Et ainsi de suite. Quant à la bande qui tourne autour de mon avant-bras, chaque soleil qui s'y trouve représente l'un d'entre vous. Toi, Caden, Martha, Davy...

Chaque fois qu'il retournait dans son banc, il revenait avec un ou deux tatouages en plus, des motifs assez petits pour recouvrir lentement sa peau, et il sourit de voir l'émotion que cela suscitait chez Mele.

— Est-ce que tu en feras un pour Malaki ? demanda-t-elle.

— Bien sûr ! rit-il. Je vois bien un tentacule enroulé autour de mon poignet, quelque chose comme ça.

Avec toute la symbolique traditionnelle et ethnique des tatouages, il voulait conserver sur son corps une trace de la chance incroyable qu'il avait eue de pouvoir arriver à temps pour sauver Malaki, et de la douceur des jours qu'ils avaient passé ensemble. Même s'ils se séparaient pour ne jamais se revoir, il serait heureux de garder ce souvenir parmi les moments les plus importants de sa vie.

— Nous en ferons un ensemble alors, décida Malaki. Ce qui m'est arrivé ces derniers jours est une excellente raison pour un premier tatouage. Et ça me plairait bien d'en avoir un en commun avec toi.

Charmé, Kahu mit une seconde à réaliser que cela impliquait une prochaine rencontre, que Malaki comptait le revoir dans un futur relativement proche. Peut-être à Odysseis, peut-être dans la cité où résidait son banc, peu importait en vérité du moment qu'il était question de se retrouver.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant