La lumière agresse mes paupières et je manque de tomber de ma chaise alors que j'ouvre les yeux. Je comprends que j'ai dormi dans la salle d'opération, une odeur exotique m'assaille et je relève la tête, mes yeux se posent sur le corps inerte du Venimus. Son odeur, je ne l'avais pas saisie à cause de celle du sang mais désormais j'en ai pleinement conscience. C'est épicé et musqué, typiquement masculin. J'inspecte les blessures que j'ai traitées la veille, pas de signe d'infection. Je suis fascinée par la créature qui se trouve devant moi, je passe un doigt hésitant sur la peau dorée et scintillante, c'est lisse comme du verre et dur comme de la roche. On en sait si peu sur ces machines à tuer, je continue à tracer les vides et les pleins de son torse, des muscles semblables à ceux d'un homme. Des abdominaux gonflés et des pectoraux bien dessinés, puis je m'intéresse à ses deux paires de bras terminés par des mains larges dotées de quatre doigts longs et fins ainsi que des griffes acérées. Plus je le regarde et plus j'ai envie d'en savoir plus. Je me penche sur son visage qui semble beaucoup moins expressif que celui d'un humain, je caresse tendrement sa joue, ses pommettes sont hautes et légèrement saillantes. Je passe la main dans ses tresses vermeilles, des petits anneaux de métal sont noués dans les tresses complexes. Leur implantation de cheveux est différente de nous, seulement une large bande, un peu comme une iroquoise, pousse sur le crâne. La longueur est remarquable, elle atteint le bas de son dos tout comme les miens. Ses oreilles sont plates et pointues, percées d'anneaux en métal comme sa lèvre inférieure et ses arcades sourcilières dépourvues de pilosité, tout me fascine chez ce mâle. Je rêve de revoir ses yeux, uniques et expressifs contrairement à son visage. Je vais le garder endormi jusqu'à ce que sa blessure à la queue soit suffisamment cicatrisée, je suis sûre que ce ne sera pas très long et pendant ce laps de temps je pourrais lui faire une batterie d'examens pour en apprendre plus sur leur anatomie. Le temps défile alors que je veille sur mon patient et la journée est passée sans que je ne m'en rende compte, je n'ai rien avalé mais je suis tellement absorbée par mes pensées et théories que je n'ai même pas faim. Morty remue contre moi et ça me sort de ma transe scientifique. J'ai bien du mal à laisser l'homme serpent seul mais je dois aller avaler quelque chose et prendre une douche. Mes vêtements sont toujours couverts de son sang après l'avoir manipulé et opéré. Je referme la porte de la salle d'opération après un dernier coup d'œil.
Allez Cally, il ne va pas s'envoler après tout. Tu es juste en train de devenir complètement zinzin.
Je monte jusqu'à ma chambre et je retire mes vêtements, je grimpe dans la douche italienne et laisse l'eau brûlante couler sur moi, je frotte vigoureusement ma tignasse noire mais l'odeur du shampoing n'enlève pas son odeur à lui, elle persiste, imprégnée. Et lorsque je renfile des vêtements propres elle est toujours là. Je descends à la cuisine, j'ai la flemme de cuisiner et je ne ressens toujours pas la faim qui devrait me tordre les tripes. Ça me rappelle mes années de fac où je pouvais passer des journées entières sans ressentir la faim ou la fatigue tellement j'étais ivre de savoir. J'avale tout de même deux tartines avec du fromage pour me caler puis je repars vers la clinique, je soupire de soulagement alors que je me rapproche de la table d'opération, j'attrape un drap dans un des rangements et je le couvre puis je rassemble comme je peux sa queue et l'enroule au sol puis je la couvre également. Je me demande quelle température je dois garder pour qu'il n'ait pas froid. Muni d'un thermomètre auriculaire, ce dernier m'indique quarante-cinq degrés, pourtant lorsque je touche sa peau, elle est fraîche comme celle d'un serpent. Étrange, une température corporelle aussi élevée est visiblement nécessaire à la survie de l'espèce, peut-être que les écailles font une barrière thermique ? Je suis repartie dans mes théories et divagations, j'y passe la nuit, notant des choses dans un carnet, je remplis des dizaines de pages jusqu'à tomber de fatigue. Lorsque je me réveille, je suis sur mon fauteuil et ma tête est posée sur quelque chose de dur, l'odeur musquée m'assaille de nouveau me faisant battre des paupières et je comprends que j'ai posé ma tête sur son bras musclé lorsque je me suis assoupie. Je me redresse d'un coup, rouge de honte, d'avoir utilisé mon patient alien comme coussin. Je regarde à nouveau ses constantes et ses blessures, il cicatrise incroyablement vite. Aujourd'hui, je vais le passer à l'IRM et au scanner, je veux voir ce que renferme ce corps imposant. Je prépare le matériel, je dois à nouveau le déplacer avec la grue, ça ne m'enchante pas mais je n'ai guère le choix. Je redoute que l'IRM lâche lorsque je le dépose sur le plateau mais heureusement, il tient le coup. Puis je m'installe derrière l'ordinateur et j'initie le programme. Il disparaît sous l'épaisse machine et très vite, je peux voir ce qu'il se cache sous cette peau dorée. Visiblement, les organes sont contenus dans le torse comme je m'en doutais. Je reconnais un cœur, plus gros que celui d'un cheval de course pour irriguer ce long corps en sang. Un système digestif complet pas si différent du nôtre, je passe tous les organes un à un, photographiant avec l'IRM et l'imprimante me sort les clichés au fur et à mesure. Enfin je suis étonnée de ne pas trouver d'organe reproducteur alors j'explore un peu plus loin et je remarque une protubérance dans l'espace entre la blessure et la délimitation des écailles. Je zoome et une forme phallique apparaît parfaitement bien cachée sous les écailles et d'un coup mes joues me brûlent, ça à l'air relativement gros même s'il est difficile d'évaluer la taille alors qu'il est bien rangé. Bon sang, leurs femelles doivent déguster. Je prends un cliché de l'appareil reproducteur puis je range le tout dans une pochette. Le pauvre à failli perdre son pénis à quelques centimètres près. Je le sors enfin de l'imposant engin puis je le dirige vers le scanner. Je prends des clichés du squelette, on dirait vraiment un serpent qu'on aurait attaché à un tronc humain, même s'il y a des divergences dans le squelette et les organes. J'essaie de voir s'il n'y a pas de fracture que j'aurais pu manquer mais visiblement, tout va bien à ce niveau-là. Encore une fois je range le tout dans la pochette puis je le ramène sur la table d'opération. Je peux difficilement le mettre autre part vu sa taille et de toute manière j'ai besoin de la grue pour le déplacer. Je le recouvre du drap et je m'absorbe dans sa contemplation. Je me demande quel est son nom, quelque chose qui sonne alien sans aucun doute. A-t-il une famille ? Pourquoi déteste-t-il tant les humains ? Enfin ça, il a toutes les raisons du monde évidemment. Il y a eu largement moins de pertes de leur côté mais tout de même, une vie reste une vie même à la guerre. Sa voix me frappe de nouveau dans mes souvenirs, profonde, vibrante, j'en frissonne rien que d'y repenser. Je replace une tresse écarlate à sa place avec les autres, ses cheveux sont doux, brillants et propres.
Imaginons que tu ne me tues pas à ton réveil, nous pourrions nous entendre et apprendre l'un de l'autre. Faire ce qui aurait dû être fait à votre arrivée. Une main tendue vers ce peuple qui en avait besoin...
Je délire, je n'ai aucune chance de m'en sortir vivante. Pas après ce regard haineux qu'il m'a lancé. Mais je ne l'ai pas sauvé en pensant qu'il aurait de la reconnaissance, non je ne suis pas si naÏve. Je suis condamnée dans tous les cas, je suis en territoire ennemi désormais et même s'ils ont continué à avancer dans leur invasion du monde, je suis certaine qu'ils reviendront, inspecteront plus minutieusement et les derniers rats comme moi seront débusqués. Autant me nourrir des connaissances qu'il m'apporte pendant qu'il est léthargique, mon cœur bat la chamade à chaque fois que je découvre quelque chose de nouveau, c'est grisant. J'ai monté un dossier complet avec mes notes et mes clichés. Si je le voulais je pourrais le faire parvenir par internet jusqu'au pentagone et nous donner potentiellement l'avantage mais je n'en ferai rien. Ces notes pourriront ici avec moi. Toute l'Humanité pourrira d'ici peu. Et les autres habitants de cette planète s'en porteront mieux. Moi, Callysta Blake, j'ai craché à la gueule de tous mes semblables et je n'éprouve aucun regret.
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Venimus : an alien romance
RomanceEt vous ? Que feriez vous si l'Humanité était sur le point de perdre la Terre ? Lorsque plusieurs vaisseaux aliens s'écrasent sur Terre et que des créatures commencent à fouler le sol, Callysta Blake quitte sa vie à L.A alors que tout lui sourit. El...