Chapitre 3 - Ivre mort.

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Je suis réveillée par les bruits des oiseaux. J'ouvre les yeux, jette un œil à mon réveil. Dix heures dix, comme chaque matin, je suis réglée. Je saute hors du lit, je cours presque dans la salle de bain pour me préparer. Je suis désormais en période de vacances et je suis soulagée. D'ailleurs mes résultats sont tombés, l'orale comme l'écrit représentaient l'excellence pour le plus grand bonheur de ma mère. Ce qui me valait donc un lâché prise de sa part pour les vacances.

J'enfile ma chaussure, attrape mon sac et sors de la maison sans bruit. Sur le chemin, je prends le temps de respirer. J'avais besoin de ça à chaque fois que je sortais. L'air qui entre en moi, me faisant oublier chacune de mes pensées. Je monte dans le bus, silencieuse, observatrice de ce monde qui vit. Je passe à la boulangerie et prends le petit-déjeuner. L'odeur du croissant m'envoûte complètement. J'arrive ensuite devant le bâtiment. Les mêmes sourires, le même chemin, le même ascenseur, les mêmes odeurs. Je frappe à la porte, déjà toute souriante, presque impatiente.

Sally, le sourire aux lèvres : « Très matinale aujourd'hui dis donc ! »

Moi, lui tendant le paquet chaud : « Toujours ! »

Elle plisse les yeux en dévorant du regard les pains au chocolat. Je m'approche ensuite près du lit et me penche vers lui. Il était toujours aussi calme, la même expression toujours aussi branchée. Chaque jour étaient les mêmes, tous les jours, je venais en espérant qu'il y ait du changement. Je passe ma main derrière sa nuque et la surélève délicatement. Je passe mon autre main sur l'oreiller et l'ajuste correctement. Je repose sa tête et arrange ses cheveux qui avaient désormais bien poussé. Je m'assois ensuite sur le petit fauteuil et le regarde encore pensive. Je tourne mon regard vers Sally qui se goinfrait sur son lit plein de miettes.

Elle, la bouche pleine : « Arrête de trop penser ».

Moi, levant les yeux au ciel : « Comme si c'était aussi simple ».

Elle : « Ce n'est pas ça qui va faire changer la situation, Ezia. Tu te fais du mal pour rien chaque jour.. »

Je ne dis rien et continue de réfléchir. Sally savait que je n'étais pas véritablement la cousine de Yumes. Elle avait fini par le deviner, car selon elle, "mon attitude était étrange". C'était fou, mais depuis le premier jour, je ne pouvais pas m'empêcher de lui parler, de la voir. C'était devenu vital de lui rendre visite, de papoter avec elle, de tuer mon temps à ses côtés. J'avais l'impression qu'en lui parlant, elle allégeait mes peines, elle me faisait penser à autres choses qu'à toutes mes peines. J'avais confiance en elle, elle m'aidait tellement à tenir. J'ai fini par tout lui dire, sans aller jusqu'au bout des détails évidemment. Seulement les grandes lignes pour qu'elle comprenne. Elle me regardait, les yeux remplis de larmes. À la fois pour mon père, pour ce que Yaz m'avait fait, pour ma mère, Lounès et enfin désormais Yumes..

J'avais eu du mal à encaisser le fait que Yumes soit dans le coma. Peut-être parce que je me disais, au fond, que ce problème allait durer autant de temps. Que ça allait me hanter encore pendant longtemps. Comme je savais que je ne pouvais pas l'abandonner, je me condamnais donc à survivre jusqu'à son réveil. Bien que Lounès sorte la tête de l'eau petit à petit grâce à nos petites sorties, l'état de Yumes m'empêchait d'être soulagée. J'étais à ses côtés depuis trois semaines à présent, à ne me soucier que de son état et de son rétablissement. Il était dorénavant ancré dans mon quotidien, de même pour Lounès. Finalement, ils étaient les deux seules raisons de ma présence sur cette Terre. Je ne pouvais pas les abandonner.

Sally : « Des nouvelles de la police ? »

Moi : « Non, rien. Ce n'est pas plus mal d'ailleurs ».

La police m'avait bel et bien convoqué. Quelques jours après mon arrivée, ils m'avaient demandé ma version des faits. Finalement, comme rien ne pouvait retracer ce qu'il s'était passé, ils ont fini par classer l'affaire sans suite. C'était un moment stressant, mais j'étais quand même contente d'avoir pu y échapper. D'ailleurs, ils avaient vite démasqué que je n'étais pas sa cousine comme je le prétendais. J'ai dû mentir en leu disant que j'étais sa petite amie, mais que j'avais menti pour pouvoir rester auprès de lui. Par chance, ils n'étaient pas aigris ce jour-là et ont compris ma situation. Je m'en voulais de mentir autant et surtout de mêler Yumes à tout ça. Mais il le fallait, je n'avais toujours aucun moyen de retrouver un de ces proches, alors je me devais d'être à ses côtés. C'était la moindre des choses, j'imagine..

Moi : « Je regrette quand même d'avoir pas pu leur demander plus d'information pour trouver quelqu'un de sa famille ».

Sally : « Hum. C'est vrai que là ça va être compliqué. Et puis même concernant celui qui l'a renversé, le pauvre, on ne saura jamais qui lui a fait ça .. »

Je déglutis et sens mes joues chauffer. Je me lève instantanément et fait mine de chercher quelque chose dans mon sac. Si seulement Sally savait toute cette histoire. Comme je ne lui avais fait part que des grandes lignes, jamais, elle ne pouvait se douter que j'étais là raison du malheur de Yumes. J'étais la seule coupable de cette histoire, j'étais impliquée jusqu'au pied et je ne savais finalement que mentir depuis le début. Même si c'était Lounès qui l'avait renversé, c'était moi qui avais décidé tout ça.
Elle me voyait comme une pauvre jeune fille, remplie de pitié à mon égard alors qu'elle n'avait pas idée de ce que j'avais fait. Est-ce que la compassion pouvait prendre le dessus ? Était-il possible de comprendre ce que j'avais fait, comprendre la décision que j'avais prise ? Je ne sais même pas si moi-même, je l'acceptais, je préférais m'accuser de tout plutôt que devoir repenser à ce dilemme. Je ne savais pas où placer la morale de cette situation, car dans les deux cas, j'étais un dommage collatéral. Mais j'avais des responsabilités, j'avais un devoir, un engagement d'abord envers Lounès, ensuite envers Yumes.

Moi : « Il faut que je retrouve quelqu'un de sa famille. Je ne dois pas le laisser tout seul ».

Elle : « Il n'est pas tout seul, il t'a toi Ezia ».

Ezia - L'âme de mes larmes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant