27. Fearful

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Avec l'urgence de la nuit, Kahu ne se réveilla pas avant la fin de la matinée, et ce fut pour trouver Malaki adorablement ensommeillé à ses côtés. Comme personne ne les attendait de sitôt, il fut donc plus qu'heureux de rouler sur les draps défaits avec lui pour prendre le temps de se réveiller correctement avant de se lever pour de bon. Malaki l'aida à préparer un repas qui n'était ni tout à fait un petit déjeuner, ni tout à fait un déjeuner, désormais complètement à l'aise dans la cuisine. Une fois encore, Kahu était impressionné par son mimétisme et ses capacités d'adaptation rapide. Impressionné et un peu jaloux, aussi, parce que lui avait mis des semaines à comprendre et retenir le fonctionnement de toutes ces choses.

— Je suis désolé pour Caden, finit-il par dire par-dessus sa tasse de café. Il peut être... lourd, parfois. Même s'il ne pense pas à mal.

— Ne t'excuse pas, je comprends qu'il ait de la peine que tu ne lui aies pas parlé de nous, tout comme je comprends pourquoi tu l'as fait. Je le connais moins bien que Mele et Martha avec qui j'ai passé plus de temps, mais je pense qu'il a le cœur aussi grand que le tien et qu'il veut juste s'assurer que ses amis soient heureux. C'est une belle qualité, même si ses méthodes manquent parfois de... délicatesse. Je ne pense pas qu'il soit trop curieux, simplement tu es son meilleur ami et il est probablement peiné que tu ne lui aies pas dit plus tôt que nous nous étions autant rapprochés.

— Est-ce que ça te dérange, qu'ils sachent que nous partageons un peu plus que mon appartement ?

À présent que le secret était éventé, il craignait que Malaki ne soit mal à l'aise face à ses collègues, tout en sachant pertinemment qu'il ne pouvait pas faire machine arrière. Et à moins d'une semaine de retirer ses points de suture, il ne voulait pas gâcher le peu de temps qu'il leur restait ensemble avant que Malaki ne rentre chez lui. Ayant sans doute deviné son inquiétude, ce dernier tendit la main pour entremêler leurs doigts et lui adresser un sourire lumineux.

— Non, ça ne me gêne pas du tout ! Je pense qu'ils s'en doutaient un peu, et je n'ai ni honte ni peur d'être avec toi, bien au contraire ! J'apprécie que tu aies gardé le secret pour préserver notre intimité, mais ça ne me dérange pas pour autant qu'ils soient au courant. Je les aime bien, je sais qu'ils ne sont pas contre notre rapprochement. Je crois même qu'ils l'espéraient un peu, j'ai l'impression que Mele et Caden cherchaient un peu à me pousser vers toi, sans en être certain parce que je peine parfois à les comprendre.

Cela fit sourire Kahu, parce que lui non plus ne les comprenait pas toujours. Même s'il vivait dans le monde de la surface depuis des années, il y avait toujours des petits moments où ses collègues humains faisaient quelque chose qui le prenait complètement au dépourvu. Rassuré, il serra légèrement les doigts de Malaki, juste pour le plaisir du contact.

— Ils me font cet effet-là aussi, rit-il. En tout cas, ils apprécient tous l'aide que tu nous apportes et tu as déjà été intégré à l'équipe. Martha n'a cessé de me vanter tes mérites, Caden ne s'est jamais autant empressé à me caser avec quelqu'un, et tous ceux avec qui j'ai discuté au cours de la semaine ont eu un mot d'éloge à ton sujet. Tu as fait forte impression et je crois que tu m'as déjà remplacé dans le cœur de l'équipe...

Ce discours était un moyen à peine subtil de tester la température de l'eau, pour voir si Malaki serait tenté par la perspective de rester à Odysseis ou, en tout cas, d'y revenir même après sa guérison complète. D'ordinaire, Kahu n'était pas aussi avide d'être rassuré, mais cette fois il était vraiment terrifié à l'idée de voir son compagnon partir loin de lui et ne plus jamais recroiser son chemin, ne plus jamais avoir de ses nouvelles. Il voulait avoir la chance de pouvoir laisser le temps à leur affection de grandir un peu, et savourer plus longtemps le plaisir de sa compagnie.

— Tout le monde a été adorable avec moi, répondit Malaki en rougissant un peu. Je ne suis qu'un patient en convalescence, ou du moins c'est comme ça que j'ai commencé, et je suis vraiment heureux de pouvoir vous aider plutôt que me morfondre dans le bassin hôpital en attendant que mes blessures guérissent. Je suis un peu comme toi, l'immobilité ne m'a jamais réussi. Et c'est fascinant de travailler parmi vous, de voir tout ce que vous faites et d'avoir la chance, ne serait-ce que quelques semaines, d'y participer. Plus encore, je suis vraiment reconnaissant à l'océan qui t'a envoyé à mon secours, parce que la douceur de ce que nous partageons est comme un merveilleux trésor que je n'échangerai pour rien au monde.

C'était le moment idéal pour lui offrir de rester ou, au moins, lui demander s'il accepterait de considérer l'idée, mais Kahu fut incapable de trouver les mots, trop effrayé à l'idée de tout rater. S'il excellait dans les phrases de réconfort et la manière de rassurer les blessés, il n'était pas très doué quand il s'agissait d'obtenir la même chose pour lui. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était profiter à fond des quelques jours qu'il leur restait, puis rassembler son courage pour lui demander de revenir, avant qu'il ne parte. 

Et il pouvait aussi s'assurer de lui donner envie de rester, ou en tout cas de repasser de temps en temps pour leur rendre visite, et pour cela il savait pouvoir compter sur ses collègues, parce que personne n'avait envie de voir Malaki partir à tout jamais. C'était déjà bien assez triste lorsqu'ils disaient adieu à un pensionnaire en le relâchant dans l'océan en espérant ne jamais avoir à le sauver de nouveau, alors le voir lui s'en aller après ces quelques jours à savourer sa compagnie, ce serait difficile pour tout le monde. Kahu songeait même à prendre une semaine de congés pour s'en remettre, si jamais cela arrivait quand même.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant