Chapitre 2 - Absence d'existence.

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Les heures sont passées, ce qui me laisse désormais face à un magnifique coucher de soleil. Les nuages s'entremêlent dans les couleurs chaudes du ciel. Mon âme s'envole, et soudainement, je m'imagine dans les airs. Ça doit être apaisant de n'être qu'un flot de nuage. De ne plus exister, de ne plus ressentir quoique ce soit. Simplement voler, de part et d'autre, d'une terre à l'autre. Ne plus pleurer, ni même être en colère. La haine s'échappe, l'amour n'existe plus. Finalement n'être qu'une seule chose, aussi légère que l'air, portée par le vent aussi loin et pendant longtemps.

Comment calmer le feu des douleurs ? Comment ne pas vouloir disparaître pour être dans les airs ?
J'essaie de les faire taire, ces pensées qui m'envahissent à longueurs de journées. Elles me déconcentrent, me poussent à partir. Mais la loyauté envers mon frère m'en empêche. Elle se bat, corps et âme, avec dévouement. Pour ne pas céder. Il ne faut pas que je cède. Pas maintenant.
Pourtant, ce n'est pas l'envie qui m'en manque. Je me lève toujours face à cette vue admirable. Mes mains se posent à présent sur la barrière froide. Je la tiens fermement, comme pour lutter contre mon corps. Je sais pertinemment ce que je peux faire. C'est à portée de main. En quelques secondes, tout peu basculer, et la douleur peut enfin s'éteindre. Tout en moi le veut, tout en moi aimerait en finir. Je ferme les yeux, de sorte à reprendre le dessus.

Non, pas maintenant, il est trop tôt.

Je prends le temps de souffler, je laisse l'air entrer dans mes poumons. J'essaie par tous les moyens de les faire taire. J'aimerais que mes pensées s'envolent, ce n'est pas le moment, j'ai encore un peu de chemin à faire. Mais c'est trop fort, tout est si dur. Je la sens, je ne peux pas m'oublier cette douleur. Chaque moment passé est une torture. Les secondes de cette vie me rongent, j'aimerais que tout s'éteigne. J'aimerais ne plus souffrir, ressentir ce mal-être.

J'ouvre les yeux, à présent humides. Je penche ma tête vers le vide. C'est loin, c'est profond, c'est vide. Tiens, c'est drôle. Le vide m'attire, peut-être parce qu'il me ressemble au fond. Je ne suis que ça, vide, entièrement vide. Je ferme à nouveau les yeux, tenant toujours fermement la barrière des deux mains. Cette fois-ci, je sens mon corps vaciller, il penche légèrement, mes talons se décollent faiblement. Toujours les yeux fermés, je le sens, le vide.
J'ouvre instantanément les yeux, mon corps est fortement incliné, ma tête est vers le bas, mais les mains sont toujours vigoureusement agrippées à la barrière. Lorsque j'ouvre les yeux, j'ouvre la bouche de sorte à aspirer l'air frais. Je réalise que je suis face au vide. Je me redresse rapidement et recule précipitamment.
Je pose mes deux mains sur ma gorge, toujours en respirant grossièrement. Je réalise. Je réalise que pour très peu, j'y passais. Et, Lounès n'aurait eu personne à ses côtés. En quelques minutes, j'étais prête à lâchement l'abandonner. Même ici, j'arrivais encore à me détester. Prête à mourir, mais dans la lâcheté. Je suis déboussolée, je recule et finit par trébucher. Finalement, je m'allonge sur ces graviers. Je regarde le ciel, désormais assombrit. Je ne peux pas lâcher maintenant, pas après tout ce que j'ai vécu. Je peux faire ce dernier effort, je peux l'aider à s'en sortir. Je dois prendre sur moi, je dois me confronter à lui. Je sais que mon père voudrait que Lounès aille mieux. Si l'intervenant Yamar a réussi à s'en sortir, rien n'était perdu pour Lounès. J'avais encore ce petit espoir et c'est ça qui allait me nourrir. Je me relève et essuie mes vêtements. Je retourne vers l'entrée de la trappe, attrape mon sac à dos et refait le chemin inverse. Pendant que je replie l'échelle, j'entends du bruit au fond du couloir.

... : « Vous savez mam'zelle que vous n'avez pas le droit d'être là ».

Je me retourne et fait face à un des voisins du bâtiment. Un vieux monsieur qui habite au dernier étage.
Je le regarde silencieusement.

Lui : « Qu'est-ce que vous foutiez là-haut ? »

Je le regarde toujours, mais je ne lui réponds pas. Je pense que j'étais toujours un peu déconnecté, je planais légèrement, réalisant que quelques minutes avant, j'aurais pu disparaître de ce monde.

Lui : « Et bah voyons ! C'est qu'elle ne va pas me répondre la petite. T'facon c'est que ça ici, que des malpolis, et toujours les mêmes d'ailleurs. Allez dégage vite de là avant que j'appelle les flics ».

Je ne réponds toujours pas, indifférente face à ses propos. Je marche vers les escaliers et rejoins mon palier. C'était comme si le monde s'était arrêté. Et, j'avais pris conscience de la possibilité d'arrêté ma vie à tout moment. J'aurais pu ne pas avoir eu cette conversation avec ce voisin. Ni atteindre ce palier et ouvrir ma porte d'entrée, saluer ma mère, m'allonger sur mon lit. Si je m'étais penchée un peu plus dans le vide, tout ça n'aurait pas pu avoir lieu. Tout ce serait arrêté en un seul moment. En une seconde. Plus de retour en arrière.

Est-ce que j'en étais vraiment capable ?

Bizarrement, mes pensées s'étaient calmées. Comme si mon acte les avait surprises. C'est vrai ça, c'était la première fois que je me confrontais à moi-même et à la fin de ma vie. Finalement, je ne savais pas ce que je voulais. Mais une chose est sûre, c'est que je savais que j'allais enfin, après tout ce temps passer à l'action avec Lounès. Je ne savais pas dans quoi je m'embarquais, car je ne savais pas réellement comment faire pour l'aider, mais j'avais l'intime conviction que je devais le faire. Je ne voulais pas qu'il finisse par faire des choses qu'il regrette et surtout qu'il s'en prenne à sa propre famille. Je crois qu'après cette action, je m'étais persuadée qu'il ne fallait pas que je parte sens accomplir ma dernière mission. Peut-être comme un adieu respectueux envers ces petites années de vies que j'ai pu partager. Bizarrement, je ne me souciais de personne d'autre. Ni ma mère, ni ma tante ou ma famille ne me retenait. Certainement que la haine était encore trop forte, et peut-être que l'image de ma tante était désormais ternie à mes yeux par l'acte immonde de son fils. Il n'y avait que mon frère, cet engagement fraternel que nous partageons depuis ma naissance. Comme une grâce que je pouvais lui rendre, pour toutes ces années à veiller sur moi. Je ne sais pas s'il comprendra mon départ, mais je ferais en sorte qu'il connaisse le contenu de mes pensées. J'omettrai sûrement la partie concernent Yaz, je ne veux pas que Lounès puisse avoir le sang de son cousin sur les mains. Je me conforte dans l'idée que son cœur puisse accueillir mon choix, qu'il ne soit pas trop triste et qu'il comprenne mes multiples raisons. Finalement, j'aimerais qu'il garde ce souvenir de moi, celui de sa petite sœur qui l'aimait tant et qui l'aura aidé avant de partir.

Ezia - L'âme de mes larmes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant