À peine le pied rentré, mon regard se pose instinctivement sur les deux valises au milieu du couloir. Je fronce les sourcils d'incompréhension tout en me déchaussant. Je vois ma mère assise sur le canapé du salon. Elle avait les jambes croisées, son téléphone portable dans la main droite et une tasse de café dans l'autre main. La télévision était allumée sur une chaîne d'information, elle avait le regard immobile face à l'écran. Je retire mon sac que j'avais mis sur mon épaule et le tien à la main. J'avance lentement. Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas à quoi m'attendre.
Je prends la décision d'aller dans ma chambre. Quand j'entre, les portes de mes armoires sont ouvertes et après avoir fait quelques pas, je constate qu'elles sont à moitiés vides. Mon bureau est vide, mon tiroir d'école aussi. Je fais tomber mon sac que je tenais fermement jusqu'à présent. Qu'est-ce qu'elle était en train de me faire ?
Je m'avance vers le salon plein d'incompréhension, mon corps frémit toujours de stress.
Moi : « où sont mes vêtements ? »
Elle dépose sa tasse sur ces fines lèvres, boit une gorgée puis repose machinalement sa main sur ses cuisses toujours croisées. Elle pose ensuite son regard sur moi.
Elle : « Dans les valises, tu pars ce soir chez ta tante ».
Moi : « Quoi ? Attend mais.. C'était pas prévu ça ».
Elle ne me répond pas et reprend une gorgée de sa boisson.
Moi : « Je ne veux pas y aller, j'irai nulle part ».
Elle me regarde méchamment.
Elle : « Je ne te laisse pas le choix, tu iras, que tu le veuilles ou non. Ça y est t'a fini ta petite comédie. Tes pleurnicheries de gamine. Crois pas que je vais oublier tout ça, tout ce que tu m'as fait. Et alors si j'apprends que tu fais des conneries chez ta tante, écoute-moi bien Ezia » elle pointe la porte d'entrée du doigt « c'est là-bas que tu finiras ».
J'ai les yeux larmoyants. J'essaie de ne rien sortir. Pourquoi c'est si dur de devoir lutter contre-soit pour ne pas sortir ces larmes. Ce sont des larmes de colère, mes nerfs sont à bout. Je ne peux qu'abdiquer, comment est-ce que je pouvais lui faire face. Rien n'était avec moi sur ce coup et je n'ai pas d'autre choix que de me résigner. J'allais devoir aller chez ma tante que je le veuille ou non.
Je fais demi-tour et m'enferme dans ma chambre. J'avais la gorge en feu après avoir gardé toute cette colère. Je ne peux pas m'empêcher de pleurer, c'est plus fort que moi. C'était étrange, mais en l'espace d'un seul jour, j'avais eu l'impression d'avoir pleuré tout ce que j'avais ressenti ces derniers mois. Je finis par réaliser que pleurer ne sert à rien, à quoi bon finalement. J'allais devoir affronter tout ça par moi-même, que je le veuille ou non.
En voyant le bon côté des choses, j'allais être séparée d'elle. C'était devenu invivable et je ne sais pas ce que je serais devenue tout ce temps passé à la maison.
J'allais revoir ma tante, la sœur de ma mère. Je n'ai pas forcément d'avis sur elle, bien qu'on puisse reconnaître par sa personnalité son lien familial avec ma mère. Elle avait toujours cette fâcheuse habitude d'émettre des commentaires pour tout alors que ce qu'elle disait n'était pas forcément toujours pertinent. Elle a eu trois enfants avec son mari, un homme tout aussi bavard qu'elle. Il est connu pour connaître les ragots familiaux et les rumeurs voisines. À eux deux, ils forment le parfait couple que l'on cerne très facilement et pour qui l'on réfléchit avant deux fois avant de leur proposer une invitation pour quelconques événements. Étrangement, je m'entendais bien avec leurs enfants. La plus grande, la sœur aînée s'est mariée et a d'ailleurs déjà eu des enfants, elle a toujours été très mature quand nous étions petits. Elle adorait rester avec les grands, sûrement pour écouter les discussions les plus croustillantes. Comme on dit, les chiens ne font pas des chats.
L'enfant du milieu, Yaz, a le même âge que Lounès. Il est terriblement drôle, on passait nos étés tous ensemble et il faisait rire tout le monde, petits comme grands. J'avoue, c'était aussi mon premier amoureux. Je savais pertinemment dans ma petite tête d'enfant qu'il était mon cousin, mais je ne pouvais pas m'empêcher de l'admirer. Il se souciait toujours de moi et me demandait à chaque fois si je n'étais pas trop fatiguée après nos longues marches pour rejoindre la mer. Mon petit cœur ne pouvait pas lui résister, j'appréciais avoir comme un deuxième grand frère protecteur. Aujourd'hui, il a grandi et moi aussi, je ne suis plus amoureuse. Même si je suis obligé de constater qu'en grandissant sa beauté s'était accentuée. Comme nous avons déménagé depuis le temps, nous nous voyons plus autant, mais je reste en bons termes avec lui.
Enfin, il y a la dernière Sofiye d'une année plus jeune que moi. Avec elle c'est les montagnes russes. On se chamaille beaucoup quand on est ensemble. Déjà, même si j'avais tout fais pour garder ça secret, elle avait réussi à voir que j'en pinçais pour son frère. J'ai toujours nié en bloc, mais je crois bien que mes rougissements me trahissaient. Elle me mettait des bâtons dans les roues et essayait de me faire honte devant Yaz. Bien sûr, lui était toujours bienveillant avec moi et rembarrait chacune des tentatives de sa petite sœur. Finalement ça ne faisait que renforcer mes sentiments. De mon côté, je pense aussi que Sofiye était jalouse. Peut-être qu'elle avait peur que je lui vole son frère. C'est là qu'elle a commencé d'autre phase de jalousie. Tout ce que j'avais, elle essayait de l'avoir aussi, pareil pour l'école, toujours en compétitions. C'est d'ailleurs ça qui a fait naître beaucoup de comparaisons dans les yeux de ma mère, à chaque fois qu'elle le peut elle nous compare mes cousins et moi.
C'est Lounès qui a pris soin de m'amener à la gare. J'allais prendre un train, car ma tante habitait vers la campagne tandis que nous avions déménagé près de la ville. Au final ce dépaysement allait peut-être me changer les idées après tout ce mélange d'émotions. Pendant le trajet, dans la voiture, Lounès était silencieux. On aurait dit un mort-vivant, il était vide, pâle et très lent dans ces mouvements. Il se grattait souvent la tête frénétiquement. Ses mains étaient remplies de petites blessures et ses poings étaient rouge vif comme s'il avait frappé fort dans quelques choses.
Moi, d'une petite voix : « Tes poings, qu'est-ce qu'ils ont ? »
Il ne me regarde pas et fixe la route, imperturbable. Quelques minutes passent et il semble ne pas vouloir répondre à mes questionnements, bien que je sache qu'il m'ait entendu.
Moi : « Lounès je.. »
Lui, brutalement en frappant le volant de sa main droite : « Rien ! C'est rien p!tain ! ».
Qu'est-ce qui lui prenait. Cet excès de violence ne lui ressemblait tellement pas. Où était donc passé mon frère calme et taquin. La tristesse le rongeait, il se consumait et avait choisi l'autodestruction. Lui non plus n'avait pas prévu la mort de mon père. J'imagine qu'il n'arrivait pas à vivre paisiblement son deuil et qu'il préférait oublier ses chagrins dans des addictions destructrices, mais combien de temps Lounès, tu couleras comme ça ?
Le plus triste, c'est que notre communication est interrompue, chacun dans son coin, enfermé avec nos propres peines. Quelque part, j'avais tragiquement perdu mon père, mais d'une certaine façon mon frère s'en est allé à sa manière. Jamais il ne m'aurait laissé quitter le foyer sans lui. Il aurait attendri ma mère pour qu'elle me laisse rester. Aujourd'hui, il était silencieux, sans expression, de contentant de me déposer sans aucunes réflexions.
On s'est quittés sans même un au revoir, il ne s'est pas retourné une fois, me laissant là devant le train avec mes deux petites valises et l'immense solitude qui m'envahissait.
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Ezia - L'âme de mes larmes.
DiversosC'est l'histoire d'Ezia. Elle mène une vie quelque peu banale, rassemblant les petits tracas du quotidien. Arrive ce jour fatidique, qui marque le début de son immense chagrin. Son monde s'écroule, la plongeant dans un flot de solitude. Le chagrin s...