Chapitre 3 - Ivre mort.

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Je pose mon regard en face de moi. Les secours sont devant moi, la porte du camion est grande ouverte. J'avais ce sentiment que le temps s'était arrêté. J'avais vraiment ressenti la présence de mon père à mes côtés. Il n'y avait que lui et moi, c'était si calme, mais à la fois si réconfortant. C'était la première fois que ça m'arrivait. Depuis sa mort, je n'avais jamais revu son image, ni même entendu sa voix. Je m'efforçais seulement à rassembler chacun des souvenirs que j'avais de lui.

Moi, en essayant de reprendre mes esprits : « Euh, oui ! J'arrive ».

Je me relève difficilement, toujours perturbée. Je regarde autour de moi, le jeune homme n'est plus au sol. Je ramasse mon téléphone portable que j'avais fait tomber. Juste à côté se trouvait une petite sacoche. Je présume que c'était la sienne. Je la ramasse et la prend sous mon bras. J'agrippe la porte du grand camion et me hisse à l'intérieur. Il y faisait plus chaud, la lumière était froide et donnait une ambiance quelque peu angoissante.

Le monsieur en face de moi : « Tenez madame, vous devez sûrement avoir froid ».

Il me tend une couverture de survie, que je m'empresse de mettre sur mes épaules.

Moi : « Est-ce qu'il va s'en sortir ? »

Je regarde le jeune homme, tout emmailloté devant moi.

L'autre monsieur : « Eh bien, on ne peut pas vraiment savoir à ce stade-là. Mais on espère que ce soit le moins grave possible ».

Je ne dis rien et continue de le fixer. Je ne pouvais pas m'empêcher d'être mal, j'étais embarrassé d'être face à lui. Je savais ce qui s'était passé, mais j'étais là, en train de le regarder dans sa souffrance, alors que je ne savais même pas s'il allait pouvoir vivre. La question se posait, est-ce que finalement, j'allais pouvoir accepter sa mort ? Est-ce que je pourrais m'en remettre, accepter d'endosser tout ce qui pouvait s'être passé ? J'ignorais si je trouverais la force de faire face à tout ça. Mon dévouement pour Lounès était indéniable, mais qu'en était-il de mes propres pensées ? J'approche de mes dix-huit ans, est-ce que je pourrais vivre en ayant commis un homicide, ou du moins en étant complice. Je crois que je me surestimais, après tout, je ne savais qu'être lâche. J'étais faible depuis le début, je n'arrivais pas à me gérer, à faire face à cette vie. Je n'arrivais à rien depuis toujours alors qu'est-ce qui me faisait croire que j'allais pouvoir gérer tout ça. Je m'étais mis en tête que je pouvais être une sauveuse, que je pouvais tout arranger, que tout allait bien se passer. Je me permettais d'en faire promesse, mais est-ce que j'en étais réellement capable. Est-ce que je n'essayais pas de m'en persuader juste pour soulager mes propres douleurs ? Qu'en était-il de la réalité ? Est-ce que je pouvais assumer tout ça ?

Le monsieur : « On arrive ! Madame, je vous laisse aller remplir les renseignements du monsieur à l'accueil, je vais les prévenir ».

Moi : « Euh.. Oui, d'accord. Merci ».

Lui : « Vous nous remercierez quand il s'en sera sorti ! »

Nous arrivons devant l'hôpital. Il fait nuit et la pluie s'est enfin arrêtée. Je n'aime pas les hôpitaux, je n'aime pas vraiment cette ambiance pesante que l'on ressent. C'est un rassemblement de joie et de peine. Une concentration d'émotions, dans un même lieu. La joie d'une naissance, la tristesse d'un décès. L'euphorie de l'annonce d'un rétablissement, l'affliction de l'annonce d'une maladie. Au final, comment savoir si nous devons être tristes ou heureux de se rendre à l'hôpital ?
Je ressens une boule au fond de mon ventre. C'est horrible, ça me broie de l'intérieur et c'est lourd. J'arrive dans le hall, tandis que le jeune homme installé sur le brancard file à grande vitesse devant moi. Je suis toujours très lente, je pense que j'ai du mal à réaliser tout ce que je viens de vivre. Je suis déconnecté, tout s'est passé si vite, mais j'ai aussi l'impression que ça a duré une éternité. J'entre et me dirige vers l'accueil. Je m'approche vers deux dames, qui me regarde attentivement, sûrement dû à mon apparence quelque peu négligée.

Moi : « Euh, excusez-moi. Je.. Je viens d'arriver en camion. Euh.. J'accompagnais un jeune homme. On m'a dit que je devais fournir des renseignements sur lui, je.. »

La dame, me coupant : « Oui, les secours m'ont prévenu ! Suivez-moi, je vais vous accompagner dans la salle d'attente réservée aux proches. »

Moi, une proche ? Quelle ironie du sort.

Elle se lève de sa chaise, récupère une enveloppe et se met à marcher vers une direction, accompagnée du son de ses talons claquetant sur le sol. Je la suis en silence, toujours aussi perdue. Nous arrivons dans un endroit plus calme avec moins de passage. La salle est remplie de personnes semblant dans l'attente. Certaines mines sont fatiguées, d'autre plus tendues et certaines remplies de tristesse.

Elle, m'indiquant un siège : « Patientez, ici et remplissez ça », elle me tend la grosse enveloppe marron.

Je la prends et la regarde partir. Je ne savais pas ce que je devais faire. Je ne me sentais pas la mieux placée dans tout ça, mais à la fois, je lui devais bien ça. Il était seul et je devais au moins faire en sorte de prévenir un membre de sa famille.
Je repense à la sacoche que j'ai ramassée. Je la prends et l'ouvre. Il y avait quelques papiers, une enveloppe pas encore ouverte. Je cherche plus loin et je trouve un portefeuille. Je l'ouvre avec délicatesse, comme pour respecter au mieux mon intrusion dans sa vie privée. Toujours pleine de remords, la boule au ventre, je trouve son petit portefeuille. Je tombe sur une photo, légèrement abîmée. Comme s'il était ancienne. Il s'agissait d'une jeune femme, et d'un petit garçon. Le portefeuille était vide. Il n'y avait que des tickets de métro, des cartes de publicités. Et une carte d'abonnement dans une salle de sport. Je la sors dans l'espoir d'y trouver un nom.
Toute tremblotante, je lis enfin son prénom.

Yumes.

Ezia - L'âme de mes larmes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant