La tour

16 4 6
                                    


L'ambiance plutôt morose nous affecte tous.
Même Philippe s’inquiète, pour ses chats, pour Marie, pour tout ,pour rien, surtout pour Mick dont les tocs s’ accroissent.
Il souffle pour un fil au sol, un peu de cendre hors du feu. Les doses d’eau de Javel augmentent.
Ils viennent de se disputer, l’un trouvant que l’ autre le surprotège. Philippe doit faire des exercices physiques tous les jours, cela l’ épuise. Mick l’ entoure d’interdictions.
Philippe y voit une atteinte à son autonomie.
Avec son balai, notre grand brun vient de se faire virer de la salle à manger où il entrave les jambes de nos quatre fourmis laborieuses.
Selim tourne en rond. J’ ai du bois d’avance pour une année.
Cindy baragouine des injures en plusieurs idiomes en s'excitant sur un site quelconque.
Je m’ ennnuuiii….

A midi Jo s'ajoute au groupe apportant un peu d’ air frais, son bagou vite éteint par les grognements des uns et des autres.

Qu’ aurait fait Alfred ?
Nous occuper ? Nous changer les idées ?
Je réquisitionne  Mick, Selim, Cindy, il doit y avoir des découvertes à faire au deuxième étage.
Trois immenses pièces vides. Les volets résistent.
Dans la quatrième, des cartons, des montants de bois, des étagères soigneusement empilées, bien à plat, protégées par des bâches.
Cindy sort des livres aux pages brunes, craquantes. Des histoires sentimentales, de vieux livres de cuisine, le plus ancien date de 1810, des magazines de modes, de bricolages, des registres de comptes, toutes une série de volume sur l’ horlogerie, des livres de messe, un bouquin de savoir vivre pour jeune fille fait hurler de rire et d’indignation notre Cindy.
Un autre carton ferait le bonheur des survivalistes. Selim énumère : faire ses conserves, fabriquer ses cartouches, forger le métal pour fabriquer ses outils de jardin, réparer son automobile, entretenir les animaux de ferme,
Il éternue, le balai soulève des flots de poussières.
Jo s’interroge . Une bibliothèque ?
Cela me paraît assez logique. Les thèmes abordés concernent une économie ménagère, de fermiers.
Où pouvait-elle être ? Au vu du nombre d' étagères, au moins une pièce entière. Peut-être le bureau ?
Un dernier cartons nous laisse pantois : des inventaires, années après années, le premier date de 1790. Le dernier de 1914. Pour les autres, il faudra que je vérifie au bureau. Je crois me souvenir d’une vague infos, un contrat de vente chez le notaire.

– On monte ?
Ils sont déchaînés, dans le grenier, les portes d’ armoires s’ouvrent, livrant des vêtements de paysanne, des robes et des costumes du dimanche, des bonnets de toiles ourlés de dentelles jaunis, Toussaint et son équipe finissent  par nous rejoindre, attirer par quelques boîtes à chapeau.

Jo ne participe pas, il tourne sur lui-même, observe.
– Joshua, il y a un problème avec le grenier.
Tu y vois l’ œil de bœuf ? Si je me souviens bien, de l’ extérieur, on y en voit aussi un sur l’ autre pignon. Hors, ici il n’y en a point.

Les chercheurs de trésors s’immobilisent, aux aguets.

– Et  tout comme en bas, le volume du grenier semble trop petit.

Il n’ en faut pas plus, Cindy et Alena se ruent vers le fond du grenier. Elles écartent quelques caisses de bois, dérangent deux chats de gouttière, tapient sur un matelas de laine crevé.
Alena ? Je ne l’ ai pas vu arriver. Nous devrions être plus prudents.
Elles se heurtent à un mur de bocaux. Je rangeais ici les pots de conserve vides.
Les pots passent de main en main, s’entassent dans les coins vides.
Derrière les étagères désormais , des bouteilles, des flacons, des bonbonnes, des dames-jeanne. Plusieurs générations de chopines en tous genres.
Rien ne les décourage. Ils continuent leur ouvrage avec enthousiasme. Sûr, le trésor est derrière.

Je craque.
Je craque.
Trop. Trop d’émotions, trop de bruit, trop de remue-ménage, trop de remue-méninges.

Je descends, j’ arrête les pendules, j’ éteins mon natel.
La nuit commence à tomber.
Nathan dans le bureau de son cabinet, penché sur son ordinateur, réagit à peine lorsque j’ arrive près de lui.
Sa nuque m’ attire, ses cervicales dessinent un joli relief sous la peau tendue, je pose ma bouche dans le creux, entre les tendons, à la racine des cheveux. Un long frisson le parcourt.
– Non.
J'insiste. Son odeur de noix de coco, de caramel laisse la place à un parfum , un parfum indéfinissable. L’ odeur de Nathan.
– Tu as pensé à Toussaint ?

Je suis englouti dans une avalanche.
Je me retire, en reculant, je ferme la porte en veillant à ne faire aucun bruit, j’ accompagne la poignée jusqu’à l'enclenchement de la gâche.

– Prends un sac.
La voix d’ Alfred retentit quelque part au tréfond de mon obscurité.

Une bouteille d’eau, un pain….
– Attends.
Quelqu’un alourdit mon sac, je m’ en vais, je dépasse l’ atelier, la faible lueur de ma frontale peine à traverser l'obscurité de la forêt. Je m’ enfonce jusqu’à mi mollet dans la neige.
Peu importe, l'intérieur de mon être gèle avec mes pensées statufiées.
Je deviens mécanique, lever une jambe, puis l’ autre, puis de nouveau l’ autre.
Une voix m’appelle, je ne réponds pas.
Mon cerveau embrumé me conduit jusqu’ à la tour. Je trouve la clé dans le trou de la porte du jardin clos.
Elle résiste, j’ abandonne…j’ abandonne…
Je m’ adosse à la porte, elle finit par s’ouvrir.
Au loin une voix m’ordonne de rentrer, me donne des ordres simples. “Retire ton pantalon, je le mets à sécher, bois, pense à mettre une bûche “ Quelqu’un fait du feu, me guide dans un sac de couchage, s’ en va. Mick ?
Les petits volets sont barricadés. Je verrouille le lourd battant.
Le noir, l’ obscurité. Enfin.
Je plonge dans mes abysses.

🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪🌪













SortirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant