10. Vibe

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Une demi-heure plus tard, l'arrivée à Odysseis fut un soulagement pour tout le monde. Kahu peinait à garder les yeux ouverts et il voyait bien que Malaki aussi, avec ses traits tirés et le peu de couleurs apportées par la soupe qui disparaissaient. Heureusement, le bassin hôpital était placé à proximité du petit port, de sorte qu'il soit plus facile d'y transporter les blessés ramenés par bateau, donc ils étaient quasiment rendus. Pendant que Kahu veillait sur Malaki, l'un de ses collègues avait appelé l'équipe de nuit, de sorte qu'elle les attendait sur le quai avec l'un de leurs plus grands bacs de transport tout prêt pour leur rescapé.

— C'est la dernière ligne droite, indiqua Kahu avec un sourire. Une fois dans le bassin hôpital c'est promis, on ne vous déplace plus pour aujourd'hui et vous pourrez dormir en paix.

— Et vous aussi, répliqua Malaki. Vous méritez bien quelques heures de sommeil après tout ce que vous venez de faire pour me sortir de l'épave et me ramener là.

— Oh, c'est prévu ne vous en faites pas ! Je veux seulement m'assurer que vous êtes bien installé, et ensuite je compte bien dormir jusqu'à demain midi.

Il savait qu'en réalité il serait réveillé bien plus tôt que ça, mais c'était attrayant de songer aux heures de sommeil qui l'attendaient au bout du chemin. D'ici très peu de temps, il serait roulé en boule au fond du bassin pour roupiller du sommeil du juste et c'était tout ce dont il rêvait.

Avec l'aide de l'équipe de nuit, ils transférèrent Malaki dans l'aquarium de transport avec d'infinies précautions, veillant à ne pas défaire ses bandages, accrocher la transfusion, ou rouvrir une blessure fermée par un strip. La pieuvre était un peu à l'étroit dans le bac, mais cela ne durerait qu'une poignée de minutes avant qu'ils n'atteignent le grand bassin.

— Nous y voilà ! s'exclama Kahu avec emphase lorsqu'ils furent dans l'infirmerie. Le plus grand bassin hôpital du parc Odysseis !

— Mais c'est immense !

Incapable de retenir le petit sourire de fierté qui lui chatouillait les lèvres, Kahu s'amusa de voir Malaki regarder autour de lui avec de grands yeux surpris. En réalité, le bassin n'était pas si gigantesque que ça, mais il était assez vaste pour que les pensionnaires puissent passer leur convalescence sans risquer de s'engourdir les nageoires.

— Bien sûr que c'est immense, rit l'un des soigneurs qui les accompagnaient. Le but est de soigner ceux qu'on y installe, pas de les rendre zinzins en les mettant dans un bocal comme des poissons de fête foraine. Vous y serez bien, surtout si Kahu reste avec vous.

— Je n'en doute pas une seconde, répondit doucement Malaki.

À vrai dire, l'infirmerie était l'un des endroits dont Kahu et les autres soigneurs étaient les plus fiers. Ils étaient à la pointe de la technologie et des connaissances maritimes, assistés par les meilleurs vétérinaires du monde, formés dans des écoles semi-mortelles. Mais plus que ça, le grand bassin hôpital était en soi un petit bijou de confort et de modernité. Les paramètres de l'eau se réglaient très facilement, la totalité du volume pouvait être remplacée en un temps record grâce à des pompes surpuissantes, et le décor se voulait aussi chaleureux qu'il était possible de l'être sans perturber la stérilité des lieux. Une grande part des fonds durement gagnés parle parc était allouée à cette partie parce qu'ils ne regardaient pas à la dépense pour avoir ce qui se faisait de mieux, tout le temps.

Grâce à l'eau turquoise et aux plages blondes, avec de la végétation luxuriante qui ombrageait une partie de la surface, on se croyait dans un lagon cristallin ou bien un cénote exotique, un endroit magique et parfaitement sûr. Kahu adorait l'ambiance de l'endroit, qu'il avait aidé à imaginer. Pour une sirène, cela ressemblait à un abri idéal, et pour la plupart des animaux c'était aussi le cas. Même pour les humains, à vrai dire, puisque les soigneurs devaient travailler là plusieurs heures par jour et que personne ne s'en était jamais plaint.

— Il y a une sorte de petite grotte sous-marine là-bas, annonça-t-il à Malaki. Je vais vous y emmener. Laissez-moi juste...

— On s'occupe de la transfusion, intervint l'un des soigneurs. T'inquiète pas de ça, occupe toi plutôt de changer tes jambes et d'aider notre blessé à entrer sans mal dans le bassin.

Habitués qu'ils étaient à déplacer des créatures dans des états de santé variés, ils eurent tôt fait de retirer la transfusion de Malaki, puis de descendre lentement l'aquarium de transport dans le bassin jusqu'à ce que la pieuvre puisse en sortir. À partir de là, Kahu prit le relais tandis que ses collègues remontaient l'aquarium puis les laissaient seuls avec la promesse de venir au moindre besoin.

— Filez vous coucher ! gronda Kahu en voyant que Mele et Caden étaient encore là. Il est super tard maintenant.

Personne ne les attendait non plus, mais ce n'était pas une raison pour autant. Ils avaient tous leur journée dans les pattes et les yeux cernés, mais aucun d'entre eux ne regrettait les efforts de la journée.

— On vous retrouve demain, promit Caden. Reposez-vous aussi, tous les deux.

Ils éteignirent la plupart des lumières en partant, alors que Kahu guidait doucement Malaki vers l'abri au fond du bassin. Il avait dans l'idée d'y laisser son blessé avant de s'installer un peu plus loin pour lui laisser de l'espace, mais Malaki saisit sa main avec un regard effrayé.

— Est-ce que vous voulez bien rester ? Je préférerais ne pas être seul cette nuit...

— Ça ne me dérange pas, sourit Kahu avec un clin d'oeil rassurant. Et ça se comprend très bien. Je suis là, je ne vous laisse pas. Si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi sans hésiter, d'accord ? Je suis là pour ça.

À son grand soulagement, Malaki acquiesça puis se pelotonna tout contre lui dans le fond de l'abri, cédant à la fatigue. Kahu était impressionné par son courage, parce qu'il n'était pas certain que lui aurait osé demander le réconfort d'une présence à peine familière, et encore moins se rapprocher autant. Mais Malaki semblait être une force tranquille, honnête avec ses peurs et ses faiblesses, et c'était tout simplement adorable de le voir poser la tête contre son épaule et s'endormir presque aussitôt, toujours accroché à sa main. En souriant doucement, Kahu s'installa un peu mieux dans le creux de roche, vérifia que les tentacules de Malaki étaient bien placés, puis il appuya sa tête contre la sienne et sombra à son tour, complètement rincé.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant