Le spectacle commença à seize heures trente, dans le grand bassin près du tunnel sous-marin. Malaki avait aidé Kahu à se préparer avant d'aller se placer devant la grande vitre, encore rougissant du baiser que le sauveteur lui avait donné au moment de plonger. C'était Mele qui gérait la visite guidée du parc et elle le salua amicalement en guidant le groupe d'enfants dont elle avait la charge jusqu'aux bancs placés devant la vitre.
— Est-ce qu'on va voir la sirène ? demanda une petite fille aux grands yeux écarquillés.
— Il est trop cool ! s'écria un garçon juste derrière elle. Je l'ai déjà vu avec mes parents et il est super génial !
Amusé, Malaki croisa le regard de Mele qui lui adressa un clin d'œil complice tout en invitant les enfants à s'asseoir correctement sur les bancs. Ils vibraient tous d'excitation, ce que Malaki pouvait parfaitement comprendre. Puis la lumière du bassin changea un peu, la musique démarra, et il oublia les enfants pour regarder Kahu évoluer dans l'eau bleue, parmi les poissons.
Il était gracieux, bien sûr, mais cela ne faisait pas tout. La magie du spectacle reposait en grande partie sur la manière dont l'histoire était racontée, par la voix-off de Martha et par les évolutions de Kahu. Les animaux le suivaient naturellement, sans qu'il ait besoin de les attirer avec de la nourriture, et nageaient tout autour de lui dans un kaléidoscope de couleurs et de reflets. La musique se faisait tour à tour calme ou rythmée, ressemblant au chant d'une sirène sans tout à fait s'en approcher, et Malaki était captivé par la construction de l'histoire et sa souplesse de déroulement jusqu'au grand final impressionnant.
Après ça, Kahu s'approcha de la vitre pour saluer des enfants et faire des photos avec eux avant que Mele ne les entraîne pour la suite de leur visite. Resté parmi les poissons, Kahu lui envoya un baiser plein de bulles avec un grand sourire, que Malaki lui rendit alors que Martha le rejoignait.
— Alors, ça t'a plu ? demanda-t-elle.
— J'ai adoré ! C'est... c'est beau de voir comment il arrive à mêler l'océan et la surface.
— Tu vas pouvoir monter le lui dire en personne, , il sera enchanté desavoir que tu as aimé. Mais d'abord,il va s'occuper des pieuvres avant de remonter. Regarde, elles sont là-bas !
La mention des pieuvres intrigua Malaki qui suivit Martha sur le côté du bassin pour mieux voir. Au premier abord, il se concentra surtout sur les petites pieuvres colorées qui s'agitaient autour de Kahu, ravies de le voir. Elles tendaient leurs bras vers lui, essayant d'attraper ses mains ou ses cheveux, grimpaient sur ses épaules et s'emmêlaient un peu dans son costume. En riant, fidèle à lui-même, le sauveteur joua un peu avec elle tout en vérifiant que tout allait bien et qu'elles avaient toutes accès à la nourriture. À le voir jouer avec les pieuvres, il tomba un peu plus sous son charme et faillit ne pas remarquer son immobilité soudaine.
— Que fait-il ? s'inquiéta-t-il en regardant Martha.
— Je ne sais pas, je ne maîtrise pas bien les pieuvres. Je suppose qu'il reste immobile pour ne pas les effrayer. C'est comme...
— Non, ce n'est pas normal.
Mais comme les humains, elle avait tendance à croire qu'une sirène ne pouvait pas se noyer. Ce qui était complètement faux. Très inquiet de voir que Kahu ne bougeait vraiment plus, Malaki se précipita dans le couloir menant en haut du bassin, en dépit de ses jambes douloureuses et de ses blessures qu'il risquait de rouvrir. Une fois sur le bord, il ne perdit même pas un instant à se déshabiller ou à changer, il plongea directement dans l'eau pour nager vers Kahu. Le soigneur flottait doucement, toujours aussi bizarrement figé, la tête pendant légèrement sur le côté alors que les pieuvres continuaient à s'agiter autour de lui.
Bien conscient des grandes vitres qui les rendaient visibles à tous les visiteurs, il se dépêcha de récupérer son ami pour l'entraîner dans la partie abrité où personne ne pouvait plus les voir. Là, il put l'examiner de plus près et n'eut aucun mal à comprendre la cause de son inconscience subite : une morsure au niveau de la caudale. Très probablement causée par une pieuvre à anneaux bleus, que Kahu avait dû effrayer. Pour un humain, le venin était mortel, mais une sirène avait des chances de s'en sortir si elle était soignée rapidement. Ayant grandi parmi un grand nombre de pieuvres, enétant une lui-même, Malaki savait comment contrer les effets de leurs venins, et n'aurait eu aucun mal à guérir Kahu... si seulement ils s'étaient trouvés chez lui, ou même n'importe où dans l'océan Indien. À la surface, il lui fallait improviser et réfléchir très vite.
Parce qu'il ne pouvait pas vraiment retirer le venin, étant arrivé trop tard, il devait le neutraliser. Et il n'avait rien de mieux pour cela que son propre venin — très faible — et une vieille technique de sa colonie, utilisée en cas d'urgence. Il attrapa donc Kahu par les épaules pour l'embrasser profondément et le mordre à la langue, forçant son cœur à battre plus fort pour lutter contre la paralysie. Puis il commença à nager vers la surface, en l'entraînant avec lui pour le sortir de l'eau et appeler ses collègues à l'aide.
Martha se trouvait déjà au bord, l'air paniqué, Davy à ses côtés. À eux deux, ils eurent tôt fait de tirer Kahu hors de l'eau et de l'aider à respirer avec ses poumons tandis qu'il reprenait peu à peu conscience dans les bras de Malaki. Il eut d'abord un réflexe effrayé en tentant de se redresser, mais ses collègues le maintinrent doucement dans l'étreinte de la pieuvre.
— Tout doux, le calma Davy. Respire, tout va bien, Malaki t'a ramené. Ne bouge pas, on va te transférer à la clinique pour observation.
— Que s'est-il passé ? s'inquiéta Martha beaucoup moins calmement.
— Une pieuvre à anneaux bleus, répondit Malaki. Ne t'en fais pas, il va s'en sortir. C'est moins dangereux pour les sirènes que pour les humains. Mais il faudra vérifier que tout va bien. Et il va avoir besoin d'un peu de repos.
Avec précaution, Kahu fut déposé sur un brancard, sa longue queue repliée sur le côté, et poussé au travers des couloirs jusqu'à la clinique où on l'installa dans un petit bassin d'observation. Il était réveillé mais regardait encore dans le vide, complètement dans les vapes. Sa seule réaction aux paroles qui lui étaient adressées fut de se cramponner à la main de Malaki, sans parvenir à prononcer le moindre mot.
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Odysseis (1&2)
ParanormalKahurangi est une sirène, mais pas que. Depuis quelques années, il travaille comme soigneur animalier au parc Odysseis qui recueille et protège des animaux marins blessés ou en danger. Il adore son travail, apprécie sincèrement ses collègues, et n'h...