Le retour

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Deux années. Deux longues  années sans revenir chez Alfred.
J’ ai accepté ce boulot dans un centre pour jeunes délinquants à cause de la ville. Celle dont Alfred me parlait, les yeux éblouis par le souvenir de la plaine, du soleil, de la lumière.
Nous avions parlé de mon futur. J’ étais de bon conseil avec les ados en difficulté, les enfants de l’orphelinat. J’ ai suivi son avis. Il doit être fier de moi.

J’y ai rencontré cet ovni. Un ludion à la peau sombre, éclairée par ses multitudes de petites tresses cliquetantes de perles bariolées.
Si Alfred et Nathan m’ont donné la sécurité, lui m’ a donné la joie, mes premiers plaisirs, ma première vrai jouissance, mes premières ivresses d’alcool et de corps. En lui,j’ai retrouvé la bonté et l’ altruisme d’Alfred.
Ils pourront faire un concours de zébulon avec Simon.

Il conduit d’une main sûre.
Je le sens inquiet. Il manque de confiance en lui. Il doute de son talent, de son charisme, de son intuition.
Je pose la main sur sa cuisse.
Je lui raconte un peu ma vie d’ avant .
Ainsi il ne sera pas étonné de la réaction de ma bande de papas et de mamas protecteurs.
Je veux le leur présenter, j’ ai besoin qu’ils approuvent mon choix.
Je les connais.  A toujours organiser une fête pour tout et n’importe quoi.
Je veux retrouver le Prieuré seul. Sans fête d’ accueil.
Je passe la cluse.
Le château domine toujours la vallée. Tiens ils  sortent les oriflammes, il doit y avoir une réunion de famille.
Deux motos sortent d’un sentier. Simon et Anisha  nous escortent.
Toussaint rigole.
– Il ne manque plus que les sirènes. Hey, tu pleures ?
– Ça ne se voit pas ?
Je sors mon lapin borgne, le serre fort.
Avec une chute de cuir, il a confectionné un petit étui .
Il n’ a plus de couleur. Il faut imaginer le lapin fringant dans ce bout de tissu informe qui a essuyé tant de mes larmes.

Le village et sa rue principale pentu.
On passe devant l'orphelinat, l'école, l’ancien hôtel.
Les motos stoppent devant le Troquet.
Une joyeuse compagnie lève un verre de vin chaud.
Toussaint passe au pas.
Ils sont presque tous là.
A la sortie du village, la route grimpe dans les épicéas enneigés. Je prends le volant. Même si la route est dégagée, il craint les plaques de verglas, les virages serrés.
Sur le petit parking où se garent les skieurs , une silhouette en combinaison rose vif, musique métal à fond, saute en agitant les bras.  Alena.
A son tour de serrer ma cuisse.

Je m’ arrête devant le portail.
– On est chez toi ?
– Chez Alfred,
Curieux, il observe. Il doit se retenir de sortir son carnet de croquis.
Il y a quatre ans, j’arrivais ici, écorché vif, sous une tempête de neige.
J’enclenche une vitesse, je descends doucement. Je lève la tête, deux petits cercles de lumière dansent vers l’ Hermitage. Des jumelles ? Nathan ? Je ne l’ ai pas vu sur le trajet.

Devant la porte, je reconnais le panier de Monique. Un tas de petit  bois bien sec, une burette d’huile.
Je suis partie en emportant l’unique clé.
Je mascagne un peu à ouvrir. Mon vocabulaire s’est métissé.
Toussaint me laisse entrer seul.
La maison a changé d’odeur. Un remugle de canalisations, d’abandon, de poussière, de suie froide.
Je laisse l’air frais pénétrer. Je caresse les pèlerines, les sabots. Mes pas me dirigent vers la cuisine.
Tout est froid, glacial. Un tombeau.
La chambre d’ Alfred.
A part le lit médicalisé repris par la pharmacie, tout est resté figé au moment du départ d’ Alfred.
Une trace blanchâtre dans le bol , des miettes de branches de laurier. La croix à côté du cierge. Ses photos. Son pilulier.
Je vacille un instant , trouve l'épaule de Toussaint ,il me guide vers le fauteuil où j’ai passé nos dernières nuits.
Il allume le cierge. Clic. Il est parti, me laissant me recueillir.

Il a ouvert les volets, un feu flambe dans la cheminée, en homme de la plaine et des villes, il paraît perplexe devant le potager et la cuisinière à bois, il a rentré le panier de provisions.
Il me suit dans la chaufferie.
Je rallume le compteur électrique.
J 'enclenche la chaudière, après deux ou trois soubresauts, elle ronronne tranquillement. Il faudra appeler un chauffagiste.
Je récupère un sac de charbon de bois.

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