La sensation est etrange. Le corps derrière moi est plus frêle, pourtant j’ ai une impression de cocon. J’ en profite un peu, avant de me lever.J’ouvre la porte de la cache.
Selim dort à poings fermés. Étrange, au centre , malgré les somnifères, il ne sommeille pas plus de deux heures d'affilée.
Je m’ approche. Il va officiellement avoir 18 ans, j’ ai devant les yeux la frimousse d’un gamin de tout au plus quinze ans. Éveillé, le visage dur, fermé, peut être effrayant. Il bouge un peu, la couverture dégage son menton.
La vie est étrange ? L’ ai-je déjà dit ?
Je m’ avance encore un peu, à pas de loup, je me méfie,lorsqu’il se réveille en sursaut , ses pieds et ses jambes se détendent aussitôt vers les mâchoires. Il a une sale réputation.
Je veux vérifier. Je descend un peu le drap ; bien serrée contre lui,sous son menton, il tient une bouillote peluche d’enfant. Une peluche bleue. Un lapin. Dans un frisson, il se tourne, marmonne, le visage se plisse,il ouvre un oeil .
– Là, lààà… dort. Il fait encore nuit.
Je remonte l'édredon sur son épaule. Il replonge dans son sommeil profond. Je laisse ouvert.
Lola se faufile entre mes jambes, elle s’installe avec un soupir d’aise sur la descente de lit– Nathan…
–Mmmm….
– est ce que tu penses que les gens que l’on aime peuvent nous protéger depuis l'au-delà ?
– Tu crois en l'au- delà ?
– J’ aime bien cette idée…
–Mmmmm
– Nathan….
– J’ ai vu un drôle de truc ce matin…
Je rassemble mes pensées.
– Mmmm ?
– La juge à offert une bouillotte à Selim….
– Mmmm….
– Un lapin bleu.
Il s’immobilise.
– Oh ?
– Oui.
On reprend notre course. Les jours rallonges, l’ horizon se teinte d’un liseré indigo.
– L’ autre jour, quand il a craqué, la juge l’ a emmené chez le forgeron.
– Le forgeron?
– Mmmm, il a cogné le fer avec la plus grosse masse. Les vieux du Troquet ont fait des paris.
L’ air de nos souffles se transforment en buées.
– Le soir, ils l’ ont enfermé dans une cellule, au réveil, il semblait tranquille. Ils ont laissé tomber la vigilance, il s’est faufilé à l’extérieur , une véritable anguille. Le forgeron venait d’ allumer le feu. Le gamin a pris une braise. Il l’ a posé en hurlant sur son poignet.
Je m’ arrête.
– Nooonnn?
–Si….
On fait demi-tour.
– Vivement le printemps, on fera une boucle dans les bois.
– Oui.
Je lui raconte ma journée. Les clefs, le grand ménage. L’ odeur de la cire, du propre. Il rit du bon tour de Toussaint à Samuel.
– Tu te rends compte ? Il en avait marre de se faire coincer dans les coins. Le : “tu as dormis ici ? “ a été le reproche de trop. Il a joué avec les mots. Sa mère lui interdit de mentir.
Nos rires fusent dans le jour naissant.
J’ aime cette complicité.
Quelque chose de tendre joue une petite musique dans ma poitrine.
Un autre souvenir.
La préceptrice de mon adolescence.
– Joshua, je sais bien que c’est très compliqué pour toi de ne pas penser, toutefois la vie n’est pas qu’un algorithme, une ligne droite sans fin. Tu as aussi des émotions. Les émotions nous permettent, entre autres, de communiquer avec les autres. Par exemple, là ta tristesse dit: j’ ai perdu une chose importante, je vis un manque. L’ autre, en face, va normalement répondre en prenant soin de toi, en te consolant.
– Dites moi, ma mère tenait au vouvoiement, dites moi, comment je sais que je suis triste ?
– Pour moi, lorsque je suis triste, c’est comme si mon cœur était gelé. Si j’ écoute mon corps, il est tout ratatiné, tout replié. Si tu l’écoutes , que se passe-t-il ?
J’avais pris le temps de réfléchir.
– Mon coeur se serre, il est enfermé dans le noir. Il y a un mur tout autour. Je suis tout seul derrière le mur.
………
– Dis, elle devait être triste Blanche Neige dans son cercueil de verre.
– Tu as raison. De quoi aurais-tu besoin pour ne plus être triste ?
– Des amis, je voudrais avoir des amis.
Le lendemain, un percepteur matheux et revêche avait remplacé la gentille jeune fille poète.Le mur était devenu une muraille infranchissable
– Je viendrais en fin d’ après midi pour Aurélie. C’est mon jour de cabinet.
Je sors de mon rêve. Je reviens vers lui.
J’ ai besoin, un besoin viscéral d’être contre lui, d’ entendre son cœur battre sous ma joue.
– Nathan…
– Mmmm….
– Merci, merci, merci, merci….
La maison chaude m’ acceuille. Ma maison.
Elle se remplit doucement de vie.
Aurélie montre à Selim la bonne manière de faire un lit au carré avec draps et couvertures. Il a dû cacher sa bouillotte.
Toussaint déclare la matinée laborieuse. Il veut avancer dans son projet.
Le Prieuré est tout à moi. Je débarrasse la commode de la cache, des vêtements désormais trop petits ; la juge a déposé la valise de Selim. Il lui faut de la place pour ces affaires, il a aussi son sac de cours, il me faudra lui dégager un coin pour qu’il puisse travailler.
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Sortir
RomanceDepuis trois longues années, Joshua vit cloîtré dans sa chambre, volontairement. Il fait partie des invisibles, des hikikomori. Son rental brother ne peut plus l'accompagner. Un personnage inattendu, Alfred, va lui permettre d'ouvrir son cœur...