Chapitre 2 - Absence d'existence.

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Mon corps est étendu sur le matelas blanc. La couverture est au sol. Mes deux bras sont alignés de part et d'autre de mon corps. Je ne bouge plus. Ma cage thoracique se lève quelque peu. Tout en moi est éteint. J'entends seulement les battements de mon douloureux cœur raisonner. Je n'ose pas bouger. J'ai mal au corps. J'ai chaud. Je tremble. Mes pensées sont neutres. Sans sentiments. Sans émotions. Ce n'est qu'un flot de mots, de phrases. La pièce est sombre, mais le jour commence à se lever. Mes larmes coulent, mais je ne ressens rien, je ne pense à rien, j'aimerais qu'il n'y ait rien. Elles coulent jusqu'à mes cheveux ébouriffés. Elles sont chaudes, elles sont profondes, comme si on me marquait au fer. Je lève lentement ma main, la pose sur ma cuisse. Ma peau me brûle à son contact. Je frémis, j'attrape mon pantalon qui est descendu sur mes cuisses. Je le remonte, la main tremblante. Les flashs reviennent à ce moment-là. Je pose ma main sur le bas de mon ventre. Je me souviens de tout. De chaque mouvement, de chaque respiration, de chaque touché. Mon corps n'est plus le mien. Mon corps ne m'appartient plus. Il est sali, impure, faible, recroquevillé. Il sent une odeur. Une odeur qui n'est pas la mienne. Une odeur d'alcool mélange à un parfum sucré. J'ai mal au ventre. J'ai la nausée.

Sept heures trente.
Je regarde mes valises du coin de l'œil. Je dois me lever. Je dois partir, rentrer. Rentrer où ? Chez moi ? Est-ce que c'est encore chez moi ? Je dois partir. J'essaie de me lever, mais je retombe. J'ai mal au ventre, les larmes coulent encore et encore. Mais je ne ressens toujours rien, elles ne veulent pas s'arrêter. Ça brûle encore. Tout se déchire à l'intérieur de moi. Je dois me lever. Je plisse les yeux de douleur. Je remets mon soutien-gorge en place. Rabat la bretelle de mon débardeur. Boutonne ma chemise. Je déplace mon petit corps sur le rebord du lit. Je dois partir. Je mets mes vêtements, attache mes cheveux en tresse. J'agis machinalement. Je ne pense à rien, tout est vide. Mes mouvements sont lents. Tout est prêt, je dois partir. Je pose la main sur la poignée. Je me souviens de tout, mais je ne ressens rien. Je sèche mes larmes du revers de ma main. J'entends du bruit dans le couloir, je teste, une fois, deux fois, trois fois, un sourire potable. Je suis prête, je dois partir. J'appuie fermement sur la poignée de la porte.

Ma tante est face à la chambre.

Elle, en chuchotant : « Ah, j'allais venir te voir ».

Je lui souris du mieux que je peux. Une silhouette passe derrière elle. Mon sourire s'efface, je sers la poignée de ma valise dans ma main. Il me regarde. Il a les yeux rouges. Je baisse les yeux instantanément. Mon visage est neutre. Je ne ressens rien, tout est vide. Ma tante passe sa main sur ma joue. Je sursaute légèrement à son contact. Elle caresse ma joue. Ça me brûle, ça me fait mal. Je veux crier. Elle me regarde, je plonge mon regard dans le sien. J'aimerais lui dire, j'aimerais qu'elle comprenne. J'ai mal, tout me fait mal. L'appui de mes jambes s'affaiblit. J'aimerais me laisser aller, tomber, et ne pas me relever. Je dois partir.

Elle : « Allez, ne t'inquiète pas, ça va bien se passer. Et, tu reviens vite nous voir d'accord ? »

Je hoche la tête timidement. On se dirige vers la porte d'entrée. Il est devant moi. Je le fuis, je ne le regarde pas. Sofiye est allongé au salon, elle dort. Je fais rouler doucement mes valises.

Ma tante, à voix basse : « Prend ses valises, espèce d'idiot ! »

Il se tourne. Me regarde. Pose sa main sur la mienne. Je ne voulais pas lâcher cette poignée. C'était à moi, elle m'appartenait. J'abdique au contact de sa main. Je l'enlève rapidement. Comme un courant d'électricité. Je ne bouge pas. Je ne dis rien, je ne ressens rien.

Ma tante : « Rentre bien, ma chérie ».

Je dois partir. Tout est silencieux. Je ne pense à rien, je n'entends rien. Je descends les escaliers. Je compte chaque marche. Je ne suis pas vraiment là, je suis loin.

Il ouvre la porte du hall, me la tient. Je passe silencieusement. Il ouvre la voiture, dépose les valises. Je m'assois à l'avant. Je colle ma tête à la vitre. C'est long. J'ai froid, j'ai chaud. Il démarre le moteur et roule. Silence radio. J'entends le bruit du moteur, puis des reniflements. Plus fort et plus bruyant.

... : « Ezia.. »

Ezia ? Moi ? Hum. Ezia.

Lui, d'une voix saccadée par des pleurs : « Ezia.. Je.. Je.. Désolé Ezia.. », il renifle un coup.

Désolé ? Hum. Désolé.

Lui, en ayant repris ses esprits : « J'aimerais pouvoir revenir en arrière.. Je sais pas ce qui s'est passé.. Ezia j'te jure Ezia, c'est pas ce que je voulais.. ».

Je regarde la route. Les champs, la vitesse. J'ouvre la fenêtre. L'air entre dans la voiture.

Lui, en criant : « Parle-moi Ezia put!in ! »

Une larme coule sur ma joue. Je ne pense à rien pourtant. C'est vide, c'est fade. Qu'est-ce qu'elle fait là ?

Lui, d'une voix douce : « Pleure pas, je suis désolé Ezia.. Pardonne-moi, je t'en supplie Ezia. C'était pas moi, j'étais pas moi-même », il souffle « on m'a influencé, je pensais pas boire autant, désolé Ezia ».

Je ne pleure pas. Pardonner ? Désolé ? Hum.
La route est longue. Je dois partir, je dois rentrer.
La gare est proche, je la vois. Je vais rentrer. Il s'arrête, se gare sur le parking. Je ne bouge pas. Il y a un silence.

Lui, se tournant vers moi : « Je t'en supplie Ezia, écoute-moi.. Regarde-moi ».

Je ne bouge pas. Je ne peux pas.

Lui : « Promets-moi de ne pas en parler, promets-moi de rien dire à personne ! ».

Je détache ma ceinture. Je pose ma main sur la portière.

Lui, m'attrapant par le bras et me retournant vers lui : « Ezia ! ».

Je lui fais désormais face. Il me regarde, ses yeux sont remplis de larmes. Il a les yeux rouges. Il a le regard noir. La mine sombre. Il était plus comme avant. À présent, il faisait peur, il n'inspirait pas confiance, il ne rassurait pas. Je respire plus vite, mon cœur palpite. Mes yeux se froncent. Mon souffle se fait entendre. Je balaye violemment sa main et me détache de son emprise. J'ouvre la portière, sort mes deux valises. Je le regarde à travers la petite fenêtre abaissée de la voiture.

Moi, d'une voix parfaitement audible : « Crève en enfer, Yaz ».

Ezia - L'âme de mes larmes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant