Chapitre 2 - Absence d'existence.

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La journée a été épuisante moralement. Je rentre à la maison complètement lessivée. Ma mère est enfermée dans sa chambre. J'entends du bruit dans la cuisine. Je passe devant la porte. Lounès se tient debout, près du plan de travail, une tranche de pain de mie dans sa main droite. Ses mains tremblent légèrement, ils froncent les sourcils, tentant de se concentrer devant la construction de son sandwich. Il lève la tête, ma direction, puis sans émotions, ni aucun mot, il se remet à fixer la table. J'entre dans la cuisine silencieusement et fait mine de prendre quelque chose dans le frigidaire. J'ouvre la grande porte blanche, laissant le froid se déposer sur mon délicat visage. Je reste quelques minutes devant, en faisant mine de chercher quelque chose. Soudain, je sens sa présence, juste derrière moi. Il tend son long bras vers le pot de mayonnaise. Après de longs mois, mon grand frère était aussi près de moi. Je ne bouge plus, j'ai l'impression que le temps s'est arrêté. Je retiens ma tristesse, et m'empêche de réagir. Je m'évade dans son odeur si réconfortante malgré le nouveau mélange de sa boisson enivrante. Il reprend sa place et continue son activité. J'attrape une brique de jus et m'installe sur la chaise autour de l'îlot centrale. Je le fixe intentionnellement pour attirer son attention. Je ne savais pas comment libérer la parole, peut-être que je n'osais pas ou enfaite que je ne savais pas vraiment quoi dire. C'était bizarre, j'étais embarrassée de devoir faire la conversation. Je déteste être rembarré, donc je crois que c'est pour ça que je suis légèrement sur la retenue à ce moment-là. Puis, je ne peux pas nier l'immense phase de solitude qui nous a divisé lui et moi. Seuls dans nos chagrins, déjà que nous étions réservés auparavant, aujourd'hui, nous étions complètement cadenassés l'un et l'autre. Je continue de le fixer intensément, pour que ce soit lui qui craque en premier. Gagner, il finit par lever ses yeux vers moi. À ce moment, c'est comme si mes yeux brillaient à nouveau, je lui fais face, je le regarde avec précision. J'analyse, enregistre chaque parcelle de son visage. Son visage était désormais si mince, il avait perdu ses petites joues rosées. Ses yeux renvoyaient tellement de détresse, de colère, mais à la fois beaucoup de tristesse. Il gardait tout, ça se voyait rien qu'à son regard. Il se bouffait lui-même en gardant tout pour lui, en ne disant rien à personne et en se faisant du mal. Mon pauvre frère. Mon cœur se crispe parce qu'en le voyant, je voyais en réalité une trace de mon père. Son premier fils, celui qui doit prendre la relève.

Lounès, d'une tons sec : « Quoi ? »

Je déglutis.

Moi : « J'ai pas le droit de te regarder ? »

Lui : « Ça me gêne ».

Moi : « Je m'en fiche ».

C'était si dur de devoir l'affronter. De devoir jouer les dur juste parce qu'il ne voulait aucune pitié. Mais en même temps, le peu de dialogue avec mon frère me réjouissait, peu importe le contenu de la conversation. C'était déjà un pas, et j'en avais conscience.

Il esquisse un micro sourire.

Lui : « Va ailleurs, tu me déranges. »

Moi : « Non ».

Il plonge une nouvelle fois son regard dans le mien. Ses yeux me racontaient tout, mais j'imagine que mes propres yeux me trahissaient aussi, lui qui me connaît si bien.

Lui, d'une voix ferme, le visage neutre : « Ezia ».

Moi : « Lounès ».

Je me jouais de lui. Je sais qu'il ne fallait pas que je l'énerve, parce que ses réactions pouvaient être amplifiées. Mais je ne sais pas, je voulais lui montrer que cette fois, j'étais là, et que je ne comptais pas le lâcher.

Lui : « Arrête ça tout de suite, si tu crois que je rigole, c'est pas le cas ».

Il referme agressivement le pot de mayonnaise. Et me fait dos en la rangeant à sa place.

Moi : «  Moi aussi, je ne rigole pas Lounès ».

Il ne dit rien. Et se trouve à nouveau vers moi. Le silence s'installe, pendant un long moment. Il finit par le briser.

Lui : « C'était comment, chez Tata ? »

J'étais étonnée. J'en revenais pas, il me faisait la conversation. Lui qui paraissait pourtant tendu, il se souciait désormais de moi et ma vie. Un nœud se forme dans ma gorge, malgré la joie mon corps ne pouvait s'empêcher de me rappeler le goût de mon cauchemar.

Moi, en bégayant : « Euh.. Ça va.. Normal ».

Il me regarde. Fronce les sourcils. Je sens que mes joues sont rouges, elles chauffent à toute force.

Lui : « Y'a quoi ? »

Moi, sur la défensive : « Rien.. ya rien ! »

Il me regarde pas du tout convaincu.

Lui : « Dis-moi tout de suite Ezia ».

Ça y est, je panique. Dans quel terrain je m'étais fourré. Comment j'avais pu me vendre de la sorte, Lounès l'être qui me connaît le mieux après mon père. J'étais piégée, il connaissait mes réactions, il savait que je cachais quelque chose, j'étais coincée, mais c'était inconcevable que je puisse lui raconter quelque chose. Si je le faisais, je ne pourrais pas retenir Lounès. Cousin ou pas, il ne ferait pas de différence et du sang risquerait de couler sur ses mains. Je ne pouvais pas être responsable de ça et surtout infliger ça à mon grand frère. Je devais me taire, tout garder pour moi. Et ne faire aucun dégât.

Moi, en essayant d'être convaincante : « Mais arrête, tu délires complet. Il s'est rien passé, juste, tu connais Sofiye et ses humeurs. On s'est un peu embrouillée vers la fin ».

Il me regarde l'air pensif.

Moi, m'enfonçant : « Je comprends pas pourquoi il y aurait eu quelque chose. Tu es trop bizarre, à chaque fois, tu vas trop loin dans ta parano. Et puis c'est rien ça arrive des embrouilles entre cousines franchement ».

Je venais de creuser ma tombe. Lounès savait très bien qu'à chaque fois que je me justifiais à outrance et que je commençais un monologue, c'est que je cachais quelque chose. Mais là encore, j'avais l'impression d'être impuissante. Mon corps réagissait, je paniquais et j'étais envahie par les émotions. J'essayais de me sauver, mais je ne faisais qu'empirer mon cas. Peut-être qu'au fond mon cerveau voulait tout raconter pour ne plus porter toute cette histoire seule.

Lui, en fouillant dans sa poche de pantalon : « Dans ce cas-là, je vais directement demander à Yaz ».

Ezia - L'âme de mes larmes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant