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Départs

Le brasero du jardin des simples réchauffe nos visages rougis par les flammes vives.
La tête renversée en arrière, nous n’ en finissons pas d’admirer l’immensité de ce beau ciel d’ hiver.
La joie incroyable de partager ma passion avec elle.
A l’ université, avec mes parents, on parlait mesures, recherche. Avec Alfred et Nathan, je redevenais enfant.
Avec Alice , je voyage dans le temps, dans les mythes.
L’ orgueil de Cassiopé lui a valu de résider près de la Voix Lactée. Un autre de ses rêves, faire la Compostela, le chemin des Etoiles. Allez de l ’Est à l’ Ouest en suivant cette trace avec son bâton et son sac. On rêve ensemble d’une multitude de possibles. Elle me fait rêver, un jour elle fera le tour du monde, elle ira voir les aurores boréales.
Après ses études, ce sera son prochain objectif. Si elle savait…
– Et toi, quels sont tes rêves ?
Ma décision de ne plus faire semblant écorche les sons dans ma gorge serrée.
– Je n’ en ai pas.
…….
– Je ne me souviens pas. Jamais je crois.
Elle respire paisiblement. Prends le temps de la réflexion.
Elle ne s’exclame pas à l’impossible, j’ ai tant entendu “ mais on a tous des rêves “.
– Mémé dit que sans rêves on est sur le chemin de la mort.
– Mmmm…. Oui.
– C’est pour ça que tu t’ enfermes ? Parce que tu n’ as pas de rêve à toi ?
- Aurélie a raison, sans rêves la vie n’ a plus de sens.
Elle bouge un peu. Une étoile filante traverse l’ horizon.
– je fais le vœux de vendre plein de tresses pour payer mes études, et aussi de patiner sous une aurore boréale.
– et le troisième ?
– Je le garde pour plus tard.

Ma mémoire devient de plus en plus un livre ouvert. Je ne me souviens si peu de mon enfance, de mon adolescence.
Ma jeune professeur poète m’ apprennais des vers de l’ Odyssée sur les étoiles. Je les murmures, simplement le nom des étoiles qui guide le retour d’Ulysse
– Tu parles quelle langue ?
– Le grec ancien .
– Waouh….
J’ éclate de rire
–  Et aussi le latin, un peu d’hebreu ancien, le vieux français médiéval.
– Oh ? T’as fait comment ?
– J’ai une carte mémoire bien développée pour les études.
– Pas pour les souvenirs ?
– Très peu, avant mes 13 ans, cela reste très flou. Mais vient voir.
Je la conduis à la tour. Un relent acide nous accueille.
– Beurk, comment tu as fais pour rester là dedans ?
Je comprends mieux l’injonction de Selim d’aller me doucher.
– J’ai une surprise pour toi. Tournes cette manivelle.
Les rouages bloquent un peu, je n’ ai pas eu le temps de les dégripper. Têtue, elle pèse de tout son poids, le mécanisme gémit, grince, l’ axe commence à tourner , elle lève sa tête.
– C’est ce que je pense ? Allez zou ma fille, met du cœur à l’ouvrage. Haaannnn…
Le dernier rouage cède, la toiture pivote laissant découvrir la splendeur de la voie lactée.
– C’est toi qui a fait ça ?
– Non, je l’ ai réparé.
Je sors le grand télescope, on s'émerveille ensemble.
– J’y crois pas…
– J’y crois pas…
Je lui raconte mon rêve d’ enfant, être le Surfeur d'Argent, voyager entre les mondes.
Rire complice.
Les nuages arrivent. Avant de partir, je lui donne l’ enveloppe.
Sa bouche s’ouvre dans un cri silencieux, elle ne secoue violemment .
– Si c’est une blague, c’est pas drôle !
– Ce n’est pas une blague.
– Comment as-tu fait ?
– Paul a supervisé le déneigement du toit, les ouvriers sont venus cet après-midi.
Et pour le stage, mes parents sont chercheurs au nouveau centre spatial international.
Ce n’est qu’un stage découverte, tu vas porter des cafés et faire des photocopies.

Tout à coup, elle s’arrête. Je la distingue à peine .
– Joshua, c’est terrible de ne pas avoir de rêves. Je ne peux pas te remercier pour tes cadeaux. Alors je te propose. Si tu veux… Puisque tu lis le latin, j’ ai un rêve, un beau rêve. Je te propose de le partager  avec moi. En attendant que tu trouves le tien.
Je fais mon troisième vœu  : je demande aux étoiles de te révéler tes rêves, les plus fous, de ceux que tu ne peux pas imaginer. Tu le veux bien mon vœu ?
Je ne vois pas le lien avec le latin. Et je le veux.
On rentre main dans la main.