Chapitre 2 - Absence d'existance.

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Les semaines sont passées. Ça y est, on y est, je passe enfin mes examens. Je suis confiante, parce que je n'ai fait que réviser. J'ai tué mon temps à ça, histoire de vider mon esprit. D'ailleurs, ma mère était constamment derrière mon dos pour vérifier si je travaillais correctement. Nos conversations ne portent que sur ma scolarité, elle me briefe déjà sur l'année prochaine. Sauf qu'elle ne sait pas que je ne compte pas y être. Je ne sais pas si je suis triste de la laisser. Elle est ma mère malgré tout, et même si la haine prend le dessus, j'ai connu de beaux moments avec elle et elle reste celle qui m'a mise au monde. Peut-être qu'avoir grandi me force à présent à la voir en tant que femme. Je prends en compte son parcours, son chemin, sa vie et ses réflexions. Elle n'est plus qu'une mère, est à mes yeux une femme. Une femme remplie de défauts et de qualités. Finalement, un humain banal. Mais quand on est enfant, on voit difficilement tout ça. Ce n'est que notre maman, elle assure normalement son rôle et elle ne se définit que par ça à nos yeux. Elle est notre référence et son absence se ressent. Enfin, en principe, c'est ce que nous devions ressentir quand nous étions connectés à elle, confortablement dans son ventre et pendant les moments qui ont bercé notre enfance. Mais celle qui détruit, celle qui blesse, c'est la femme. Parce qu'elle-même a subi les dégâts des autres, bien qu'elles puissent aussi être mères. Au final, une bonne femme peut-elle être une bonne mère ? Je serais ingrate de dire que ma mère est une mauvaise mère, mais je ne sais pas, je ne peux pas m'empêcher de penser que la femme qu'elle est empiète sur son rôle de mère. Et c'est ça, c'est ça qui détruit tout.

J'essaie d'imaginer ce qu'elle ressentira quand je partirai, après tout, je crois que je reste son enfant. Quel parent voudrait voir mourir son enfant avant lui ?

Ma mère : « Ezia ! T'entends quand je te parle ? »

Ma mère me coupe dans mes songes. Je laisse tomber ma petite cuillère au fond de mes céréales.

Moi, encore la tête ailleurs : « Euh oui oui t'inquiète pas ça va aller ».

Elle : « Non mais moi, je suis très sérieuse, si tu commences comme ça tu vas pas être concentré toute l'heure. C'est super important de ce focus maintenant, tu vas oublier tous tes textes sinon ! »

Moi : « Hum.. »

Elle : « Tu as relu Les Fleurs du mal, je sais que c'est ton point faible. Hier, tu réfléchissais encore trop dessus ».

Le spleen ? Tiens, c'est drôle, mais je crois que ça me connait. Pourtant j'ai du mal avec ce texte. Bizarre, peut-être que je ne peux pas expliquer la réalité qui me frappe.

Moi : « Oui oui t'inquiète. Allez, c'est l'heure, tu me déposes ? »

Elle : « Non pas ce midi, ni ce soir d'ailleurs. La voiture m'a lâché, je dois régler ça aujourd'hui. Bon courage, j'espère que ça va aller. Concentre-toi surtout ! »

Moi : « Oui, c'est bon maman, j'ai compris », je pose mon bol et attrape mon sac. « À ce soir ».

Je quitte la maison. Toujours dans mes pensées. Je ne me préoccupe pas de mes révisions, car je sais que je connais tout, excepté Baudelaire et son spleen. Enfaite, je crois que je n'ai pas à le comprendre, car je le vis. Ce dégoût de l'existence, cette mélancolie profonde. Tout ça finira seulement par une chose. La mort. Donc, je pense que je le sais au fond de moi, mais je ne peux pas le sortir de ma bouche, car mes pensées y sont entremêlées. Je le ressens ce spleen, que je ne le veuille ou non, il est là au fond de moi.

... : « Et vous, mademoiselle, pensez-vous qu'un humain puisse réellement ressentir le spleen dont Baudelaire parle ? »

Je regarde les deux jurys face à moi. Évidemment, je tombe sur ce texte-là, parmi tous ceux que je maîtrisais. Et cette question alors, cette question qui m'est posée comme si c'était une porte ouverte pour parler de moi. De ce que je ressentais. Je ne savais pas quoi dire, ni par quoi commencer. Est-ce que je dois en dire beaucoup ou au contraire pas assez. Quelle est ma limite ? Est-ce que je dois livrer mon intimité, étaler mes pensées ?

Moi : « Je.. »

Ils me regardent, s'impatientant face à ma réponse.

Moi, inspirant un bon coup : « Eh bien, pour tout vous dire. Je pense que oui, c'est possible. Et je dirais même que ça arrive plus souvent qu'on ne le pense. Vous savez, il existe une maladie de l'âme. Beaucoup en souffrent, c'est comme si leur âme pleurait tous les jours. Parfois sans raison, parfois pour de multiples choses. Pleurer un torrent de larmes au point de faire pleurer son âme. Parce que c'est plus fort que ça, ça va bien plus loin qu'une tristesse passagère. D'une tristesse volatile. C'est profond, intense et ça grossit encore un peu tous les jours. Ça prend tout sur son passage, ça rase chacun des organes. Puis, dans un moment de courts repos. Elle arrive, tout calmement, sans se faire remarquer. Elle se positionne à sa place, parce qu'elle le sait, elle est le seul remède. Elle est la fin. Elle s'installe pendant quelques semaines, envahit les pensées et les peines. Et un beau matin, elle décide que ça sera aujourd'hui. La délivrance de toute cette mélancolie. La délivrance de toute cette affliction. Ça y est, c'est le moment. Elle est là, toute proche, pour offrir ce qu'on croit être le réconfort. Fermer les yeux, pour ne plus entendre son âme pleurer. Pour ne plus entendre ce qui faisait si mal. Arrêtez les battements de son cœur, pour qu'il ne souffre plus. Couper son souffle pour ne plus s'enflammer de l'intérieur. Et finalement, délaisser son corps qui nous a tant brûlé. Mourir, pour ne plus jamais exister. »

Le silence règne dans la salle. Pas un bruit, on me regarde presque avec les gros yeux. Les mines paraissent choquées. La lumière frappe sur nos visages. Je sens ma joue humide. Je la nettoie avec ma main, elle est mouillée. Je ne m'étais pas rendu compte qu'une larme avait coulé sur ma joue pendant mes dires. Je l'essuie directement.

L'un des deux jurys : « Hé bien.. Euh, je crois que ça va nous suffire mademoiselle, merci.. ».

Je quitte la salle quelque peu déboussolée. Peut-être que j'avais été trop loin, mais je ne m'en étais pas rendu compte. Je traîne des pieds sur le chemin du retour, j'essaie de faire le vide et de me dire que c'est passé. J'arrive près de chez moi, il n'y a pas grand monde, c'est le début de soirée. J'ai pris mon temps sur la route, je rentre assez tard. Devant mon bâtiment, j'aperçois deux hommes. Je cherche mes clés en même temps dans mon sac pour entrer dans le hall. Je plisse les yeux vers les deux personnes. L'un d'eux a une capuche, sa silhouette me semble familière. Je crois que je rêve. Je claque mes deux joues pour me réveiller. Dites-moi que je rêve. Lounès se tient devant moi. Encore ça ne serait que ça, le plus grave se trouve dans ses mains. Lounès un sachet de poudre blanche dans la main. Une flamme parcourt mon corps en une seconde. Je vois rouge, je ne peux pas m'empêcher d'exploser. Je n'y arrive pas, c'est devant les yeux. Je ne peux pas faire comme si j'avais rien vu. J'avais peur mais à la fois j'étais en colère. Peur de perdre mon frère avec tout ces poisons et en colère contre lui pour ne pas se battre comme il le fallait. Je jette violemment mon sac au sol, j'ai l'impression de ne plus rien contrôler.

Moi, enragée : « Lounès ! »

Ezia - L'âme de mes larmes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant