Chapitre 2 - Absence d'existence.

73 4 0
                                    

Je relève la tête, que j'avais commencé à enfouir entre mes bras. Je fronce les sourcils. Combien y avait-il de chance pour que ce sujet-là soit abordé ? Je prends quelques minutes avant de me confronter à la réalité.

Yamar : « Alors personnellement, ça fait pas mal de temps que j'ai pu délaisser la consommation de drogue et surtout l'alcool. Bon, ça n'a pas été un chemin facile, mais j'aimerais quand même, vous prouvez, par ma présence, que c'est possible et qu'il ne faut pas désespérer ».

Je commence à avoir les yeux brillants, cette situation me fait tout de suite penser à Lounès. Moi qui cherchais en vain une solution, c'était comme si toutes les réponses s'offraient à moi. Peut-être que j'allais comprendre et enfin pouvoir me sentir utile.

Yamar nous fait part de son expérience et nous explique comment il est tombé dedans. Il a eu un accident de voiture quand il était jeune et sa petite copine de l'époque est décédé sur le coup. C'était son premier amour, et il n'a pas su s'en remettre. Petit à petit, il a commencé à changer de fréquentation, il ruminait dans le noir et n'avait rien pour s'accrocher. Et il nous raconte qu'un seul jour a fait commencer son cauchemar. Il a suffi d'un seul jour pour que ses démons s'enchaînent à lui pendant de longues années. Quand il parlait, j'étais tellement attentive. Au bout d'un moment, j'avais l'impression de le voir, Lounès, assis sur ce petit tabouret face à une trentaine d'élèves. Je l'imaginais avoir vaincu tous ces poisons, levant la tête fièrement et me regardant plein de réconfort.

Yamar nous raconte qu'il a suffi d'une rencontre pour commencer la drogue. On lui a proposé comme ça, en pleine après-midi d'été. Ses nouvelles fréquentations, qui pensaient l'aider. On lui a vendu comme remède miracle contre ses malheurs. On lui a dit qu'avec ça il oublierait le poids de ses douloureux chagrins. Mais c'était finalement qu'une illusion. Après toutes ces années passées, il s'est finalement rendu compte qu'il s'était jeté lui-même dans un ravin. Qu'en acceptant ce sois disant remède, il en était ressorti plus malade qu'avant. Chaque journée passée était une journée en plus de souffrance. Une journée en plus où il s'enfonçait dans un sable mouvant. Comment un jeune d'à peine vingt ans est-il censé se prendre en main ? Comment est-il censé s'en sortir seul ? L'addiction avait pris place et le goût de l'échappatoire était trop fort. Fuir ses problèmes, fuir ce monde beaucoup trop dur.
Pour couronner le tout, l'alcool, cette boisson enivrante. Cette boisson qui voyageait dans plusieurs mondes. Cette boisson qui nous déconnecte de la réalité.

Je déglutis. Je passe à présent ma main dans mes cheveux. L'anxiété parcourt rapidement mon corps. J'ai peur, peur que les flashs me reviennent. L'odeur remonte dans mes narines ce qui me donne presque la nausée. Yamar poursuit en détaillant minutieusement les conséquences de l'alcool et se met à insister sur les regrets.

Yamar : « On n'en a pas forcément conscience, mais une personne alcoolique peut s'avérer être une autre personne dans un moment d'ébriété. Un membre proche de vous, peut avoir un comportement complètement différent de ses habitudes. Ce n'est plus vraiment la raison qui dirige, l'individu est poussé par certaines pulsions pas forcément réfléchies. Et parfois même, il se peut qu'il n'ait plus conscience de votre personne, vous devenez qu'une autre personne parmi tant d'autre. Et il est là, le réel danger, les dégâts sont irréversibles pour les victimes qui très souvent sont en premier la famille ».

J'étais entièrement figée. Je ne bougeais plus, j'étais complètement immobile. Je n'entendais que les battements de mon cœur. Je n'avais qu'une envie, c'était de partir, m'enfuir loin et ne plus penser à rien. Mais j'étais bloquée, mon corps ne trouvait pas la force d'émettre ne serait-ce qu'un léger mouvement de bras. Mes cuisses commencent à trembler, toutes les deux s'intensifiant davantage.

Sauvée par le gong. La sonnerie retentit. Ça faisait déjà une heure. La dernière heure de la journée. Je cours pratiquement, mon sac sur mon épaule. Je ne réfléchis plus, je me contente juste de fuir. Je rentre chez moi, silencieuse. Mon cœur bat toujours aussi vite, l'anxiété est toujours là. J'étais confuse, j'avais à la fois un peu plus d'espérance face au cas de Lounès, mais d'un autre côté mes propres cauchemars me rattrapaient constamment. J'arrive devant mon bâtiment. Je monte les escaliers, marche après marche. Je ne m'arrête pas à mon étage, je continue encore jusqu'au dernier. Je lève la tête, l'envie de prendre de la hauteur me prend. Ma respiration est saccadée après avoir monté toutes ses marches. Je tends les bras vers le mur d'en face, de sorte à descendre la petite échelle pliée. Je ne sais pas ce que je fais, mais je le fais quand même. Je mets correctement mon sac de cours sur mon dos, et grimpe sur la première marche. Arrivée en haut, je pousse la petite trappe verrouillée par un petit loquet. Elle s'ouvre vers l'extérieur, je passe ma tête, le vent parcourt mes cheveux ce qui recouvre tout mon visage. D'une main, je les plaque vers l'arrière et reste immobile face au silence du lieu. Le vent s'éparpille sur mon visage, je ferme les yeux face à la douce fraîcheur qui me caresse. Le toit est vide, d'un seul regard, on peut voir l'ensemble des bâtiments de ma ville. Je me décide à grimper totalement et pose enfin mes deux pieds fermes au sol. En étant debout, la vue était encore plus surprenante. Je me souviens êtes venue qu'une seule fois avec mon père étant petite. Il était venu récupérer un ballon que les petits du quartier avaient coincé. Je n'étais jamais montée, je ne voyais le ciel que d'en bas. J'avais essayé de mettre mon minuscule pied sur la première marche de l'échelle, mais les gros yeux de mon père m'avaient dissuadé de monter plus haut.

Aujourd'hui, mon corps m'avait poussé jusqu'ici. Comme s'il se souvenait d'une action inachevée. Finalement, j'étais contente de ne voir ça que maintenant. C'était tout ce dont j'avais besoin à cet instant présent. Me retirer des autres, distraire mes pensées le temps d'un instant. Je m'approche doucement. Je laisse mon sac au sol et l'avance vers la barrière la plus proche. Je regarde chaque bâtiment, les plus grands, les plus proches ou encore les plus petits. Je vois tout, je vois la grandeur des choses, mais à la fois l'insignifiance de l'humain. Tout est si grand, si vaste. L'humain ne représente rien dans ce monde de géant. Je m'assois, les genoux repliés contre ma poitrine. Je contemple la vue, en silence, en entendant que le bruit du vent. Mes cheveux virevoltent dans tous les sens.

Je repense.

Les mots de Yamar ne s'effacent pas. C'était comme s'il s'était adressé à moi. Les dégâts de l'alcool sont irréversible. Pour la première fois, je me mets à penser à Yaz. Son nom résonne dans ma tête, la sensation est étrange. Je pense à lui et à ce qu'il a fait. Je crois qu'il m'était difficile d'y croire, bien que les souvenirs m'accompagne et me le rappelle tous les jours. Comment je pouvais croire une seule seconde que lui, lui aurait pu me faire ça. C'était inimaginable. Après toute la confiance que je lui attribuais, après tout ce temps passé à combler mon manque fraternel. Comment le pouvoir d'une boisson pouvait-il l'amener à agir de la sorte ? Je ne pouvais pas accepter que Lounès en arrive à la. Non, c'était inconvenable que mon grand frère puisse perdre autant la raison et faire.. et faire l'innommable ! J'étais en colère, en colère contre Yaz mais aussi contre ces substances. C'est un véritable poison qui détruit l'homme.

J'ai perdu mon cousin.
Je ne perdrai pas mon frère.

Ezia - L'âme de mes larmes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant