Chapitre 3 - Ivre mort.

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À ce moment-là, voir les larmes de mon frère couler provoque en moi une réaction. Depuis l'enterrement de mon père, je n'avais plus revu Lounès pleurer. Il se cachait pendant tout ce temps derrière cette image d'adulte. Finalement, il restait un petit enfant dépassé par les événements. Je sens en moi comme un coup d'adrénaline. Après avoir passé tout ce temps à ne rien ressentir, à n'être qu'à la merci de mon propre corps. Ne ressentir que le vide et l'absence d'émotions. Je ressentais tout, c'était comme si je renaissais. L'amour, la peur, la tristesse, tout refaisait surface. Je le ressentais enfin, ce truc qui donnait vie à mon corps, à mon âme, à mes pensées. Mais quelque chose avait changé. La douleur, elle était comme effacée. Je ne pensais qu'à une chose, mon frère. Tout au fond de moi me faisait penser qu'une, et seule chose comptait à présent, mon grand frère. Il n'y avait plus de place pour moi et mes problèmes. Ma propre souffrance ne devait plus exister, en tout cas pas fasse à celle de mon frère. Il ne pouvait pas y avoir deux souffrances dans un seul corps alors, j'avais choisi de supporter celle de mon frère jusqu'au bout. En le voyant pleurer, tout ceci s'était débloqué. Je le sentais comme une quête intime, que je devais faire tout ça pour lui et qu'à ce moment précis. Il n'avait besoin que de moi. J'étais la seule qui pourrait le sortir de là, en toute circonstance. Je le sentais au fond de moi, c'était une évidence et c'était surtout ça qui en un instant m'avait donné une force incroyable.

Moi, attrapant la main de Lounès : « Arrête de pleurer ».

Lui : « Ezi.. »

Moi : « Ça suffit ! Ça va aller j'te dis ! Laisse-moi faire Lounès ».

Je lâche sa main et regarde devant moi. Les phares illuminent la route, il n'y a personne, pratiquement aucun passage. La nuit est déjà bien tombée. Il faut que je fasse vite, que je constate vite les dégâts et que je prenne rapidement une décision. Je suis un peu tétanisée, j'avoue que je n'ai aucune idée de ce qui va se passer par la suite. En l'espace d'une seconde, je me remets en question. Et si je n'y arrivais pas, et si tout ce que je fais ne suffisait pas pour aider Lounès. Je reprends mes esprits. Je n'ai pas le choix. Que ça fonctionne ou non, je me battrai pour mon frère. J'ouvre énergiquement la portière, je sors de la voiture.

Moi : « Éteins les phares et reste là ».

Je me dirige vers l'arrière de la voiture. Je suis supposée chercher un corps. Je déglutis, jamais, j'aurais pensé devoir faire ça un jour. Je balance mon regard de part et d'autre de la route, puis je l'aperçois. Faiblement illuminé par le lampadaire, je vois un corps inanimé au sol. Il était loin et semblait avoir été propulsé. Je cours dans sa direction, en ne pensant à rien, sans savoir ce que j'espérais au final. Je cours aussi vite que je peux, la panique au ventre. Mes cheveux étaient complètement trempés, ils se collaient sur mon visage. J'avais l'impression de courir au ralenti, comme dans un cauchemar. Finalement, cette soirée ressemblait à un cauchemar. J'étais emprisonnée dans cette scène et je n'avais pas le choix d'en être le personnage principal.

J'arrive vers la victime. Je tremble, j'ai froid. Le corps est tout ensanglanté, son visage est tourné vers le sol. C'est un homme, d'apparence il paraît assez jeune, je dirai légèrement plus vieux que moi. Mon cœur se glace, j'étais confuse face à tout ce qui se présentait devant moi. Un mélange de culpabilité, de peine, mais surtout d'angoisse. J'étais terrifiée de devoir peut-être me dire que ce jeune avait perdu l'occasion de vivre une belle vie. Tout ça parce que Lounès avait été prisonnier de ces démons, de ces substances enivrantes. Je n'arrivais pas à en vouloir à mon frère parce que je l'aimais malgré tout. Mais j'avais sans doute du mal à accepter celui qu'il était devenu.

Je m'accroupis vers le jeune homme, et tends ma main vers lui. Je tremblais encore plus que tout à l'heure. L'ambiance était bizarre, tout était lent, mais à la fois si rapide. Je réfléchissais rapidement, mais j'avais l'impression que ça durait une éternité. Je pose ma main sur son corps mouillé et le tourne sur le dos. Je voyais à présent son visage. Il était si jeune, mais ses traits lui donnait un air mature. En voyant son visage, son expression inconsciente, une larme s'échappe et coule sur ma joue. C'était terrible, je paniquais, je ne savais pas quoi faire. Je claque volontairement ma joue pour reprendre la raison. Je ne devais pas craquer, je devais agir.

Moi, de ma petite voix : « Monsieur ! »

Il ne me répond pas, ses yeux sont toujours fermés.

Moi, derechef : « Monsieur ! Monsieur, répondez-moi je vous en supplie ! »

Je passe la main sur sa joue froide, remplit d'égratignures. Miraculeusement, il plisse très faiblement les yeux. Mon regard plonge dans le sien, en lui transmettant toutes les excuses du monde. Mes yeux brillaient de culpabilité.

Moi, affolée : « Monsieur, vous m'entendez ? »

Il me regarde, sans rien dire et referme ses yeux. Ils les rouvrent quelques secondes et trouve la force de tourner la tête en direction de la voiture. Enfin, il les referme.

Moi : « Monsieur ! Monsieur, restez avec moi ! »

Je me relève, paniquée, j'étais perturbée, mais au fond de moi, j'étais soulagée de savoir qu'il n'était pas mort. Je ne savais pas vraiment comment les choses allaient se passer dans l'avenir, ni pour lui, ni pour moi ou encore Lounès. Je me mets à réfléchir. L'urgence étant de lui sauver la vie, et je devais me dépêcher d'agir. Je savais une chose, Lounès ne pouvait pas rester. Il ne pouvait pas être là, alors qu'il était le fautif. Je devais le protéger, je devais l'éloigner de tout ça coût que coût. Je cours en direction de la voiture. Lounès avait sa tête entre ses mains. J'entre et me mets près de lui. J'attrape ses deux poignets et le force à me regarder.

Moi : « Lounès écoute ! »

Lui, sanglotant : « Ezia je.. »

Moi, l'interrompant en criant : « Non ! Ça suffit, tu m'écoutes maintenant ! J'ai été voir Lounès, c'est bon, ça va aller. Je vais m'en occuper, toi, tu rentres, ok ? Ça va aller, je vais tout arrangé, fais-moi confiance Lounès. Prend juste la voiture et pars, pars loin d'ici et rentre à la maison. Je t'en supplie Lounès, écoute-moi. »

Ezia - L'âme de mes larmes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant