J' ai besoin.

20 6 12
                                    

Je me sens perdu.
Ma pensée vacille.
Ai-je pris la bonne décision ?

Le téléphone a sonné. Je l’ ai regardé, terrorisé. Numéro privé.
Une notification de message : j’ hésite, je laisse mon doigt en suspens, je rallume l'écran, je le pose, je lui tourne le dos. Il sonne de nouveau. Je me réfugie sous ma couette.
Qui fait intrusion dans mon univers ?

Il sonne, deux fois, trois fois…
Je m’ arme de courage. J’ appuie sur le 1.

Bonjour monsieur Joshua. Ici la cardiologue des soins intensifs, pouvez-vous nous rappeler svp ? C’ est urgent.

Alfred ?

Une autre sonnerie. Je décroche, le cœur en vrac.

Monsieur Joshua ?
Ou…oui
Je suis la cardiologue des soins intensifs. Je suis désolée de vous réveiller en pleine nuit.
( heu ! Il est 3 h et je suis en plein jeu de ferme)
Vous êtes le seul numéro à joindre sur la tablette de monsieur Fèvre.
Il nous a dit qu’ il n’ a pas de famille.
Vous êtes qui pour lui ?

Un…un…un ami …proche.
Ma bouche sèche marmonne .
( Debleu, je n’ ai pas d’ ami)

Je peux le voir ?
Il vient de faire un infarctus. Il faut l'opérer d' urgence. Nous avons besoin d’ une autorisation.
Pouvez-vous nous envoyer un mail ?
Je n’ ai pas de mail
Pas de mail ?
Non.
Je vois avec la secrétaire comment faire.
Je peux le voir ?
Madame, je ne peux pas signer cette autorisation.
C’ est urgent Monsieur.

Une notification.
Un document apparait sur ma messagerie

Monsieur Joshua ?
Gauthier. Joshua Gauthier.
Monsieur Gauthier, c’ est urgent.

Mon cerveau se bloque. Vide. Vide. Je ne sais que répéter : je peux le voir ?

La visio s’ allume.
Il est sur un brancard, des machines bippent, je suis saisis par son visage livide, derrière le masque a oxygène ses yeux clos vire au bistre, ses mèches blanches humides de transpiration retombent en désordre.
Monsieur Fevre, monsieur Fèvre, vous m’ entendez ?
Votre ami Joshua est là.
Parlez lui, il vous entend.

Alfred ?
Je me sens stupide.
Alfred ?
Il paraît si frêle sur ce brancard
Il ouvre péniblement les yeux. La machine s’ affole.
A…A…Alfred…. Comment vas-tu ?
J’ entends une voix: mais quelle question à la con !!
On va se passer de ce foutu papier.
La vieille main ridée, diaphane,  se soulève légèrement. Bascule à droite à gauche. Je traduis par couçi-couça.

Je le remplis, je le remplis votre papier.

On y va, on y va… vite… On l'endort…
Je vois le temps d’ une demi seconde une salle d’ opération.
On compte sur vous.

La communication s'arrête.

Ai-je pris la bonne décision ?
Cette phrase tourne en boucle dans ma tête.
Je commence à suffoquer. Ma gorge ne laisse plus passer qu’un mince filet d’ air.
J’ ai pris une grave décision pour une autre personne.
J’ arpente ma chambre, d’une porte à l' autre.
Ma tête tourne. Je me laisse chuter. Je vais mourir, je vais mourir.
Une pensée surgit péniblement.
Il y a un bip d’ alerte sur le téléphone du groupe de Philippe.
J’y ai peut être accès ?
Oui. Je ne sais pas comment ça fonctionne. J’ appui sur un coeur.
J’ etouffe.
Sonnerie. Voix lointaines. Joshua ? Tu as besoin d’ aide ?
Ma gorge grince un son. C’ est Catherine. J’ entends un brouhaha de voix derrière lui.
Respire. Tu peux me dire ce qui ne va pas ?
Je ramasse mon énergie, je l’ imagine comme une boule. Un mot sort. Panique. Tu fais une crise de panique ?
Chéri, ça ne va pas ?
C’ est Joshua, il fait une crise de panique. Tu peux rester avec lui ? Bien sûr. Joshua, je cherche qui est le plus près de toi. Bonsoir Joshua, je suis Tom. Une voix à l' accent anglais me tient en éveil. Ma tête tourne, je suis confus, une étrange sensation de légèreté. Plus rien ne m’importe. Joshua parle moi repondjoshuadelaidearriverespiretumentendsfaitunbruitsitumentend…
Le téléphone tombe au sol.
Joshuajoshua
De violents coups contre la porte d'entrée.
Je défonce sa porte madame.
Joshuacestnathan
Approchez la chaise , vite. Deux grands bras m’ allongent au sol, soulèvent mes jambes, les posent sur une chaise.
Une grande main entoure ma joue.
Au loin quelqu’un pleure.
Ouvre les yeux.
Ne vous inquiétez pas madame, les pompiers arrivent.
Joshua , c’ est Nathan, serre ma main. Bien. Ouvre les yeux, ouvre les yeux…bien. Je vois un visage flou. Respire. L’ odeur du géant m’ enveloppe.
La sirène. La voix du docteur Firmin. Vite, l'oxygène. Joshua, on te met de l’ oxygène.
Les voix se rapprochent de plus en plus, distinctes.
L’ air s’ infiltre dans mes poumons.
Il reprend des couleurs.
Ne vous inquiétez pas madame, ce n’ est pas grave.

SortirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant