Lounès me regarde, j'ai l'impression qu'il est perdu. Je sais très bien ce qu'il pense à ce moment-là. Déjà, il n'est pas vraiment lui-même parce qu'il est en manque. Mais surtout, cette situation n'arrange rien. J'ai peur de le laisser partir seul, de finalement le laisser affronter ça seul. Mais je n'ai pas d'autre choix et c'est la décision que j'ai due prendre.
Moi : « Allez ! Fonce ! »
Il s'exécute, démarre et part en trombe. Un petit problème de régler, mais il en est encore trop tôt pour être soulagée. Je me retrouve maintenant seule à devoir gérer. Il va falloir que je me fasse confiance et que j'assume chacune de mes décisions. Je me dirige vers le jeune homme, en chemin, je sors mon téléphone pour appeler les secours. J'étais stressée, mais j'essaie de garder mon sang-froid. Je m'accroupis au sol, près de son corps. La pluie est toujours très forte et je commence légèrement à trembloter. Toujours en attendant qu'on me réponde, j'essaie d'enlever d'une main mon gilet. Si j'ai froid, il doit sûrement avoir plus froid que moi. Je le recouvre comme je peux, même si ce n'est pas suffisant. Je patiente dans l'espoir qu'on me réponde rapidement.
... : « Pompiers, ambulances, bonsoir ».
Moi, tremblotante : « Oui madame, je voudrais de l'aide, il y a eu un accident, c'est une urgence ! Ce garçon.. Il va.. Il va mourir ! »
... : « Calmez-vous madame, on va intervenir au plus vite. Donnez-moi l'adresse s'il vous plaît ».
Je lève la tête, il n'y a rien autour de moi. Je cherche du regard ne serait-ce qu'un indice pour me repérer. Il y a ces grands immeubles et quelques petits commerces juste à côté.
Moi : « Je.. Je vois pas très bien. Il n'y a pas grand-chose, mais je vois une boulangerie pas loin, avec comme nom.. », je plisse des yeux pour mieux voir. « La baguette de fée.. Oui ! C'est ça, la baguette de fée ! Je vous en supplie venez vite ! »
... : « Les secours sont envoyés, madame. Qu'est-ce qu'il s'est passé, dans quel état se trouve le monsieur ? »
Je me fige. C'était horrible, je savais pertinemment ce qu'il s'était passé, mais je devais mentir. Je l'avais décidé, je devais aller jusqu'au bout, pour Lounès.
... : « Madame, vous êtes toujours là ? »
Moi : « Euh.. oui.. Je suis là ».
... : « Très bien, avez-vous vu ce qu'il s'est passé ? Comment se porte la victime, est-ce qu'elle est consciente ? »
Moi, je déglutis : « Non, je n'ai rien vu. Je l'ai trouvé allongé au sol. J'ai essayé de l'appeler, il a ouvert les yeux quelques secondes puis les a refermés très rapidement. Il respire toujours, mais ça a l'air très grave, je ne sais pas s'il va pouvoir tenir longtemps ! »
... : « D'accord, restez auprès de lui. Les secours sont en chemins et ne vont pas tarder. Je reste avec vous au téléphone. »
J'étais étonnée d'avoir menti aussi facilement. Je crois que comme la vie de Lounès en dépendait, tout mon être s'efforçait d'être performant. J'étais seule, face à cet homme qui semblait souffrir, même s'il ne donnait aucun signe de vie. J'avais peur pour lui et je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir une tonne de regret. Pourtant, je n'étais pas vraiment la fautive, je n'étais qu'un dommage collatéral dans toute cette histoire. Mais, dès lors où j'avais menti, et caché toute la réalité de cette histoire, j'étais désormais complice. Je participais donc à toutes les peines qu'allait avoir cette personne. Je serais aussi responsable de toute sa convalescence, de chacune des séquelles qu'il porterait en lui. Et dans le pire des cas, je serai aussi responsable de son décès.
Je dois porter tout ça en moi, que je ne le veuille ou non, j'avais fait ce choix et il était trop tard pour faire marche arrière. J'avais décidé en quelques secondes de me sacrifier et porter tous ces poids. Mais, je ne crois pas que j'aurai pu faire autrement. Je ne crois pas que j'aurais pu échapper à cette décision. Si mille fois cette scène se présentait à moi, je crois que je ferais encore les mêmes choix. C'était inévitable, car l'inverse me serait insurmontable.
Alors quoi, je devrais laisser Lounès endosser tout ça ? Je devrais laisser mon grand frère, porter tout ça seul alors qu'il n'est même pas lui-même. Il est sûrement déjà coupable de s'infliger ça, de nous infliger ça depuis des mois. Et me dire qu'il a pu remettre en question son existence sur Terre me suffit terriblement pour sacrifier tout ce qui puisse exister dans ce monde.
Je me penche vers le corps allongé, pose ma main sur la joue du jeune homme. J'avais mal au cœur de le voir dans cet état. Il était jeune et avait la vie devant lui. Malgré ça, je ne pouvais pas m'empêcher de voir cette mine qu'il portait. Son visage était fermé, tendu, comme si la dureté de ce monde l'accablait. J'étais toujours autant paniquée, alors chaque seconde, je passais ma main sur son coup pour sentir son pouls et j'approchais mon oreille près de son nez pour l'entendre respirer. J'attendais patiemment, tandis qu'à mes yeux les minutes paraissaient des heures.
Les secours sont arrivés en trombe, perturbant le silence de mort qui régnait au milieu de la pluie.Cette sirène, ces lumières. Mon cœur se crispe, je commence à avoir le tournis. Je pose ma main sur mon cou. Je lâche mon téléphone qui s'écrase au sol. J'avais l'impression de revivre ce jour, de revivre le début de mon mal-être. Le début de tous ces problèmes, de toute cette souffrance. Mon cœur se remettait à crier, se torde de douleur. Je fais une crise d'angoisse, j'ai l'impression que mon souffle se coupe. Que je n'arriverai pas à reprendre ma respiration. Tout devient si lent, si angoissant. Le bruit, les lumières, tout me heurte si violemment. Je pose mes deux mains sur le sol mouillé. Mes cheveux trempés traînent sur le sol. Et la pluie s'abat sur ma nuque. Je regarde le goudron. Ma tête me fait mal et je peine à respirer. Un bourdonnement assaille mes oreilles. Je suis triste, terriblement triste. C'est une douleur que je ne pourrais jamais oublier, c'est si fort et si intense. Je n'y arrive pas, je suis trop faible, je ne peux pas.
Soudainement, je me mets à l'entendre.
... : « Ezia ».
Hein qui m'appelle ?
... : « Ezia, ma chérie ».
Je la reconnais cette voix. Elle m'est si familière, elle est mon repère depuis toujours.
Moi, complètement déboussolée : « Pa.. Papa ? »
Je lève la tête devant moi. Il n'y a plus rien autours de moi. Ni corps, ni camion. Je respire de nouveau, ma tête ne tourne plus et je n'ai plus mal aux oreilles. Il est là, juste devant moi. Si blanc, si pur. Je n'arrive pas à y croire. Je pensais avoir oublié son visage, sa voix. Je pensais que le temps me ferait oublier, mais finalement, il est le même que dans mes pensées.
J'essaie de me lever me, je n'y arrive pas, c'est comme si j'étais bloquée. Alors, il s'approche près de moi. Lentement, chacune des gouttes de pluie s'abattaient sur le sol au ralenti, comme s'il le court du temps avait changé.
Lui : « Calme-toi ma fille ».
Sa voix résonnait en moi. Ses mots venaient recouvrir chacune de mes blessures. Je pleurais à chaudes larmes, j'étais si heureuse de le revoir. Tout semblait si réel, si parfait.
Lui, souriant : « Ezia, ça va aller. Calme-toi. Je sais que c'est dur ma fille, je sais que tu as mal. Mais je sais aussi que tu es la plus forte, tu es ma petite battante, ma petite fille ».
Il souriait, de la lumière jaillissait de lui.
Moi, balbutiant : « Je ne vais jamais y arriver papa, c'est trop dur ».
Lui : « N'oublie jamais que je t'aime. »
À ce moment, il se met à reculer.
Moi : « Papa ! »
Encore et encore, il s'éloigne de moi.
Je pleure comme une enfant. Je suis dévastée.
Il s'éloigne et disparaît de ma vision. Je n'ai pas la force de crier ou de lutter. Mes yeux se ferment petit à petit contre mon gré, je me sens emporté très loin.... : « Madame ! Montez madame ! »
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Ezia - L'âme de mes larmes.
RandomC'est l'histoire d'Ezia. Elle mène une vie quelque peu banale, rassemblant les petits tracas du quotidien. Arrive ce jour fatidique, qui marque le début de son immense chagrin. Son monde s'écroule, la plongeant dans un flot de solitude. Le chagrin s...