Chapitre 4 - Rose épineuse.

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Ses joues étaient inondées de larmes. Elle agrippait fermement son chemisier, sa douleur semblait la prendre à la poitrine. Je l'entendais à présent sangloter, comme un enfant qui venait de se blesser. Ma mère exposait une part de sa fragilité au grand jour.

Elle, bafouillant : « C'est invivable.. Je.. C'est.. C'est si douloureux, ça me fait mal. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je pleure.. ».

Elle passe ses mains sur ses yeux et redresse ses cheveux, qui recouvrait son visage derrière ses oreilles. Ses mains tremblaient, mais je voyais bien qu'elle essayait malgré tout de garder ses émotions devant moi. Elle ne voulait pas éclater, ça serait un échec à ses yeux. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'être psychorigide, même dans ses émotions, elle contrôlait tout minutieusement.

Elle, inspirant : « Je sais bien que je n'ai pas fait ce qu'il fallait. Mais je ne pouvais pas mettre de côté le fait que j'ai perdu.. Si subitement, mon mari.. » elle baisse la tête en mentionnant ce dernier mot.

Je ne savais pas quoi lui répondre. J'étais finalement dans une situation dans laquelle je perdais toute maîtrise de ma personne. Je ne savais pas quoi dire, ni comment me comporter. Elle me livrait une nouvelle facette d'elle que je n'avais jamais vu jusqu'à présent, j'avais peut-être un peu peur au fond de moi de mal m'y prendre, de mal réagir face à elle. C'était nouveau et je dois avouer que tout ce qui est nouveau m'angoissait. Est-ce qu'elle attendait une certaine réaction de ma part ? D'un autre côté, je ne pouvais pas nier ce que j'entendais. Ma mère avait perdu l'amour de sa vie, ma mère avait perdu son cher et tendre mari. Elle avait mal géré cette perte, c'étaient les faits. En revanche, je crois qu'une part au fond de moi la comprenais. C'était bizarre, mais jusqu'à présent, je ne réalisais pas ce que la mort de mon père provoquait pour chacun d'entre nous. Je ne me contentais que de ne penser qu'à mon chagrin, qu'à ma propre douleur. Égoïstement, je pensais être la seule à souffrir aussi intensément. Mais déjà avec Lounès, j'avais ouvert les yeux sur sa tristesse. Concernant ma mère, je n'avais jamais vraiment poussé ma réflexion. Je la voyais physiquement en deuil, mais je ne cherchais pas à savoir ce qu'elle ressentait mentalement. Sûrement trop occupée à me morfondre dans mes propres douleurs. Il faut croire que l'humain devient égoïste dans ces moments-là. Je sais au fond de moi que je me plains et que je suis lâche face à cette vie. Je sais que d'autres vivent pire que moi, que d'autre souffrent plus encore que moi. Je ne peux pas m'empêcher d'être détestable, je ne pense qu'à moi et qu'à mon petit monde. Je me morfonds telle une égoïste, ignorant la douleur des autres. Il ne m'était pas difficile de reconnaître tous les défauts qui m'habitaient. Mais ma mère en avait aussi et je ne pouvais pas l'ignorer. Ma haine et ma colère m'aveuglaient. Je ne pouvais pas voir ce que ma mère ressentait bien que je le comprenais. Je n'arrivais pas à ne pas lui en vouloir. Finalement, on souffrait tous, et on avait juste besoin d'elle. Je lui en voulais de souffrir plus que moi, elle n'avait pas le droit. Pas après avoir abandonné ses enfants. Elle avait choisi d'être égoïste dans un moment aussi dur. Je ne pouvais pas oublier, pas quand je voyais l'état actuel de Lounès.

Je ne dis rien et me retourne. Je marche silencieusement vers le couloir pour regagner ma chambre. Je referme la porte de ma chambre, complètement indifférente. Je crois qu'il était trop tard, trop tard pour changer quoique ce soit.
Ce soir-là, je tente de m'endormir en essayant de faire le vide. Cette journée avait été épuisante, c'était si dur de devoir supporter tout ce remue-méninge émotionnel.


Je ferme enfin les yeux et m'évade dans de profonds songes.

... : « Ezia.. Ezia ! »

C'est bizarre, tout est flou et j'ai du mal à voir. C'est comme s'il y avait beaucoup de brouillard.

... : « Ezia ! »

Cette voix, je ne sais pas d'où elle vient. J'ai mal à la tête et je ne vois rien. J'avance un peu vers la lumière même si elle me fait terriblement mal aux yeux.

... : « Ezia, je sais que c'est toi ».

Hein ? Mais qui est cette voix ? D'où elle vient ?

... : « Avoue-le, c'était toi ».

Je ne reconnais pas cette voix. Ça résonne dans ma tête. C'est une voix rauque, une voix d'homme très calme. C'est presque apaisant, mais très mystérieux. Je continue de marcher en cherchant d'où vient cette voix. J'ai envie de répondre, mais je n'y arrive pas.

... : « J'ai tout vu Ezia, je sais ce que tu m'as fait ».

De quoi il parle, j'ai envie de lui crier de m'éclairer, mais je n'y arrive pas. Je continue de marcher vers la lumière, et peu à peu, je vois un peu mieux. La lumière disparaît en quelques secondes et laisse place à la nuit. Il se met à pleuvoir, je suis seule dans une petite ruelle illuminée par un lampadaire. Il pleut des cordes, mes cheveux sont trempés. Mais c'est étrange, je n'ai pas froid. La pluie ne me donne pas froid et il n'y a aucun vent.

... : « Ezia ! »

À présent, la voix hurle mon prénom. Tout en moi a envie de répondre, mais je n'y arrive pas. Je suis comme bloquée. Les échos se rapprochent et effleurent mes oreilles. J'ai l'impression qu'il est tout prêt. À peine, j'ai le temps de cligner des yeux, il est déjà là, devant moi.

Yumes : « Ezia ».

Il se tient devant moi, nos respirations s'entremêlent presque. J'avais l'impression d'entendre les battements de son cœur. Mais je ne pouvais rien dire. La pluie s'abat sur nos corps, il n'y a que le bruit de la pluie qui s'écrase sur le sol et le son de sa voix qui résonne.

Yumes : « Ezia, dis-moi pourquoi tu m'as fait autant de mal ».

Hein ? Mais de quoi il parle.

Yumes : «  J'ai tout vu Ezia, tout ça, c'est à cause de toi ».

C'était comme s'il me murmurait à l'oreille tant sa voix résonnait en moi. Je suis perdue, je ne sais pas ce qu'il raconte. Ma respiration s'accélère, je ferme les yeux, je me sens emportée.

Yumes : « Tu es coupable, tout est ta faute ».


Mon téléphone se met à vibrer. Je me lève d'un coup en sursautant. Je suis toute transpirante, mon dos est trempé. Mon front est brulant. Je regarde l'écran de mon téléphone, paniquée par la sonnerie persistante. Je ne connais pas le numéro, il n'est pas enregistré dans mon téléphone. Ma main tremble, je ne suis toujours pas remise de ce rêve, ou alors était-ce un cauchemar ? Je décroche rapidement. Je lève faiblement mon bras vers mon oreille.

Moi, d'une voix enrouée : « Oui.. »

... : « Oui bonsoir madame, c'est l'hôpital. Je me permets de vous appeler au sujet de Yumes Siyuna. Votre numéro étant sur sa feuille de renseignements. Je vous annonce qu'il s'est enfin rétabli. Il vient tout juste de reprendre conscience, le docteur est à son chevet et surveille ses réactions. Nous vous attendons au plus vite ».

Ezia - L'âme de mes larmes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant