Moi, attrapant le sac chaud : « merci, bonne soirée ».Le livreur s'en va. Je referme la porte d'entrée et me dirige vers ma chambre. Le couloir de la maison est sombre, aucune lumière n'est allumée. Je prends quelques bouchées de mon burger et pioche quelques frites. Je suis calée en seulement quelques minutes. La faim passe, les uniques ressources vitales de la journée sont ingérées.
Je dépose le sac au frais dans la cuisine. La fenêtre du salon teinte l'appartement d'une petite lumière blanchâtre émise par la lune, je la regarde quelques minutes, le regard absent, distraie par le silence de la nuit et de mon cœur. Mes yeux se posent sur la porte au bout du couloir, le seuil de porte de la chambre de Lounès est éclairé.
J'avance, mes petits pieds froids tapotant sur le parquet. En passant, j'entends des reniflements venant de la chambre à ma gauche. C'est la chambre de ma mère. Je m'arrête soudainement et tends délicatement l'oreille, mais il n'y avait plus aucun bruit.J'avance donc vers la chambre de Lounès et pousse sa porte qui n'était pas totalement fermée. Il est allongé dans son lit, le bras tombant vers le sol et la bouche ouverte. Le sol est rempli de bouteilles de sodas, de mouchoirs usagés et de paquets de cigarettes. L'écran de télévision illumine les parcelles de son visage endormi. Sa mine est livide, creusée par des poches violettes sous ses yeux et sa mâchoire soulignée par un fort amincissement. Mon frère qui auparavant rayonnait de beauté, sombrait dans son effroyable mal-être.
Je rebrousse chemin avec un pincement au cœur. Je m'étale sur mon lit, le regard fixant le plafond.Que sommes-nous devenu ?
Je m'endors dans cette position.
La nuit sera courte comme toutes les autres d'ailleurs.Le matin, je me réveille, le visage tiraillé, le corps vidé d'énergie. C'est drôle, car ce n'est pas ce qu'une nuit de sommeil est censée apporter. Je m'habille sans trop réfléchir, redresse mes cheveux en chignon et attrape mon sac qui n'avait pas plus bougé qu'hier. 8 h 30 physique-chimie, de quoi m'assassiner plus que je ne le suis déjà. Le chemin vers l'arrêt de bus est silencieux, en réalité ce n'est pas quelque chose d'anodin, parce qu'en vrai beaucoup de chose se passe en silence sans que ça puisse nous déranger. Mais là, c'était différent. Chaque matin mon trajet est silencieux, mais mes pensées aussi. Certains profitent de ce silence pour méditer, réfléchir.
Moi, je n'y arrive pas, ou du moins, je n'y arrive plus. J'ai l'impression que mon cerveau a bloqué toute perception d'avenir, comme s'il avait activé un mode de protection renforcé pour m'empêcher de ressasser d'une part des souvenirs, mais d'autre part des réflexions lointaines. Ça voudrait dire que je ne me contente que d'être là, mais que tout ce qui pouvait m'animer autrefois est éteint. Et rien au fond de moi ne me donne envie de sortir de cet état. Mon corps ne s'anime qu'à travers les ressources vitales, mais il n'est plus habité par sa source, ma présence.Le lycée était un lieu que je n'affectionnais pas plus que ça, mais désormais, c'était pire que tout. Les rumeurs s'étaient très rapidement répandues. Ma mère m'a forcée à retourner très vite au lycée, selon elle, j'étais jeune et je ne devais pas laisser tomber l'école aussitôt. Même à ce moment-là, je n'arrivais plus à lui tenir tête. Malgré l'immensité de ma douleur et mon état psychologique déplorable, j'ai accepté sans aucune riposte. Auparavant, je lui aurais déjà présenté toute une argumentation sur pourquoi il est mauvais d'envoyer sa fille endeuillée à l'école sans qu'elle ait pris le soin d'aller de l'avant et de sortir de ce gigantesque déni. Mais je n'arrivais plus à rien, surtout avec ma mère.
Au lycée de toute évidence j'ai eu le droit à la pitié des gens, bien que ce soit une réaction normale et humaine, ce n'était pas forcément ce qui me mettait la plus alaise. À chaque regard posé sur moi, mes yeux s'humidifiaient, me faisant ressentir le cauchemar qui m'accablait. J'étais pendant quelques semaines, l'œuf fragile qu'il ne fallait pas faire tomber, car déjà fragilisé. J'ai aussi eu le droit à des profs quelque peu conciliants, avec des annonces très dramatique au début du cours pour annoncer à toute la classe, comme si elle ne le savait déjà pas, pourquoi il fallait être gentil avec la petite Ezia qui venait dramatiquement de perdre son père. Évidement tout cela accompagné d'une trentaine de paires d'yeux me fixant tout le long. En bref, je me livrais au loup chaque matin et m'enfonçais davantage dans ma solitude.... : « Ezia, tu pourrais peut-être répondre à la question 3 ? ».
J'ai les oreilles qui bourdonnent. Je cligne difficilement des yeux, une lumière blanche m'assassine.
... : « Ého Ezia, tu es toujours parmi nous ? Qu'est-ce que tu as répondu à la question 3 ? ».
Je tourne lentement ma tête qui était complètement reposée sur ma main. Tout le monde me regarde. Encore une fois, j'avais déserté, je n'arrivais pas à rester concentrée. Je devais sûrement avoir une marque sur ma joue, car j'entends quelques ricanements. Je tourne ma tête, le prof me regarde avec persistance.
Moi, en me redressant : « Euh.. Non j'ai pas pu faire la question 3 ».
Lui : « Je vois, la question quatre alors ? ».
Moi : « J'ai fait aucune des questions. »
Il rigole nerveusement.
Lui : « Ah ! bah comme ça, c'est clair ! Tu as un motif valable pour ça ? Et ne me dis pas que le décès de ton père y est pour quelque chose, ça fait déjà cinq mois Ezia, il est temps de se remettre au travail ! »
Les yeux fixés sur lui, je ne bougeais plus, comme si ma respiration s'était coupée, n'entendant que de vague bourdonnement. Le monde ne vivait plus. Le prof continuait toujours son monologue, mais mon cerveau s'était bloqué au "cinq mois".
Lui : « On est tous très peinés par ce qu'il t'est arrivé évidemment, mais tu sais, on a tous nos petits soucis du quotidien et puis... ».
Cinq mois, ça faisait déjà cinq mois que tu n'étais plus là. Cinq mois que notre famille n'était plus. Cinq mois que toute perspective de bonheur avait disparu. Cinq mois que je cauchemarde, en entendant le bruit strident des sirènes du camion. Cinq mois que mon cœur se serre quand je relis tes derniers messages sur mon téléphone.
Je ne m'y étais jamais préparée, et d'ailleurs personne ne saura jamais vraiment se préparer à ça. Tu m'as été retiré si soudainement, j'ai fait l'erreur de te croire éternel, pourtant en une soirée, tu t'es envolé. Il n'y a que mon amour pour toi qui dureras une éternité malgré l'état de mon cœur brisé.
Lui : « ... ces derniers temps, tu ne fais plus rien, tu as complètement lâché l'école. Je me demande ce que tu fais encore là si c'est pour ne rien faire. Franchement... »
À ce moment, je sens comme une flamme monter en moi. Comme si elle partait des pieds et puis montait très lentement vers le haut de mon corps.
Lui : « ...tu as le bac de français cette année et ne parlons pas de l'année prochaine.. »
Ça monte. Mes cuisses tremblent.
Lui : « ...et alors là n'en parlons même pas ! Non mais franchement, c'est pas avec un tel rythme que tu vas avoir ton bac... »
Le ventre. Mon estomac brûle.
Lui : « ...et d'ailleurs, c'est valable pour toute la classe, ne prenez surtout pas en exemple son comportement. Si vous voulez finir vendeurs à la sauvette sur les trottoirs ça vous apprendra tiens. »
Trop tard, c'est déjà arrivé à ma poitrine.
Je ne peux plus rien faire.Lui : « ...Alors Ezia, tu penses que ton papa serait fier de te voir vendre des petits porte-clés sur... »
BOUM. Ça a explosé. Trop tard.
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Ezia - L'âme de mes larmes.
RandomC'est l'histoire d'Ezia. Elle mène une vie quelque peu banale, rassemblant les petits tracas du quotidien. Arrive ce jour fatidique, qui marque le début de son immense chagrin. Son monde s'écroule, la plongeant dans un flot de solitude. Le chagrin s...