Odysseis (1&2)

26. Double (pony)Tail

Au milieu de la nuit, vers les petites heures du matin, Kahu fut réveillé en sursaut par des coups frappés à la porte de sa chambre. Le temps qu'il ouvre les yeux et s'asseye, le battant s'était ouvert pour laisser entrer Caden et la lumière allumée du couloir.

— On a besoin de toi ! s'exclama-t-il d'un ton pressant. Eeva est sur le point d'accoucher et ça se présente mal.

La femelle dauphin attendait des jumeaux et cela faisait plusieurs jours qu'ils s'attendaient à ce que la naissance survienne à tout moment. Habitué aux réveils urgents, d'autant plus qu'il savait que celui-ci ne tarderait pas, Kahu ne perdit pas un instant à rejeter ses draps pour bondir hors du lit et s'habiller en vitesse avec les vêtements qu'il gardait toujours à portée de main pour ce genre de situation. Dans son dos, il entendit Malaki faire de même sans poser la moindre question et n'y prêta pas attention, du moins jusqu'à ce qu'il remarque le regard que Caden portait sur lui.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il avec un brin d'impatience et un soupçon d'inquiétude.

— Sérieusement ? répliqua sèchement Caden. Depuis quand est-ce que vous couchez ensemble tous les deux ?

— Mec, c'est pas le moment. Eeva et ses bébés n'attendront pas que tu aies posé toutes tes questions indiscrètes. On en reparlera plus tard.

Rappelé à l'ordre, Caden leur jeta un dernier regard presque blessé avant de se détourner pour remonter le couloir au pas de course, les deux sirènes sur ses talons. Kahu s'était attendu à ce que Malaki dise quelque chose, mais il resta muet parce qu'il avait bien compris l'urgence de la situation et qu'il s'adaptait toujours si vite...

Une poignée de minutes plus tard, ils étaient devant le bassin de la nurserie où se trouvaient déjà Mele et Martha avec le reste de l'équipe de nuit. Sans perdre de temps, Kahu se déshabilla pour descendre dans l'eau et se transformer au passage, aussitôt imité par Malaki à qui il offrit un bref sourire reconnaissant. Ce serait bien plus facile d'aider Eeva s'ils étaient deux à ses côtés, surtout avec plusieurs paires de bras supplémentaires.

L'heure suivante fut éprouvante et stressante pour tout le monde. Les grossesse gémellaires étaient rares, et quand elles arrivaient elles étaient extrêmement difficiles et d'autant plus dangereuses. Les bébés étaient prématurés, donc il faudrait s'en occuper avec le plus grand soin, et la mère peinait à les mettre au monde. Il fallut toute la douceur et la patience des soigneurs pour sortir le premier petit, puis le second sans perdre personne. Au bord du bassin, les autres membres de l'équipe avaient préparé les médicaments pour Eeva, ainsi que tout le matériel destiné à s'assurer que les petits étaient en bonne santé et qu'ils s'en sortiraient.

— Tout ira bien pour eux, déclara enfin Martha avec un sourire soulagé. Quelques semaines dans le bassin couveuse et ils seront aussi forts que s'ils étaient nés à terme. Eeva s'en remettra très bien, elle aussi !

— L'équipe du matin prendra le relais, ajouta Mele en réprimant un bâillement. Tout le monde est sain et sauf, c'est le principal. Merci Malaki, huit bras supplémentaires n'étaient pas de trop, surtout avec ta délicatesse.

— Je suis désolée que tout ça t'ait réveillé, reprit Martha. Tu es en convalescence au parc, et nous on te fait travailler à n'importe quelle heure au lieu de te laisser te reposer.

Tout en enfilant son t-shirt, Kahu attendit au bord du bassin que Malaki sorte à son tour et change pour lui donner ses vêtements. Il ne manqua donc pas le sourire fatigué mais sincère qu'il adressa à Martha.

— Ne t'en fais pas pour moi, je suis heureux de pouvoir vous aider. Les dauphins viennent parfois chercher de l'aide auprès des sirènes quand ils ont un souci, ce n'est pas la première fois que je vois naître un bébé en mauvaise posture. Ceux-là ont eu de la chance de naître ici, en sécurité.

Il s'arrêta de parler pour changer, sans parvenir à cacher la grimace de douleur qui froissa son visage, et Kahu s'en voulut d'autant plus de l'avoir embarqué là-dedans. Même si Malaki était heureux d'aider, il se remettait toujours de blessures très graves, et avait besoin de sommeil. Pas de changer sans cesse entre ses tentacules et ses jambes, au risque de tirer sur ses points de suture.

— De toute manière, il aurait été difficile de ne pas le réveiller, intervint Caden en se laissant tomber près d'eux. J'ai débarqué dans la chambre comme une fanfare. Désolé pour ça, d'ailleurs.

— C'est normal, le tranquillisa Kahu. Les urgences sont des situations exceptionnelles, avec des mesures exceptionnelles. Et c'est pour ça que j'habite sur le parc et que jene ferme jamais à clef. On dormira mieux demain.

— Mais pourquoi avoir réveillé Malaki aussi ? s'étonna Martha avec un bâillement.

La question provoqua un rapide échange de regard entre les trois hommes, chacun mettant les autres au défi de parler, mais ce fut Malaki, étonnamment, qui répondit tout en s'appuyant contre Kahu. Il semblait rattrapé par la fatigue et clignait des yeux en luttant contre le sommeil.

— Je dormais dans le lit de Kahu, impossible de ne pas me réveiller en même temps que lui.

Il y eut un petit silence, le temps que Martha et Mele comprennent ce qu'il était en train de dire, et le sourire de Martha fut aussi doux que le regard un peu émerveillé de Mele. Caden, en revanche, semblait trépigner de curiosité et être un peu vexé.

— Et donc... euh, vous deux... ?

— Oui, on couche ensemble, soupira Kahu. Mais par pitié, ne nous posez pas plus de questions, il est trop tard pour cette conversation, ou alors beaucoup trop tôt. Ça va attendre demain, que j'aie bu mon poids en café. Eeva est tirée d'affaire, les bébés vont bien, tout le reste peut attendre. Et Malaki a besoin de dormir encore plus que moi.

Apercevant les regards qu'échangeaient Martha et Mele, il y coupa court en se levant pour tendre les mains à son compagnon et l'aider à se lever à son tour. Et son cœur s'affola un peu parce que la pieuvre garda leurs doigts entremêlés et acheva même son mouvement en l'embrassant sur la joue, tout doucement.

— Kahu a raison, trancha Martha. Retour au lit pour tout le monde, merci pour votre aide, l'équipe de nuit reprend la main. Filez d'ici tous les trois, on se voit demain !