On est lundi et c'est le cœur lourd que je foule les rues de Springhill. La bourgade à des allures de ville fantôme, je suis sûre que beaucoup sont déjà partis pour le sud. Je gare mon pick-up devant chez Ray et il me sert son sourire habituel, pourtant il le sait, il est fort probable qu'on ne se revoit jamais. Il m'aide à mettre ma commande à l'arrière de ma voiture et je lui saute dans les bras.
_ Merci pour tout, sincèrement, soufflé-je.
_ Prends soin de toi ma belle, dit-il affectueusement.
Une larme m'échappe mais je ne lui en montre pas plus. L'ambiance est encore plus pesante lorsque je rejoins Molly.
_ Je te demande une dernière fois d'être raisonnable Cally. Je pars demain, j'espère te voir avec ta valise à neuf heures pétante.
_ Tu sais parfaitement que je ne serais pas là. Merci d'avoir été une amie sincère. Probablement la seule, dis-je d'une voix étouffée.
Je la prends dans mes bras et nous restons ainsi un long moment.
_ Adieu, dis-je alors que les larmes dévalent mes joues.
Je pleure sur tout le chemin du retour. On ne prend conscience qu'on tient aux gens que lorsqu'on les perd. Peu d'humains ont mon affection, Ray et Molly étaient les plus importants. Je sais que je ne les reverrai pas et que probablement d'ici la fin de la semaine, je ne serai plus de ce monde. En y repensant c'est drôle comme la vie à plus de goût lorsqu'on connaît notre date de péremption. Je n'ai pas repris de patients et j'ai relâché le hibou cette nuit, me dire que ce sera probablement mon dernier patient me brise le cœur. Il y a encore tant de vies à sauver, si j'avais eu plus de temps... Pour cette semaine, je compte bien arpenter la montagne avec Freedom et Morty et m'en imprégner le plus possible. Je veux l'emmener avec moi, peu importe où j'irai après ma mort et je veux laisser un peu de moi dans cet endroit hors du temps.
***
La pluie est venue obscurcir cette fin de semaine, on est jeudi et nos heures sont désormais comptées. Je randonne avec mes deux amis malgré la météo, Morty est à l'abri sous mon manteau imperméable et Freedom savoure la pluie qui a rafraîchi les températures caniculaires. Nous croisons beaucoup de faune sauvage qui nous prête très peu attention, c'est un vrai plaisir de voir mère nature dans son état le plus pur. Cerfs, loups, bouquetins, innombrables espèces d'oiseaux vivent en harmonie ici. Personne n'est jamais venu perturber l'équilibre de cet écosystème et maintenant que notre espèce va certainement s'éteindre, je peux partir l'esprit tranquille. Jamais cette forêt ne sera rasée pour en faire un centre commercial ou une station de ski. Les Venimus ont déjà perdu une planète, ils ne vont pas prendre le risque de perdre celle-ci. Je rentre enfin au sec, rasséréné par cette promenade et je monte sur le toit avec une paire de jumelles. Il n'y a que d'ici que j'arrive à voir la ville en contrebas mais tout à l'air calme et je suppose que si une bataille devait éclater, j'entendrais les échos dans la montagne. Je redescends, me fais un café fumant et m'installe devant la baie vitrée pour regarder les chevaux paître en toute quiétude, mon tableau préféré. Je m'endors sur mon fauteuil et ne rouvre les yeux qu'en pleine nuit où des sons inconnus éclatent dans les environs. Mon sang ne fait qu'un tour, je saute sur mes pieds et grimpe jusqu'au toit, je passe mes jumelles en vision nocturne et je vois que Springhill pourtant si calme est en effervescence. Des cris, des coups de feu, des explosions, c'est une horrible symphonie qui me parvient. Je distingue des formes rampantes qui ne peuvent être que des Venimus. Ils sont ici. Ils mettent ma ville natale à feu et à sang. Mon cœur se serre pour Ray qui est au milieu de ce chaos. Trouveront-ils le chalet ? Il est invisible depuis la ville, il faudrait fouiller la montagne pour tomber dessus. Quoi qu'il advienne, nous sommes désormais en territoire Venimus et ça ne signifie que la mort tôt ou tard. J'écoute les bruits jusqu'à ce que la cacophonie cesse juste avant le lever du soleil. Personne n'est venu et la ville est sinistrement inerte dans mes jumelles. J'ai prié pour le salut des âmes prises cette nuit et maintenant je suis démunie. Je ne sais que faire. Devrais-je descendre pour voir s'il y aurait des blessés ? De potentiels survivants ? Et s'il restait des Venimus en stand-by ? Je me tâte un long moment et il est à peine midi lorsque je balance ma selle sur Freedom. Les sacoches sont pleines de matériel médical, une corde et un fusil de chasse sont fixés à ma selle. Je descends le sentier au petit trot et je ralentis lorsque je quitte le couvert du bois. Des maisons sont en feu, la route est pleine de débris et de corps, pour la plupart humains. Un ou deux Venimus ont quand même rendu l'âme face aux humains qui se sont battus. Je prends alors conscience de leur taille, j'avais entendu que les mâles pouvaient atteindre six mètres de la tête à la pointe de la queue et ces individus font bien cinq mètres de long. Je traverse la ville sans trouver âme qui vive et alors que je m'apprête à faire demi-tour, un mouvement attire mon attention. Quelque chose vient de remuer et alors que je m'approche prudemment, mes yeux s'écarquillent. J'ai failli ne pas le voir, camouflé par des débris, un mâle tente de ramper, il ne m'a pas encore vue mais de toute évidence il est hors d'état de combattre même s'il faut se méfier de leur résistance. Je m'approche discrètement, j'ai laissé Freedom à l'entrée de la ville pour être plus furtive. Je me cache derrière un pick-up renversé et observe le seul survivant de la bataille. Ce qui me frappe d'abord c'est sa taille qui est encore plus imposante que ceux que j'ai croisés plus tôt, sa puissante queue est recouverte d'écailles noires qui se fondent en une peau dorée au niveau de son bas-ventre, des muscles saillants habillent son torse et son visage est partiellement caché par de longues tresses écarlates. Je remarque enfin ce qui l'immobilise, une dizaine de centimètres en dessous de son torse, sa queue est presque sectionnée. Immédiatement un souvenir m'assaille, celui d'un petit serpent noir avec une très vilaine plaie, son petit corps quasiment coupé en deux. Que leurs blessures soient similaires est un étrange coup du sort et va probablement influencer la décision que je m'apprête à prendre. Je retourne jusqu'à Freedom et je la prends avec moi. Cette fois, le mâle me repère de loin et un détail que je n'avais pas vu me frappe, ses yeux reptiliens sont aussi rouges que ses tresses ornementées d'anneaux en métal. Il continue de se trainer malgré ses quatre puissants bras, laissant sur son passage un chemin de sang noir. Je m'approche lentement, les paumes tendues devant moi, je veux lui montrer que je ne lui veux aucun mal. Je vois mieux son visage, voir un de ces aliens de si près est incroyable. Sa mâchoire est carrée soulignant ses traits masculins, sa bouche possède de très fines lèvres quasi invisibles, deux crocs acérés dépassent de sa mâchoire supérieure et deux anneaux sont percés à chaque extrémité de sa lèvre inférieure. Une légère protubérance avec deux petits orifices fait office de nez et ses yeux... Je n'ai jamais rien vu de tel. La pupille est contractée comme celle d'un serpent, c'est une fine fente noire qui peut s'élargir pour s'adapter à la lumière qui est noyée dans un océan de nuances de rouge, plus foncé aux extrémités et presque rose au niveau de la pupille. Je chancelle face à ce regard déstabilisant, qui me foudroie sur place.
_ Je ne te veux aucun mal soufflé-je. Je suis docteur...
_ Mort à tous les humains, tonne-t-il d'une voix profonde avec cet accent exotique.
_ Je peux te sauver, si on ne fait rien tu seras mort d'ici peu.
_ Aucun humain ne posera un doigt sur moi, plutôt crever. Approche que je t'étripe, femelle.
Sa voix est si menaçante que je fais un pas en arrière instinctivement, combiné à son regard, je doute à propos de ma décision. Tout en gardant un œil sur lui, je tire une trousse de secours de mes sacoches, elle contient un assortiment de sédatifs. Si je parviens à l'endormir, je pourrai le ramener à la clinique et réparer sa queue. Un de ses bras se traîne et il possède pas mal de blessures superficielles également. Je suis déterminée malgré sa haine évidente, il n'est pas trop tard pour lui, il se bat malgré son état, il a la force de guérir j'en suis convaincue. Et j'ai fait serment d'aider toute créature en difficulté, je ne peux pas renier ce que je suis. Je prépare une seringue avec une dose suffisamment puissante pour endormir un cheval, je pense que ça fera l'affaire s'il est réactif aux sédatifs. Je m'approche comme j'approchais les fauves pendant mes études, des petits pas et une respiration calme. Il ne me quitte pas des yeux alors que je le contourne. Sa lourde et longue queue inerte l'empêche de bouger à une vitesse élevée, il tente de se retourner mais il n'arrive qu'a se contorsionner un petit peu et j'en profite pour sauter sur sa queue et y planter la seringue. Il pousse un cri de guerre qui me terrifie et je me retire immédiatement. Il commence déjà à perdre ses forces et alors que tout son corps se relâche, il lutte encore.
_ Soyez maudits... Crevez tous jusqu'au... Dernier...
Puis ses yeux se ferment pour de bon. Je regarde autour de moi à la recherche d'une solution pour ramener cette créature qui doit peser plusieurs centaines de kilos jusqu'à mon chalet au cœur de la montagne. J'ai que peu de temps pour le transporter. Je remarque un pick-up intact un peu plus bas dans la rue, je cours et grimpe au volant, les clés sont sur le contact comme dans toutes les petites villes où tout le monde se connaît. Je démarre et me place près du corps inerte du Venimus. J'attrape ma corde et l'enroule avec précaution autour du torse de l'alien pour ne pas aggraver ses blessures et je me sers du lampadaire comme poulie. Le tout est relié au pommeau de la selle de Freedom. Je tire sur la bride pour la faire avancer et petit à petit le corps se soulève et se retrouve juste au-dessus du coffre du pick-up puis en faisant reculer Freedom, la majeure partie de l'alien se retrouve chargée. Je ramasse la longue queue qui traîne encore au sol puis j'attache le Venimus pour qu'il ne bouge pas pendant le voyage. Freedom est attachée au pick-up et je roule doucement pour ramener tout ce petit monde dans la montagne. Je vérifie régulièrement que mon nouveau patient est bien endormi et ne bouge pas et je soupire de soulagement lorsque j'aperçois le chalet. Je me gare, desselle Freedom expéditivement puis j'ouvre la large porte de la clinique pour reculer le pick-up au plus près de la table d'opération pour animaux lourds. Je descends et attrape la télécommande de la grue qui sert à manipuler les patients de taille conséquente. Je sangle solidement l'alien et je le soulève grâce au système conçu pour cette manutention, je dépose son torse sur la table, sa longue queue traîne au sol et je ne tarde pas à l'examiner. Il a déjà perdu beaucoup de sang et si je veux l'opérer je ne dois pas attendre. J'enfile des gants et inspecte la blessure à la base de sa queue, la plus grave à traiter en urgence. La chair est rosée sous les écailles, je recherche les nerfs et muscles à reconstruire pour qu'il puisse retrouver sa mobilité. Nul doute que pour cette espèce, vivre sans queue est impossible. Je me mets ensuite au travail, il me faut trois heures pour recoudre entièrement la blessure et je ne prends même pas de pause avant de traiter son bras dont la chair est à vif également. Cela ressemble aux dégâts que pourrait engendrer une explosion. Même ses écailles robustes n'ont pas résisté, tout son flanc gauche a accusé le coup, la queue à bien failli être arraché et le bras inférieur également. Je mets deux heures pour le bras qui me donne du fil à retordre, heureusement que l'anatomie est semblable à celle d'un bras humain. Je bande le bras tout en surveillant ses constantes, le cœur semble se stabiliser même si je ne connais pas le BPM standard pour cette espèce. Je lui remets une dose de sédatif et je ressens enfin la fatigue d'avoir été concentrée très longtemps. Je lutte contre le sommeil mais cette journée riche en émotion à raison de moi.
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Venimus : an alien romance
RomanceEt vous ? Que feriez vous si l'Humanité était sur le point de perdre la Terre ? Lorsque plusieurs vaisseaux aliens s'écrasent sur Terre et que des créatures commencent à fouler le sol, Callysta Blake quitte sa vie à L.A alors que tout lui sourit. El...