N'en parle pas. Je devais donc garder tout ça pour moi. On me condamnait désormais à un silence, je ne pouvais pas crier mon cauchemar.
Je laisse tomber ma tête contre la vitre du train. Mes mains se mettent à trembler toutes seules. Depuis l'événement, c'était comme si mon corps ne m'appartenait plus. Comme s'il manifestait la violence qu'il avait subie. Déjà qu'il n'avait pas mon amour, désormais, il était confronté à une profonde souillure. Je ferme mes yeux l'air de lui faire comprendre qu'il doit se calmer. Je prends de longues respirations en veillant à me concentrer sur l'air qui passe en moi. Soudain les flashs ressurgissent. Je me revois à gigoter dans tous les sens, la douleur au ventre et les yeux humides. J'ouvre instantanément les yeux et tend d'un coup sec mon corps vers l'avant. Je pose ma main sur mon cœur et prends de grosses respirations. Je termine le trajet en veillant à garder les yeux ouverts pour éviter de replonger dans cette frayeur.
C'est un jour de pluie. Un torrent d'eau s'abat sur le toit du train. La route est terminée. La pluie tombe toujours plus forte sur le sol du quai. Les passagers commencent à descendre en sortant leur parapluie. Je récupère mes bagages. Quand je sors, mes cheveux s'humidifient rapidement. L'eau se déverse sur mes longs cheveux, mouillant pratiquement tout mon visage. Je marche lentement vers la sortie de la gare. C'était comme si la fraîcheur de la pluie, en l'espace d'un instant, apaisait le feu de mes douleurs intérieures. Je penche la tête en arrière, laissant tomber les gouttes sur mon visage peiné. La pluie ressemblait à mes larmes, elle coulait vite et en grand nombre. Je continue ma route et arrive devant la gare. Je cherche un regard familier, un regard qui me ferait penser à chez moi. Soudain, je la vois, abritée dans le hall. Elle me regarde, toujours sans savoir à ce qu'elle pense. Elle déploie son large parapluie et s'avance vers moi. Arrivée à ma hauteur, elle s'arrête. Sans réfléchir, poussée par mon corps, je me précipite vers elle, l'enlaçant fermement. Son corps se crispe à mon contact et ses mains se lèvent vers le haut, sûrement confuse par cette action. Elle reste figée, tandis que je la serre aussi fort que mon cœur criait. Je me mets à pleurer, comme une enfant dans les bras de sa mère. J'étais dans ses bras. Certainement parce que mon corps le désirait, parce qu'il voulait être rassuré après avoir vécu ce douloureux traumatisme. Je ne pensais à rien, ni même à ce qui s'était passé avec elle. Je pleurais juste dans ses bras, cherchant le réconfort de ma mère. J'étais apeurée par ce qu'il m'était arrivé, je ne savais même pas comment mon cœur pouvait encore battre après autant de douleur infligée. Elle finit par passer sa main dans mon dos, le tapotant d'un air rythmé comme pour me consoler. À ce moment-là, c'était tout ce dont j'avais besoin. Je n'avais pas forcément la force ni l'envie de parler, mais je savais que j'avais besoin de ma mère. Nous finissons par nous détacher silencieusement. Elle attrape une des valises de la main.
Ma mère : « Viens, je suis garée par là ».
On se dirige vers la voiture, comme si chacune de nous avait déjà oublié ce qui venait de se passer. Le trajet se passe en silence, un silence qui semblait nous convenir. Puis ma mère décide finalement de le briser.
Elle : « Tu as pu réviser ? »
Moi, d'une petite voix : « Oui ».
Elle : « Ce sont bientôt tes examens, je sais que tu as pris du retard, donc j'espère que tu as fait ça bien ».
Moi : « Oui ».
Le silence revient après ce court dialogue, nous arrivons enfin près de chez moi. Bien qu'aucune de mes émotions se ressentait en moi, quelque chose paraissait en quelque sorte me rassurer d'être enfin chez moi. Comme si je m'éloignais du danger, de ce qui m'avait heurté. Je passe la porte de notre petit appartement. Après des mois, l'odeur d'un repas cuisiné, me rappelant la belle époque de notre famille, parcours mes narines. Je ferme les yeux, j'étais enfin chez moi et en l'espace d'un instant, j'avais fait un retour dans le passé. Je me déchausse et me dirige vers ma chambre. Je m'effondre sur le lit, reconnaissante d'être enfin chez moi. Ma mère passe devant celle-ci qui était entre-ouverte.
Elle : « Quand tu auras fini de te doucher, je t'ai laissé une assiette sur la table de la cuisine ».
Moi, me redressant : « D'accord, merci ».
Elle regagne le salon. J'étais confuse, son attitude semblait apaisée. Fidèle à elle-même, mais sans provocation. Je décide d'aller me doucher. Je passe devant la chambre de Lounès pour atteindre la salle de bain. Sa porte n'est pas totalement fermée, il y a un écart d'un centimètre. Je m'approche très doucement. Le bruit de la télévision est assourdissant et projette de vives lumières au seuil de la porte. Je m'arrête devant. Je ne savais pas vraiment ce que je devais faire. Son indifférence me tuait le cœur et le savoir si près de moi sans que nous nous parlions était invivable. Je me sentais coupable de ne pas l'aider, bien qu'il refuse mon aide. Je voyais mon frère devenir un autre sans même bouger le petit doigt. Je n'étais même pas capable d'aimer correctement, soutenir ceux que j'aime. J'étais finalement qu'une égoïste, bonne qu'à pleurer à longueur de journée, et en ne voir que mon propre malheur. Je passais mon temps à broyer du noir, tandis que mon frère souffrait physiquement et moralement. Il s'éteignait et je ne faisais rien. Je l'abandonnais, seul, prisonnier de ses démons. Je recule et reprends mon chemin vers la salle de bain. Je verrouille la porte et allume la lumière. Me voilà face à ce grand miroir. Ce miroir qui s'avère devenir ma plus grande bête noire. Je me vois pour la première fois après ce qui s'est passé. Ma posture est complètement faible, j'ai l'impression que mon corps ne tient plus. Mon visage est affaissé. Mes poches sous les yeux sont terriblement foncées. Je commence à me déshabiller, lentement, je retire chacune des couches de vêtements. Me voilà face à la vraie moi, celle qui se cache dans cette triste carapace. Je sens que mon corps est faible, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Je m'arrête sur mes poignets, la couleur rouge attire mon œil. Mon cœur palpite rapidement, me rappelant la torture infligée à mon cœur. Je me sentais volé, comme si on m'avait dérobé quelque chose enfouit au fond de moi. Je ne sentais que le vide au sein de mon corps, au sein de ma tête. J'étais comme débranchée et je ne faisais que constater les tristes dégâts qui m'appartenaient.
J'allume l'eau et la règle sur le chaud. L'eau brûlante se met à couler. D'abord sur les cheveux, ensuite sur le reste de mon corps affaibli. J'avais mal, au fond de moi, mais extérieurement aussi. L'eau me brûlait, mais inconsciemment, je ne pouvais pas changer la température de l'eau. Je devais avoir mal, peut-être pour essayer tant bien que mal de retrouver des sensations. Pour me montrer que j'étais la seule à décider de ce que je pouvais faire de mon corps. Me persuader d'être la seule qui pouvait lui faire mal. J'attrape le savon et frotte de plus en plus fort mon corps avec le gant. Chaque partie y passait. Je frottais, encore et encore. Comme pour effacer quelque chose, comme pour enlever une trace qui n'était pas à moi. L'odeur devait s'en aller. Je deviens limite enragée, je frotte plus fort encore, laissant ma peau se marquer par le rouge. Je devais enlever toute cette souillure, toutes les traces de ces mains sur mon corps.
Je voulais que toute cette saleté parte, que finalement tout ça ne soit jamais vraiment arrivé.
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Ezia - L'âme de mes larmes.
RandomC'est l'histoire d'Ezia. Elle mène une vie quelque peu banale, rassemblant les petits tracas du quotidien. Arrive ce jour fatidique, qui marque le début de son immense chagrin. Son monde s'écroule, la plongeant dans un flot de solitude. Le chagrin s...