09. Sealife

449 75 13
                                    

La soupe redonna des couleurs à Malaki qui n'avait plus tant l'air aux portes de la mort. Éprouvé et malade, oui, mais plus agonisant. Martha les laissa seuls pour aller aider Davy qui pilotait la Nausicaa, tout en leur rappelant à tous les deux qu'ils n'avaient qu'à appeler s'ils avaient besoin de quoi que ce soit.

— Nous devrions atteindre Odysseis dans moins d'une heure, annonça Kahu. Une fois là-bas, c'est promis, vous pourrez enfin vous reposer.

— Quel est cet endroit ? Comment se fait-il que des humains aient un bassin hôpital ?

Avec un petit rire, bien conscient que Malaki était à la fois curieux et en même temps désireux de se changer les idées, Kahu s'installa plus confortablement contre le bord du bassin pour lui répondre. La fatigue commençait à prendre le dessus sur lui, au point qu'il en était à presque s'impatienter de passer la nuit dans le bassin hôpital.

— Odysseis est un parc aquatique, expliqua-t-il. Du moins, au premier abord. En vérité c'est bien plus que ça. Nous travaillons à protéger la vie marine par tous les moyens à notre disposition. Comme vous venez de l'expérimenter, nous avons deux bateaux de patrouilles pour repérer des créatures blessées et les ramener pour les soigner. Toute notre équipe de soigneurs est formée pour s'occuper d'à peu près tout ce que l'on peut trouver de vivant dans cette partie des océans.

— Vous soignez beaucoup d'espèces ?

— Un paquet, oui ! Le bassin hôpital est destiné à recevoir les blessés en attendant de pouvoir les placer dans les autres aquariums ou de les relâcher dans l'océan. Notre dernière pensionnaire est une petite femelle requin bleu qui a été victime de pêche aux ailerons. Elle ne pourra plus jamais nager normalement, alors elle va rester à Odysseis avec d'autres requins qui ont subi le même genre de trauma. L'avantage de l'hôpital c'est qu'il est facile de gérer les paramètres de l'eau pour les adapter et éviter les risques d'infection.

— C'est vous qui vous en occupez ?

— Pas toujours, en général je suis celui qu'on appelle pour les sauvetages compliqués ou dangereux comme le vôtre, ou quand il faut passer la nuit dans le bassin avec un blessé. C'est ce qui va se passer ce soir, je vais rester avec vous jusqu'à demain, peut-être davantage. Jusqu'à ce que vous soyez en bonne voie de guérison et que nous puissions vous transférer dans un endroit moins... médical.

Ce n'était pas un gros sacrifice, il lui était arrivé plusieurs fois de dormir dans l'hôpital, mais aussi dans la plupart des aquariums assez grands pour l'accueillir sans déranger les autres pensionnaires. Passer la nuit auprès de Malaki changerait agréablement parce qu'ils pourraient discuter si jamais le sommeil les fuyait.

— Et qu'est-ce que vous faites quand vous n'êtes pas en train de secourir des créatures blessées ? releva la pieuvre avec un véritable intérêt.

— Je suis sirène de métier, rit Kahu. Je m'occupe d'une grande partie de la médiation d'Odysseis, j'ai créé plusieurs spectacles aquatiques dont le dernier a été primé au niveau mondial. Je fais en sorte que le public comprenne ce qu'on fait, l'importance de protéger les océans, de réduire la pollution et d'interdire certaines pratiques de pêche. Mon but n'est pas de changer de monde, mais d'ouvrir les yeux des gens pour qu'ils soient plus responsables. C'est un métier que j'adore, parce qu'il me permet de semer la graine des bonnes habitudes tout en restant moi-même, un peu comme un lien entre l'océan et le monde des hommes.

— C'est un noble but.

Quelque part, l'approbation et le sourire pâle et épuisé de Malaki touchèrent davantage Kahu que les félicitations d'un public qui ne comprenait pas toute l'implication de ce qu'il faisait. Peut-être que, pendant sa convalescence à Odysseis, Kahu ferait visiter le parc à la pieuvre pour mieux lui montrer ce qu'ils faisaient.

— Et vous ? demanda-t-il à son tour. Chasseur d'épave, c'est quelque chose que l'on ne voit pas si souvent que ça.

Avec un peu d'encouragement, il parvint à pousser Malaki à lui parler de ce qu'il faisait et de ses dernières trouvailles, le distrayant de son inconfort. Il apprit ainsi que la pieuvre commerçait parfois avec des humains, échangeant certaines pièces retrouvées sur des épaves contre de l'argent qu'il mettait prudemment de côté. Qui que soit la personne qui lui avait enseigné les bases du monde de la surface, Malaki avait bien retenu ses leçons et s'en servait judicieusement. 

— Je suis venu inspecter l'épave à la recherches d'objets que l'eau n'aurait pas encore abîmé, expliqua-t-il ensuite. Je sais que les épaves récentes sont souvent les plus dangereuses, parce qu'elles ne se sont pas stabilisées, mais c'est mon job, pas vrai ?

Impressionné, Kahu hocha doucement la tête, prenant subitement conscience d'à quel point ce métier était effectivement dangereux. Ce n'était pas seulement une question de fouiner dans de vieux bateaux rouillés, c'était se jouer de la mort à chaque instant parce que tout pouvait s'effondrer, ou bien l'épave pouvait se refermer comme un piège. Sans parler des dangers liés aux cargaisons.

— Je voulais aussi m'assurer qu'il n'y ait pas de survivants coincés dedans, ajouta Malaki. C'est très rare, mais ça m'est déjà arrivé. Dans ce genre de cas, je les ramène à la surface et je fais en sorte qu'ils mettent mon apparence de sirène sur le compte d'hallucinations dues à la fatigue et au manque d'oxygène. Leur cerveau se charge ensuite de se convaincre du plus plausible.

Et en général, le simple charme d'une voix de sirène suffisait à appuyer cette suggestion, comme une forme d'hypnose subtile et redoutablement efficace.

— Est-ce qu'il y avait du monde dans le bateau ? s'inquiéta Kahu à retardement.

— Non, heureusement. Je pense qu'il était vide lorsqu'il a été emporté, parce que je n'ai trouvé personne et je ne sais pas si les passagers auraient pu sortir par là où nous sommes entrés. Par acquis de conscience, j'ai vérifié vraiment partout parce que je peux me faufiler dans les plus petits recoins. Et c'est comme ça que je me suis retrouvé coincé.

L'avantage d'être une pieuvre, songea Kahu avec une pointe d'amusement. Malaki devait pouvoir se glisser à peu près n'importe où, ce qui le rendait probablement très bon dans son métier. Et le mettait d'autant plus en danger.

— Le bateau a bougé et vous a épinglé au rocher ? devina-t-il.

— Exactement. Et à essayer de me dégager, je n'ai réussi qu'à me blesser plus gravement encore. Je crois que... je crois que si vous n'étiez pas venus à mon secours, j'aurais sacrifié mon tentacule pour m'échapper. Et je me serais probablement vidé de mon sang en chemin. Vous n'imaginez pas mon soulagement lorsque j'ai vu la lumière de votre collègue et que j'ai entendu sa voix.

— Caden fait souvent cet effet-là, rit Kahu avant de redevenir sérieux. Je suis heureux que nous soyons arrivés à temps.

Trop souvent hélas, leur équipe arrivait trop tard et ne pouvait que déplorer la perte d'un animal blessé, parfois même l'un de ceux qu'ils avaient œuvré à sauver quelques mois ou années plus tôt. Mais cette fois, l'océan soit loué, ce n'avait pas été le cas et Malaki se trouvait là, bien vivant et en sécurité. C'était le plus important.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant