L' observatoire.

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Il fait grand beau.
Le printemps sera bientôt là.
Un dimanche sans match pour Nathan. Ils ont perdu en demi-finale. Moche pour lui, bien pour nous. Je lui demande de nous accompagner.
Je veux faire l’inspection des murs d’ enceintes.
Un mur de pierres blanches, pas très haut, des tours de deux étages tous les cinquante mètres entourent la propriété. Un travail de titan. Il faut les entretenir. Je ne peux plus le faire.
Les tours datent de la grande peste. Les pillards montaient haut à la recherche de nourriture. L’ hermitage a été ajouté au prieuré à ce moment là par les moines pour isoler les malades.
Les religieux en ont profités pour créer un péage pour traverser le crêt en sécurité.

J’ ouvre la première porte basse , la serrure résiste. Joshua admire en silence la pièce ronde éclairée par le soleil du matin au travers de la meurtrière. Je savais qu’il allait apprécier.
Il n’ a pas tout vu. La fatigue m'empêche d’aller plus loin.
Je voudrais tout lui montrer avant de plonger dans la nuit.
Je lui raconte : ma mère avait dans l'idée d’y faire des chambres.
Les Grand-Champs convoitent le domaine depuis longtemps. De nos jours, grâce aux touristes, la ferme pourrait devenir un complexe hôtelier , selon leurs dires.
Entre les tours, les granges, les maisons des ouvriers agricoles, il y aurait de quoi en loger des gens !
Tu as raison mon Joshua, je ne supporterai pas des hordes sans gêne chez moi.

Il inonde le pays de coucou. La maison de retraite, l'orphelinat, l'hôtel de ville, l'école, les cabinets des infirmières, du docteur…

Les bilans médicaux sont enfin bons.
Il va devoir trouver un travail, des amis, une femme, une vie normale. Il résiste. Il n’ est pas prêt.
Ses parents lui versent une mensualité. Leur relation s’ apaise. Il se parle au téléphone de temps en temps.
–Joshua, passe ton permis. Non. Je suis bien ici. Je vais mourir un jour. Non. Il te faudra un travail. Non.Quitter la vallée. Non. Découvrir le monde . Non. Puis tu reviendras ici. Je reste.
Maintenant, lorsqu’il est fâché, il s’enferme dans une tour.
Je soupire. Je ne suis pas immortel. Qui le prendra en charge après moi ?
Parfois je le pense guéri, parfois, il reste des jours replié sur lui.

Repas de fête. Pâques. Aujourd'hui nous avons une invitée un peu spéciale. Sa grand-mère.
Je comprends d'où vient la beauté slave de son petit fils. Les deux émeraudes sont ternes dans ce visage à peine plissé.
Si semblable et si étranger.
Il accepte son toucher léger , elle pleure. Il ne sait pas trop comment se comporter.
Il serre son lapin dans la poche.
Alena lance la conversation. Elle décrit le jardin, les vasques qu’elle va remplir de fleurs, l’atelier d’horlogerie, la vache  et les poules noires perchées dans l’ arbre.
Elles ont apporté des cocottes en chocolat, un énorme lapin.
La rencontre se fait ,au delà des mots, avec cette femme de silence. Côte à côte, sur le banc, ils se laissent respirer ensemble.
La table débarrassée, la vaisselle faite, nous profitons de la paix de l’instant.
Au loin, l'écho d’un moteur de voiture monte du bas du vallon.
De la visite ? Des randonneurs ?
Stupéfaction.
– Bonjour la compagnie, notre conférence est annulée… nous…
Ils ne devaient venir que demain.
Mme Gauthier se fige en voyant sa mère.
J’ appuie sur le bouton d’urgence du groupe.

Ahuri, je vois les deux visages se fermer, les deux mains se serrer, les deux mâchoires se crisper, les deux fronts se plisser, les deux corps se tendre. Identique dans les gestes et les expressions.

Alena fait un O de surprise. Si ce n'était l'âge, on pourrait presque les prendre pour jumeaux.
La famille de Nathan déboule, essoufflée, du sentier.
Ils restent pantois devant la similitude de la grand-mère et de son petit-fils.
– Je t’ ai interdit de la voir. Je t’ ai interdit de t’ approcher de lui !!!
Je me demande ce que doit ressentir cette femme qui voit tous les jours son enfant de plus en plus ressembler à la personne qu’elle hait le plus.

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