Chapitre 42

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Ses yeux se ferment mais ne se rouvrent plus, son corps frêle est affreusement immobile au sein de mes écailles, son expression est paisible, on dirait qu'elle est simplement endormie comme chaque nuit dans mes bras. Il y a tellement de sang, en majorité sur ma peau plus que sur le sol. Je n'ose pas vérifier si son coeur bat toujours, je ne suis qu'un lâche. J'ignore comment je trouve le courage de la lâcher, définitivement, plus jamais je ne sentirais sa peau contre la mienne. Je la soulève et la dépose à même le sol, sa magnifique chevelure noire s'étale autour de son visage pâle. Je vais l'abandonner là, sans sépulture, à la merci des charognards. C'est ainsi que je traite celle qui a été ma source de bonheur pendant cette année, la femelle qui a porté ma descendance même si ce n'était que quelques jours. Je caresse une dernière fois son visage, j'ajuste correctement la robe qui met en valeur sa poitrine généreuse et ses hanches larges, ce corps aux formes étranges que j'aimais tant. Puis je reprends la direction du camp, si l'aller m'a paru interminable, le retour est un calvaire. Pour l'instant je suis en mode soldat, j'ai éteint les émotions qui sont ma faiblesse mais très vite je vais perdre le peu de contrôle que j'ai. Je me prépare mentalement à affronter les réactions et les regards de ceux qui me sont chers. Les portes sont en vues lorsque je quitte l'orée du bois, les gardes me jettent des regards curieux alors que je suis couvert de sang humain et que je reviens sans ma compagne. Le soleil est définitivement levé maintenant, je vais trouver mon père dans son espace de pouvoir. Il baisse les yeux sur moi à mon approche, son sourire s'agrandit tandis qu'il me détaille avec attention. 

_ Je vois que tu as retrouvé la raison mon fils, ricane-t-il. 

Je serre les poings si fort que mes griffes blessent la paume de mes mains, je n'ai jamais eu autant envie de le tuer qu'en cet instant. Il vient de signer son arrêt de mort, il m'a peut-être eu cette fois mais c'est terminé, je dédie ma vie à le tuer à partir de maintenant. Callysta ne sera pas morte en vain, j'ai commis le plus grand péché mais je vais faire en sorte de me débarrasser de ce monstre une fois pour toute. Pour que plus personne ne souffre de sa cruauté, je dois être sa dernière victime et pour cela je serai son bourreau. 

_ J'ai respecté ma partie de notre accord, à toi de respecter la tienne, grondé-je d'une voix si grave qu'elle me racle la gorge. 

_ L'honneur est une loi ultime pour notre peuple, je ferai ma part ne t'inquiète pas. 

Je lui tourne le dos, ne supportant plus ni sa présence, ni ses paroles. Je sors à toute vitesse du bâtiment, je dois aller me nettoyer, l'odeur du sang et de la mort de ma compagne menacent de me faire perdre pied. Cependant mon destin est scellé et je sais que les dieux sont contre moi lorsque je croise mes proches au détour d'une allée de tentes qui discutent tranquillement. Leurs yeux tombent sur moi, sur mon corps maculé de rouge. 

_ Qu'est-ce qu'il s'est passé ? S'inquiète Nyxy. 

_ Où est Callysta ? Cri Molly. 

Je croise le regard de mon frère, nous nous parlons silencieusement, il a compris sans même que j'ai besoin de le formuler. 

_ Callysta est morte, annoncé-je froidement. 

La révélation impose le silence à tout le monde, je vois l'incrédulité sur leurs visages. 

_ Qu'est-ce que tu racontes ? S'agace Nyxy. Où est ma soeur ? 

Ses mots sont durs, implacables, autoritaires. 

_ Je l'ai tué ce matin. 

De nouveau l'annonce secoue mes proches mais cette fois c'est la colère qui habillent leurs visages alors qu'ils comprennent. Molly s'élance la première mais elle est rattrapée par Mozalor. 

_ Qu'est-ce que tu lui a fait ! Hurle-t-elle complètement folle de rage. 

Soudain c'est une tornade dorée et blanche qui me frappe, Nyxy me met un coup si violent que je termine au sol. Elle enchaine avec d'autres coups, sa rage est nettement visible dans ses yeux semblables aux miens. 

_ Tu m'as privé de ma soeur ! J'ai déjà perdu Zalynthia et maintenant Cally ! Comment tu as pu ! Pourquoi ?! 

Sa voix d'habitude si assurée est tremblante et lourde de chagrin. Sa queue enserre ma gorge, suffisamment pour être douloureux mais me laissant assez d'espace pour parler. Le mensonge est étrangement facile lorsqu'il passe mes lèvres. 

_ Je lui ai laissé un an pour concevoir ma descendance, il était clair qu'elle ne retomberait jamais enceinte, en tant que mâle j'ai le droit de vie ou de mort sur ma femelle. Autant arrêter de perdre mon temps et trouver une femelle capable de porter un héritier. 

_ Tu n'es qu'une pauvre merde Noxxorren. Le digne fils de notre père. 

Elle me relâche mais me crache dessus, Molly hurle son chagrin dans les bras de Mozalor et Zankra arbore un air triste et furieux cependant c'est une femelle éduquée dans nos traditions, elle n'osera pas aller contre ma décision. Non seulement j'ai perdu ma compagne mais également ma famille. Je devais les protéger, j'avais un choix impossible à faire. Désormais je suis seul. Nyxy est partie probablement pour éviter de me tuer de ses propres mains, Moza à attiré Molly vers leur tente, ne reste plus que Zankra qui finit par s'approcher prudemment. 

_ Où est sa dépouille ? Demande-t-elle. 

_ Dans la forêt, rétorqué-je. 

_ Tu l'as laissée seule là-bas ? Sans lui offrir un minimum de dignité ? Honte à toi Noxxorren. 

C'est la première fois qu'elle me tutoie et qu'elle s'adresse a moi si familièrement, elle aussi était attachée à Callysta pour aller au-delà des convenances. Elle s'enfuie loin de moi comme les autres, une réaction que je peux tout à fait comprendre. Je me relève péniblement et je regagne ma tente. L'odeur florale de Callysta me frappe ainsi que les relents de notre accouplement. Je n'ai pas pu dormir malgré la fatigue, comment aurais-je pu alors que je passais mes dernières heures en sa compagnie, je l'ai caressée, adorée et enregistré chacun des détails de son corps pendant qu'elle dormait paisiblement dans mes bras sachant que j'allais la trahir, elle et notre Union. Il a fallu que ça tombe ce jour-là comme si c'était le destin qui m'envoyait un message. Je me dirige instinctivement vers une malle, j'écarte les couvertures et étoffes pour saisir le petit objet caché au fond. Un écrin pourpre en velours, je l'ouvre et observe la bague sertie d'un diamant en forme de poire entouré de deux petits rubis scintillants. C'est à cet instant que mon masque tombe, que la culpabilité et la haine de moi-même me rattrape autant que le chagrin d'avoir perdu celle qui m'était destinée. Les larmes s'écrasent au sol, la dernière fois que j'ai pleuré c'était pour la mort de ma mère il a bien des années de cela. Mais Callysta mérite toute mes larmes, un être si pur, si bon, si parfait, une déesse parmi les mortels. Je balance violemment l'écrin contre la tenture mais ça ne soulage en rien le dégout de moi-même. J'avais planifié cette journée dans le moindre détail. Une longue balade autour du lac et un pic-nique au dessus des falaises où j'aurais pu lui faire l'amour, lui offrir toute l'affection et le plaisir qu'elle méritait tant puis lui demander sa main dans la tradition des humains. Ça aurait dû être une journée incroyable mais mon père en a décidé autrement. Je me sens si vide, je ne sens plus notre lien pourtant si puissant autrefois, ne reste que les souvenirs désormais. Et le besoin de venger ma compagne, de venger ma mère et le reste de ma famille. Je dois commencer à réfléchir à un plan pour destituer le roi, j'aurais largement le temps de me morfondre et de faire mon deuil ensuite.  

Venimus : an alien romanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant