18. Pirate

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Il ne fallut pas longtemps à Malaki pour découvrir que Kahu était aussi généreux avec ses baisers qu'il l'était avec ses sourires, mais d'une toute autre manière. Le sauveteur possédait une vaste panoplie de sourires, qu'il distribuait sans compter à chaque personne qui croisait son chemin, depuis le léger étirement de ses lèvres jusqu'à un large sourire éclatant, en passant par le sourire en coin moqueur ou canaille, ou le sourire tout doux qu'il semblait n'adresser qu'à lui. Malaki préférait de loin ce dernier, parce qu'il lui mettait le cœur à l'envers tout en le réchauffant de l'intérieur. Il commençait à savoir assez bien interpréter chaque sourire qu'il voyait, et il était bien parti pour s'y connaître tout aussi bien au sujet de la manière dont Kahu embrassait.

Depuis la veille, il avait reçu plus de baisers qu'au cours de l'année écoulée, voire davantage. Ce qui n'était pas difficile, sachant qu'il avait été très solitaire ces derniers temps, son métier ne permettant pas vraiment d'entretenir une relation sur le long terme. Chacun des baisers de Kahu avait été comme un cadeau et un mode de communication à part entière, depuis le léger effleurement de son sourire contre le sien jusqu'à une pression un tout petit peu plus approfondie juste avant de se séparer pour aller se coucher, sans même le moindre contact d'une langue. Et ces baisers incroyablement doux quand il vérifiait la cicatrisation de ses blessures, pleins de réconforts et d'encouragement. Il y avait beaucoup de tendresse, mais aussi un peu de curiosité, de cet amusement naturel qui ne quittait jamais Kahu, et une sorte d'émerveillement que Malaki partageait sans vraiment le comprendre. Jamais le sauveteur ne l'avait embrassé en présence de ses collègues, mais c'était par respect plutôt que par embarras, et Malaki ne l'en estimait que davantage.

En une petite semaine passée à Odysseis, il n'avait pas encore trouvé de défaut à Kahu. Ou plutôt, rien de suffisamment désagréable pour devenir agaçant ou pénible. Il était parfois trop enthousiaste ou dissipé, mais ses autres qualités compensaient largement. Et Malaki ne fut qu'à peine surpris de le voir débarquer dans la salle de contrôle, affublé d'un tricorne de pirate.

— Ma proposition est validée ! s'écria-t-il. Engarde, forbans ! Nous allons pouvoir faire un parcours pour les jeunes sur le thème des pirates pour l'été ! Hissez la grand'voile !

— Génial ! s'exclama Davy en lui tapant dans la main. Tu vas être encore plus insupportable que d'habitude, mais c'est trop cool !

— Je vais réfléchir à décorer l'un des bassins, ça plaira encore plus. Les enfants vont adorer, et leurs parents aussi. Malaki, j'aurai sûrement besoin de ton aide pour déplacer des trucs et installer de la déco. Tes bras supplémentaires me seront aussi utiles que ton expérience des épaves, et ça va être TROP GÉNIAL !

Avant qu'il n'ait le temps d'acquiescer, Caden s'immisça dans la conversation en passant un bras amical autour de ses épaules pour se pencher entre eux avec l'un de ses sourires gouailleurs qui promettaient toujours des plaisanteries que Malaki ne comprenait qu'une fois sur deux.

— Fais attention à toi, l'avertit-il. Ça commence comme ça, et bientôt il te fera faire tout et n'importe quoi avec un sourire charmeur. Tu vas te retrouver à sombrer tentacules par-dessus tête pour cet irrécupérable idiot.

— C'est faux, protesta dignement Kahu. Je n'ai pas besoin d'un sourire charmeur pour faire faire n'importe quoi aux gens, d'ailleurs il suffit de te regarder, tu t'en sors très bien tout seul !

Malgré tout, ses joues avaient viré légèrement au rouge et son regard brillait, ce qui tira un sourire mi amusé mi attendri à Malaki. Il ne se lassait pas de voir l'amitié qui reliait Kahu et Caden, et la complicité qu'elle entraînait. Il l'enviait aussi un peu, sans pourtant la jalouser.

— Enfin bref, reprit Kahu. Moi j'ai du travail à faire. En plus on est mercredi, donc j'ai un spectacle à seize heures trente. Malaki, si tu cherches la compagnie de gens civilisés, tu peux venir avec moi. Je ne dirais pas non à un coup de main, et comme ça tu seras aux premières loges pour voir le spectacle en vrai, si jamais ça t'intéresse.

— Évidemment que ça m'intéresse ! Mele m'a montré les vidéos, mais en vrai ça doit être quelque chose.

En ignorant complètement ce que Caden disait dans son dos — de toute manière il ne comprenait pas la moitié de ses plaisanteries — il se hâta de suivre Kahu dans le couloir, hors de la salle de contrôle. Et lorsque son ami voulut s'excuser de Caden, Malaki lui assura en souriant que ce n'était rien, parce que, vraiment, ce n'était rien. Au contraire, il trouvait ça plus amusant que vexant, et préférait de toute manière entendre parler de cette histoire de pirates et de nouveau parcours à thème. Une fois encore, Kahu s'anima comme il le faisait chaque fois qu'il parlait de quelque chose qui lui tenait à cœur, s'égarant sur des légendes de piraterie, des idées de costume et des propositions de décor, aussi enthousiaste qu'un gamin. Son tricorne lui donnait un air étonnamment séduisant, à la fois adorablement charmant et juste ce qu'il fallait de danger pour rendre les choses intéressantes. Pris d'une envie subite, Malaki glissa sa main dans la sienne pour le faire s'arrêter et, profitant de ce qu'ils étaient dans les vestiaires à côté du grand bassin, il l'attira à lui pour l'embrasser lentement.

— Que me vaut ce plaisir ? murmura Kahu contre ses lèvres avant de revenir l'embrasser tout aussi doucement.

— Le charme du pirate. Ce tricorne te va à ravir, et tu es beau. Tes yeux brillent et tu rayonnes d'excitation.

À nouveau ce voile rouge sur les joues de Kahu, qui pressa son front contre le sien un court instant, avant de lui offrir un dernier baiser puis de reculer, sans lâcher sa main. Il ne le lâcha que pour se préparer, parce qu'il avait besoin de ses deux mains pour enfiler son costume. Et il y avait aussi quelques tâches à accomplir, ici ou là, et Malaki était heureux de se rendre utile à son tour, surtout auprès de lui. Il était impatient de voir le spectacle, bien sûr, mais il aimait tout autant pouvoir aider Kahu en retour, ne serait-ce que pour lui rendre un peu de tout ce qu'il lui avait offert. 

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant