30. Impulsive

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À force de le redouter, Kahu ne fut même pas vraiment surpris de voir arriver le jour où il devait retirer les points de suture sur les tentacules de Malaki. Chaque matin depuis deux semaines, il inspectait soigneusement ses blessures pour vérifier leur état de guérison, et à présent il n'y avait plus rien d'autre à faire que retirer les fils et laisser les cicatrices se résorber d'elles-mêmes.

— Ça ne devrait pas faire mal, assura-t-il. Mais ce sera sans doute un peu inconfortable. Je vais y aller tout doucement, tu me dis si ça te gêne de trop ou si ça devient douloureux, je ne veux pas risquer de rouvrir la plaie.

— Je te fais confiance, sourit Malaki en s'allongeant sur les coussins de la terrasse. Tu sais ce que tu fais, je ne pense pas que quelqu'un soit plus compétent que toi pour ça. Et je sais que tu ne me feras jamais mal volontairement.

La douceur de son regard, dénué de toute crainte, ne fit que serrer un peu plus le cœur de Kahu, parce qu'il désespérait de trouver une raison solide de l'inviter à rester sans avoir à supplier. Douloureusement conscient que leur temps était compté, il se pencha pour déposer un baiser sur son sourire avant de s'installer pour retirer les fils. Cela demandait beaucoup de minutie, de patience et de délicatesse, pour être certain de ne pas en oublier ni de causer une lésion, mais Malaki avait raison en disant qu'il était compétent. C'était son job, après tout.

Durant toute l'opération, Malaki resta calmement allongé, sans même grimacer une seule fois, complètement détendu. Chaque fois que Kahu croisait son regard, il lui offrait un sourire paisible et parfois un clin d'œil. Il ne prononça pas le moindre mot, probablement de peur de le déconcentrer, et Kahu n'en savoura que davantage leur complicité qui pouvait rester muette sans en être diminuée.

— Et voilà, dit-il enfin. Comme neuf ! J'ai vérifié trois fois, je ne pense vraiment pas en avoir laissé. Tant que tu es là, je vais continuer à te mettre de la pommade pour assouplir ta peau et éviter que le tissus cicatriciel soit trop épais.

Les gestes étaient familiers désormais, il avait massé les jambes et les tentacules de Malaki suffisamment de fois au cours des derniers jours pour s'habituer à la texture de sa peau et de ses écailles. La pensée de ne peut-être plus jamais pouvoir poser les mains sur lui de cette façon lui fit si mal qu'il cessa de tourner autour du pot pour enfin se lancer, le cœur dans la gorge.

— Je pensais...

— Peut-être qu'on pourrait...

Coupé dans son élan par Malaki qui avait parlé en même temps que lui, Kahu se mit à rire doucement, ébloui par son sourire. Même si l'occasion était manquée, il trouverait un moment pour lui demander de rester, bientôt. Il ne pourrait plus tenir bien longtemps avant de craquer, de toute façon. Alors il lui fit signe de la tête, tout en continuant à étaler la pommade.

— Vas-y, je t'en prie.

— Je me disais... j'ai vraiment beaucoup aimé travailler avec vous ces derniers jours. Je n'en reviens pas de l'accueil que vous m'avez réservé et de la manière dont vous avez fait en sorte que je me sente en sécurité à Odysseis. Vous m'avez même impliqué au quotidien, probablement pour m'éviter de tourner en rond comme un poisson rouge dans un bocal, pour que je me sente un peu utile en retour. Et ça a marché, ça a tellement bien marché que je me sens un peu chez moi ici. Avec toi, je veux dire.

À présent, Kahu avait le cœur qui battait si fort qu'il résonnait entre ses oreilles, l'empêchant d'entendre tout à fait correctement ce que Malaki lui disait. Et ce dernier avait les joues un peu plus foncées, un adorable hâle alors qu'il continuait à parler, tellement plus courageux que lui.

— Je me demandais s'il serait possible de... je ne sais pas, trouver quelque chose que je pourrais faire ? Je voudrais pouvoir vous rendre un peu de tout ce que vous m'avez offert, mais en plus de ça... je crois que ça me dirait bien de faire partie de l'équipe pour de vrai, sauf que je suis chasseur d'épave et non un sauveteur, mais... il y a ces photos dont Mele parlait, et puis...

— Reste, le coupa Kahu en attrapant sa main sans plus réfléchir. Je t'en prie, je t'en supplie même, reste ! Tu fais déjà partie de l'équipe, tout le monde t'adore, moi le premier, et nous avons des tas de choses que tu pourrais faire avec ta formation. Mais j'espère un peu que tu restes aussi pour moi, parce que je ne suis pas prêt à te voir partir. Pas prêt, du tout.

La grande main qui recouvrit tendrement sa joue le fit taire, presque aussi efficacement que l'expression douce et émerveillée de Malaki.

— Oh, Kahu, comment peux-tu croire que je pourrais ne pas vouloir rester avec toi ? Tu as été merveilleux, un véritable don de l'océan, comme un trésor inespéré dans une épave. Même si j'aime énormément Odysseis et toute l'équipe, c'est surtout pour toi que je voudrais rester. Je rêve de découvrir ce que nous pouvons devenir, toi et moi, avec suffisamment de temps devant nous. Pas toi ?

Il n'y avait qu'une seule réponse possible à cette question, et Kahu avait mal aux joues à force de sourire lorsqu'il se pencha pour l'embrasser à nouveau, trop heureux pour parler. Si Malaki restait, ça voulait dire plus de temps pour laisser leur affection grandir, mais aussi une recrue de valeur pour l'équipe, et la promesse de jours incroyables à Odysseis. Il se sentait presque ivre de joie, et plus encore lorsque Malaki l'attira à lui pour le renverser sur les coussins, sans cesser de l'embrasser profondément. 

Il avait les mains poisseuses de pommade et son téléphone lui rentrait dans le bas du dos mais il s'en fichait complètement parce que ses terribles craintes des derniers jours avaient disparues et que Malaki était dans ses bras. Ou plutôt il était dans les siens, sans avoir à en partir, et ce n'était pas du tout un baiser d'adieu et c'était merveilleux et il était déjà si certain d'être en train de tomber amoureux... Il y aurait un peu d'organisation à faire, des choses à planifier, mais pour le moment il était bien trop heureux et soulagé pour avoir envie d'y réfléchir. Alors il s'essuya les mains sur son short pour pouvoir les glisser dans les cheveux de Malaki et juste savourer le bonheur de pouvoir vraiment le garder.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant