La terrasse s'avéra la partie préférée de Malaki. Il tomba immédiatement amoureux des arbres noueux qui baissaient leurs branches vers la surface bleue du bassin, de la pierre ocre chaleureusement éclairée de lumières rasante et des meubles couverts de coussins colorés installés face à l'eau. C'était le genre d'endroit où l'on avait envie de rester des heures durant, à simplement profiter de la vie sans avoir à se dépêcher. Avec la douleur sourde de ses blessures et la fatigue accumulée, Malaki rêvait de se laisser tomber dans le nid de coussins et de ne plus bouger du tout.
— Je pense qu'on a bien mérité de se poser un peu, déclara Kahu avec son éternel grand sourire. Est-ce que tu veux boire quelque chose ? Comment tu te sens ? Est-ce que tu as mal quelque part ?
— Fatigué, surtout. J'ai mal à la hanche et un peu au genou, m'asseoir me fera sans doute du bien.
— Ouais, je me doute. Je suis désolé de t'avoir fait cavaler jusque-là, tu dois être rincé. À vrai dire, je suis impressionné de voir que tuas tenu jusque-là sans te plaindre ni t'effondrer. Tu aurais dû m'arrêter avant que je ne m'éparpille autant... Si tu veux, tu peux t'installer au bord de l'eau et y tremper tes jambes. Je t'apporte quelque chose à boire et je ramène de quoi grignoter. Tu as faim comment ?
Avant même que Malaki ne puisse répondre, son estomac gargouilla, répondant à sa place. Kahu se mit à rire et lui serra l'épaule avec amitié avant de redescendre, le laissant seul sur la terrasse. Avec prudence, il s'approcha du bord pour s'y asseoir et glisser les pieds dans l'eau fraîche. À cet endroit, il était possible de plonger dans les profondeurs du bassin, ou bien de marcher simplement sur le bord avec de l'eau jusqu'aux chevilles seulement. Tranquillement, Malaki agita les pieds pour savourer la sensation et l'apaisement sur ses muscles douloureux. Il se demandait combien de temps ses blessures allaient mettre pour guérir, sans vraiment redouter de passer toute sa convalescence à Odysseis. L'endroit ressemblait à un petit paradis où il faisait définitivement bon vivre, surtout avec Kahu dans les parages.
Un mouvement coloré sur le côté, sous la surface, attira soudain son attention et il tourna la tête pour essayer de mieux voir, sans parvenir à comprendre ce qui s'approchait. Il y avait cinq ou six... objets, de couleurs différentes et de formes tout aussi diverses, et il fallut qu'ils soient vraiment à proximité pour que Malaki repère leurs pattes et reconnaisse des bernard-l'ermite. Ils n'étaient pas très grands, et en fait de coquille ils avaient tous un objet coloré qui ressemblait à un jouet d'enfant humain.
— Ah, voilà le comité d'accueil, s'amusa Kahu en revenant avec un plateau. Je te présente Bernie, Bernat, Bert, Nanar, Betty et Bern, l'équipe de choc. Je n'étais pas sûr qu'ils viendraient te voir si tôt, mais c'est une bonne chose.
— C'est toi qui leur as donné ces coquilles ?
— Yep. Je les ai trouvés dans un jerrican sur une plage, le coup classique. Un premier bernard s'est coincé dedans, n'a pas réussi à sortir et y est mort. Donc un autre l'a senti et s'est approché pour essayer sa coquille, et s'est retrouvé pris au piège à son tour, et ainsi de suite. Il y en avait une dizaine de morts dedans quand je les ai vus, je n'ai pu sauver que ceux-là.
Les bernard l'ermite n'étaient que l'une des trop nombreuses espèces à souffrir lourdement de la pollution des océans, et cette histoire tragique était malheureusement très courante. En fouillant des épaves sur les plages, Malaki avait lui-aussi trouvé son lot de cadavres et s'était toujours assuré de les retirer de ces pièges involontaires pour éviter l'effet de morts en avalanche.
— Et pourquoi ces coquilles ?
— C'était un projet avec des enfants, lors de la Journée des Océans il y a deux ans. On leur a proposé de dessiner des coquilles pour les abriter, puis de voter pour leurs préférées, qu'on a ensuite réalisées avec une imprimante 3D en plastique recyclé et non-toxique. Les enfants ont adoré l'expérience et voir les bernards s'installer dans leurs œuvres. Depuis je poste régulièrement des photos sur les réseaux sociaux pour qu'ils puissent les voir évoluer avec leurs coquilles personnalisées.
Sa fierté transparaissait dans sa voix autant que sur son visage et Malaki se sentit sourire, impressionné par tout ce que Kahu faisait pour montrer au peuple de la surface son impact sur la vie marine.
— C'est une idée géniale, approuva-t-il. Est-ce que les bernards pourront retourner dans l'océan ?
— Quand ils seront trop grands pour leurs coquilles, je leur en trouverai des « vraies » et je les relâcherai, oui. L'idée c'est que ces coquilles restent ici, pour accueillir des rescapés le temps qu'ils se remettent. Et j'imagine que nous reconduirons l'expérience avec les enfants cette année ou la suivante, ça avait vraiment plu.
Toujours aussi gracieux, à l'aise avec des jambes autant qu'avec une nageoire, il s'assit auprès de lui pour poser entre eux un plateau qui comprenait deux bouteilles de verre et des petits bols remplis de nourriture. La pieuvre commençait à se familiariser avec la plupart des aliments classiques, et avec les conseils patients de Kahu il se perfectionnait de plus en plus. Il était certain de bientôt réussir à manger comme s'il était né sur la terre ferme, et il ne se lassait pas de tous ces goûts sucrés qui s'entremêlaient. Et c'était tellement agréable de partager un repas avec un ami, les jambes dans l'eau, de donner de petits morceaux de nourriture aux bernards qui restaient à proximité, et d'écouter Kahu parler des activités qu'il avait créées pour Odysseis, qu'il en oublia un instant les élancements douloureux dans ses jambes.
C'était incroyablement facile de discuter avec Kahu, il avait le don de mettre les gens à l'aise facilement et il écoutait vraiment. Non pas que Malaki soit particulièrement bavard, mais Kahu l'avait fait parler et l'avait interrogé, prouvant qu'il faisait attention à ce qu'il lui disait. En plus de ça, Malaki avait l'impression que le sauveteur était heureux d'avoir la compagnie d'une autre sirène parmi tous ces humains. Même si la majorité de ses collègues semblait être au courant de ce qu'il était, ils restaient humains. À peu près. En tout cas, il n'y avait pas d'autre sirène dans le parc et Malaki était bêtement fier d'offrir à Kahu l'occasion de partager des anecdotes typiquement océanes, ou seulement d'expériences communes. Ça le faisait se sentir comme l'ami pour qui Kahu avait préparé la seconde chambre de sa maison, et qu'il accueillait chez lui, et moins comme un blessé endolori et effrayé de ce qui l'attendait.
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Odysseis (1&2)
ParanormalKahurangi est une sirène, mais pas que. Depuis quelques années, il travaille comme soigneur animalier au parc Odysseis qui recueille et protège des animaux marins blessés ou en danger. Il adore son travail, apprécie sincèrement ses collègues, et n'h...