les saisons du coucou

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J’ ouvre une autre porte de mon passé.
La poussière, les toiles d'araignée, ont recouvert les planchettes de bois, les peintures sèches. Je ne suis plus entré ici depuis…depuis la mort de ma fille… il y a….si longtemps…
J’ évite de regarder.
Lucie voulait que j’ ouvre. Je ne pouvais pas, je ne pouvais plus…
Il m’ a fallu un autre …enfant ? Je me moque de moi.
– Alfred…Alfred… tu es un si vieil homme…
La preuve, je ne me sens pas très stable sur le …. Je ne me souviens plus du nom… les mots foutent le camp… de plus en plus souvent maintenant…
Je décroche le coucou. Me voilà bien embarassé pour descendre de l’ escabeau…ah…oui…ça s'appelle un escabeau.

Mon coucou poussiéreux se réveille tout à coup, hurle un coucou tonitruant, son bec tape mon front.
Nathan surgit.
Je vais me faire engueuler.
Je me fait engueuler.

Il s’ empare de la pendule infernale.
– Attends-moi pour descendre.
Il pose la bestiole sur le palier. Il me soutient.
Je fais mine de râler, histoire de garder un fond de dignité.
Il regarde la pièce.
– Je n'étais jamais venu ici…
Il s’ approche d’une planchette
– Laisse donc ces vieux trucs …
Je referme la porte.

On descend. Joshua nous attend en bas des escaliers.
Il était inquiet. Je le rassure.
Fier de moi, je montre mon coucou.
–Il faudra l’ emmener voir l’ horloger. Je n’ ai plus ni les yeux ni l'énergie pour le réparer.
Tu sais le réparer? Oui. Tu me montres ?
L’atelier est encore trop froid pour lui.

Nathan nous ramène un petit établi, trouvé dans un magasin, avec plein de petits tiroirs.
On pousse un peu les meubles.
Je vais chercher la sacoche de cuir usée.
Il en sort les pinces, les pointeaux, la loupe.
Avec une infinie patience, il nettoie, poli , trie, range les minuscules rouages . Je retrouve les gestes de mon grand-père. Là où il m’ a fallu des années pour apprendre, il lui suffit d’ observer, puis d’ agir. Il m’ explique ses noëls, ses anniversaires, il recevait en cadeau des mécanos, des rouages, il adorait monter, démonter les horloges de la maison. Ce n'était que des bidules à pile…pffff….

Au fur et à mesure, penché au-dessus de la table, il trace le contour des minuscules morceaux de métal sur une grande feuille de papier.
Impulsif, je pose ma main sur sa joue.  Il sursaute. Je la retire. Il  loupe son trait, gomme, repositionne sa pièce, la redessine. 
Puis il se retourne vers moi, me fait un grand sourire heureux. Il prend ma main ; la regarde, étonné, caresse ma paume. La plaque contre sa joue. On s’ abandonne dans ce geste.
Épaule contre épaule.
Nathan nous trouve ainsi en rentrant.

Dans la pénombre.
Il nous regarde un moment, dans notre bulle de tendresse.
Allume la lumière. On se décolle à contre coeur.
Il range papiers, crayons, rouages.
J’ épluche mes légumes.
Nathan bidouille sur son ordinateur professionnel.
En silence.

Les papillons oranges et noirs sont de retour.
Je laisse la porte ouverte.
Jade rentre, résolue,sa balle dans la gueule.
Elle seule réussit à vraiment le faire bouger.
Pas toujours.

Il sort en ronchonnant, la balle à la main. Elle le tire par son pantalon, une patou ne plaisante pas avec son troupeau, ses chiots.
Il a repris du poids. Cinq kilos . Ces joues se remplissent. Il reste trop pâle. Il sort peu. Il s' enferme encore.
Quand il est fatigué, quand j’ ai des visites, après le passage de l'infirmière. Il ne supportait pas les injections. Trop douloureux, pas assez de viande où piquer.
Alors je lui lis le journal. Il se moque de moi, lorsque, parfois, je reprends plusieurs fois la même page.
Il a pris en charge la boîte aux lettres. Le livreur dépose le journal tous les matins à 5h.
Depuis quelque temps, j'oublie trop souvent de le récupérer.
Il court, il saute. Il s’ essouffle encore trop rapidement.
Il avale les petites pilules bleues, roses, blanches.
S' il rouspète trop, je m’ essouffle , ou je m’ assois lourdement. Aussitôt il s'inquiète. Ça m'ennuie de le manipuler ainsi.

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