Au lendemain de la nuit la plus étrange et la plus reposante de sa vie, Malaki était totalement en faveur des lits humains si délicieusement confortables. Et le petit déjeuner sur la terrasse en compagnie de Kahu ne faisait que renforcer cette nouvelle opinion.
— Je vais regarder à tes points de suture, déclara celui-ci une fois le repas rangé. Comment tu te sens ?
— Toujours endolori et engourdi, mais ça s'arrange de jour en jour. Je ne sais juste pas ce que ça fera quand je changerai à nouveau.
— On peut essayer là, si tu veux. Le bassin est safe. Et je ne dirais pas non à un petit plongeon pour bien démarrer la journée.
La proposition était tentante, toute cette étendue d'eau fraîche et bleue étincelante de soleil l'appelait de plus en plus. Sans parler de pouvoir nager réellement avec Kahu. Face à une telle perspective, ses dernières appréhension quant à la douleur du changement ne faisaient pas le poids et il offrit un large sourire au sauveteur.
— Ça me plairait bien. Je commence à me sentir un peu sec.
— Alors let's go !
Un peu maladroitement, Malaki retira ses vêtements pour se laisser glisser dans l'eau délicieusement... mouillée. À côté de lui, accroupi sur le bord, Kahu attendit patiemment qu'il amorce son changement, prêt à l'aider si jamais. La douleur fut pénible à supporter, comme toujours, mais vite éclipsée par le bonheur de pouvoir bouger huit tentacules souples au lieu de seulement deux jambes plus raides. Ravi, il remonta à la surface pour retrouver Kahu qui, évidemment, ne pouvait rien faire comme tout le monde. Au lieu de descendre tranquillement dans l'eau pour s'y transformer, le soigneur déposa ses vêtements pliés sur le hamac, recula d'un pas ou deux, puis courut à toutes jambes vers le bassin pour y plonger en criant. Le temps que les bulles se dissipent, il avait une nageoire à la place des jambes et il paraissait très content de lui.
— Frimeur ! lui lança Malaki en se sentant sourire encore plus.
— C'est comme ça que l'on m'aime, répliqua-t-il avec son immense sourire. Tu viens ?
Complètement charmé par son éternelle bonne humeur et son air canaille, Malaki oublia l'inconfort de ses blessures pour suivre Kahu vers les profondeurs du bassin. À l'écouter raconter comment ils avaient imaginé l'espace et l'avaient construit, la pieuvre faillit ne pas se rendre compte que son guide modérait son allure pour ne pas tirer sur ses tentacules blessés. Une fois encore, le sauveteur remplissait son rôle, veillant sur lui sans donner l'impression qu'être blessé le rendait maladroit ou lent. Malaki se demandait un peu ce qu'il avait pu faire comme bonne action pour que l'océan ait envoyé Kahu à son secours. Pas étonnant en tout cas qu'il soit aussi célèbre dans le monde de la surface, s'il était aussi charmant et prévenant envers chaque personne qu'il croisait.
Trois ou quatre heures plus tard, Malaki avait mal aux joues à force de sourire et il se sentait beaucoup mieux dans son corps, la plupart de ses douleurs apaisées par l'action combinée de l'eau et de la joie simple de nager avec Kahu. Le sauveteur connaissait chacun des animaux présents dans le bassin, leur avait donné un nom et pouvait raconter leur histoire, d'où ils venaient et ce qui leur était arrivé pour qu'ils se retrouvent à Odysseis. Tous ceux qui se trouvaient là étaient soit en convalescence, soit en attente d'un traitement ou d'une opération, soit incapables de retourner vivre dans l'océan. Mais aucun n'était malheureux d'être là, et Malaki doutait que qui que ce soit puisse regretter d'avoir séjourné ici.
Ils retournaient tranquillement vers le bord de la terrasse lorsque des ombres se profilèrent au-dessus de la surface, trahissant la présence des collègues de Kahu. Ce dernier se hissa facilement hors de l'eau, abandonnant sa nageoire au passage pour attraper la serviette que Caden lui tendait, visiblement habitué. Malaki eut un peu plus de mal, mais lorsqu'il put enfin respirer facilement ce fut pour voir que Caden et Kahu s'étaient agenouillés au bord pour l'aider à sortir de l'eau. Quant à Mele, elle attendait avec une autre serviette, près de ses vêtements pliés. Cramponné à la main de Kahu, Malaki reprit ses jambes et se laissa remonter, tout engourdi.
— On va manger un peu, lui promit Kahu. Tu te sentiras vite mieux. En tout cas, tu t'en sors super bien pour les changements !
Réconforté et un peu fier de se débrouiller correctement à la surface, Malaki parvint à s'habiller sans aide alors que Caden et Mele aidaient Kahu à mettre la table. Il lui semblait que les deux humains chahutaient leur ami, parce que Kahu était devenu écarlate en jetant un rapide regard dans sa direction, mais il ne maîtrisait pas assez bien les codes et les coutumes de la terre ferme pour comprendre ce qu'ils lui disaient. Par contre, c'était amusant de voir Kahu aussi embarrassé, lui qui paraissait toujours si sûr de lui. Le repas n'en fut que plus animé et joyeux, parce que Caden et Mele étaient visiblement des amis avant d'être des collègues.
— On a apporté de quoi jouer à Trap Bouteille, annonça Mele à la fin. Comme on a un peu de temps libre, on s'est dit que ça plairait peut-être à Malaki.
— C'est un jeu vidéo, expliqua Caden en voyant sa curiosité. Il est encore en développement, donc on a une version test. Le but c'est de ramasser autant de déchets en plastique dans l'océan que possible sans attraper d'animaux ou se faire piéger. Le mode multijoueur est hilarant.
Ils prirent le temps de lui expliquer comment fonctionnait la manette qu'ils lui donnèrent et comment jouer, avant de lancer une première partie « facile ». Malaki eut besoin de quelques instants pour comprendre le principe, mais ensuite son mimétisme prit le dessus, d'autant que cela ressemblait beaucoup à son métier. Il fallait être vif, avoir une bonne mémoire, et pouvoir distinguer très vite un sac en plastique d'une méduse, ou une bassine d'un poisson, ce qu'il avait appris à faire en fouillant les épaves et les restes de naufrages. Il fut donc tout à fait ravi de constater qu'il s'en sortait plutôt très bien. Tellement bien qu'il remporta la partie suivante, et même celle d'après. Ce qui ne fut pas le cas de Kahu.
— Tu vas devoir trouver autre chose pour l'impressionner, se moqua Caden en passant le bras autour des épaules de Malaki. Il est bien plus doué que toi à ce jeu-là.
Pour réponse, Kahu se contenta de lui tirer la langue, ce qui les fit tous rire aux éclats en lançant la partie suivante.
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Odysseis (1&2)
ParanormalKahurangi est une sirène, mais pas que. Depuis quelques années, il travaille comme soigneur animalier au parc Odysseis qui recueille et protège des animaux marins blessés ou en danger. Il adore son travail, apprécie sincèrement ses collègues, et n'h...