13. Cyberpunk

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Au final, Malaki passa deux nuits de plus dans le bassin hôpital, le temps que la plupart de ses blessures guérissent. Il s'était attendu à ce que Kahu le laisse seul pour rentrer chez lui à un moment donné, mais le sauveteur n'avait même pas évoqué cette possibilité et s'était contenté de rester avec lui comme s'il n'y avait nulle part où il aurait préféré être. Les rares fois où il s'était absenté, un de ses collègues avait pris le relais, souvent Mele, parfois Caden. Ce dernier était d'ailleurs passé dans la matinée pour lui annoncer qu'il avait transmis un message à son ancien amant, un certain Berhan qui vivait dans la même colonie que sa sœur. Savoir qu'elle serait bientôt rassurée sur son sort lui avait ôté un poids et il se sentait bien plus serein. À ceci près qu'il commençait à s'en vouloir de monopoliser le bassin hôpital alors qu'il allait beaucoup mieux. Et il tournait un peu en rond.

— Tant que tu as encore des points de suture et des blessures pas tout à fait cicatrisées, je te laisse pas repartir d'ici, déclara fermement Kahu lorsqu'il lui en parla. Ça ne servirait à rien de t'avoir sauvé et soigné si c'est pour te rendre à l'océan avant que tu sois rétabli, tu ne ferais que te blesser plus gravement encore.

— Mais je ne peux pas rester là indéfiniment ! Vous avez besoin du bassin hôpital pour d'autres patients, et tu as sûrement mieux à faire que veiller sur moi toute la journée.

Loin de s'agacer, Kahu se contenta de sourire avec son habituel calme amusé et confiant, battant lentement des jambes dans l'eau du bassin au bord duquel il s'était assis.

— Alors, oui, oui et non. Tu ne vas pas rester ici indéfiniment, juste une petite semaine, pas beaucoup plus je pense. Et en effet, nous allons avoir besoin du bassin au bout d'un moment. Mais ça ne veut pas dire qu'on va te ranger dans un bocal, et je te promets que que rester avec toi est la chose la plus intéressante que j'ai à faire. Si je peux te confier un secret, les autres auraient bien aimé me remplacer, mais manque de bol pour eux je suis une sirène donc je peux te tenir compagnie jour et nuit, alors que eux, non. Et je préfère vraiment être ici avec toi que tout seul chez moi.

Son sourire complice et son clin d'œil donnèrent à Malaki l'impression que la houle s'était levée dans son cœur, ce qu'il n'était pas certain d'apprécier. C'était déjà bien assez effrayant de se laisser charmer par la personnalité solaire de Kahu, il ne voulait pas en plus commencer à avoir des palpitations quand il souriait comme ça.

— Mais si ça te convient, à partir de ce soir, on va t'installer chez moi, continua le sauveteur. C'est aussi confortable que le bassin hôpital, sinon plus. Et tu ne culpabiliseras plus à l'idée de prendre la place d'un autre blessé, parce que j'ai une chambre d'ami qui est... eh bien exactement faite pour ça. Tu passeras du statut de pensionnaire à celui d'invité, ce qui est un plus, et les lieux seront moins impersonnels. Par contre... est-ce que tu te sens capable de changer, ou c'est encore trop tôt ?

Cela faisait un moment que Malaki n'avait pas troqué ses tentacules contre une simple paire de jambes, et il avait toujours un peu de mal au début, parce que passer de huit membres à deux demandait un exercice de concentration. Mais il savait faire, et il se sentait suffisamment rétabli pour tenter le coup. De toute manière, quitte à avoir mal, autant que ce soit pour une bonne raison.

— Est-ce que ça ne va pas poser problème avec les points de suture ? s'inquiéta-t-il quand même.

— Non, ne t'en fais pas. Ils vont simplement se retrouver quelque part sur l'une de tes jambes. Ce sera peut-être même plus facile de te soigner comme ça... Est-ce que tu as besoin d'aide pour te déconcentrer ?

Malaki savait qu'il lui offrait de l'embrasser, la méthode la plus courante et la plus facile pour penser à autre chose, cependant il n'était pas certain de résister à cet attrait donc il secoua fermement la tête et se concentra pour changer. Ce fut douloureux, mais moins que ses blessures, et en un instant il avait des jambes et se sentait beaucoup plus léger. Gentiment, Kahu l'aida à sortir du bassin et le soutint jusqu'à ce qu'il tienne debout avant d'utiliser une grande serviette pour l'aider à se sécher. Ensuite il lui tendit des vêtements semblables aux siens et attendit qu'il enfile le t-shirt avant de s'agenouiller pour lui passer le short en lui servant d'appui, une jambe après l'autre. Cela faisait une éternité que Malaki n'avait pas porté de vêtements humains et il tira un peu sur l'ourlet du t-shirt, heureux que le short n'appuie pas sur ses blessures. Une paire de tongs compléta l'ensemble, demandant un peu de concentration pour ne pas les perdre, mais rien de trop difficile.

— Tu peux marcher ? demanda encore Kahu. Sinon j'ai un fauteuil roulant.

— Si tu n'es pas trop pressé, je peux marcher. Mais je veux bien que tu restes auprès de moi si jamais je trébuche...

— Parfait ! Alors viens, je vais te faire visiter le parc !

C'était adorable de le voir rayonner de fierté, de joie et d'excitation à l'idée de lui présenter les lieux, et Malaki se retrouva à lui rendre son sourire, le bras passé sous le sien. Il était évident que Kahu était heureux de travailler à Odysseis et qu'il s'impliquait à fond dans ce qu'il y faisait. L'endroit était remarquable, moderne et spacieux, loin des affreux parcs aquatiques que Malaki avait déjà aperçus par le passé. Ici, les poissons s'épanouissaient dans d'immenses volumes, les blessés guérissaient tranquillement, et les humains apprenaient à connaître et respecter le monde marin.

La partie qu'il aima le plus fut celle réservée au personnel, dont le décor se voulait futuriste et fantaisiste, avec une salle de repos inspirée du Nautilus de Jules Verne où les murs semblaient faits de tôle avec de gros rivets et des hublots ronds qui donnaient sur l'un des bassins. Il fallait même tourner une roue pour ouvrir la porte, exactement comme ces vieux sous-marins qu'il avait explorés quelques fois, et l'immense tentacule peint sur la verrière le fit sourire. Mieux encore, la pièce de vidéo surveillance juste à côté était éclairée de néons bleus et roses que Kahu décrivit comme « cyberpunk ». Chacun des écrans montrait l'un des bassins ou bien les couloirs du parc, pour veiller à la fois sur les pensionnaires et les visiteurs, sous le regard attentif de deux gardiens qui se relayaient toutes les heures. 

Tout au long de la visite, Kahu s'adapta à son rythme lent sans chercher à le presser, conscient de ce que cela faisait de réapprendre à marcher. Chaque personne qu'ils croisèrent eurent un mot ou deux pour lui, même celles qu'il n'avait jamais rencontrées, et répondirent à toutes ses questions avec patience et surtout avec passion. C'était décidément très agréable. 

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant