Joshua et Nathan

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Je dois prendre une douche. Alfred m’ a encore demandé pourquoi j’ avais une panosse sur la tête…Grrrr….
Je le sais que mes cheveux sont sales !
Je me conditionne à sortir depuis hier.
Je m’ empare de ma serviette doudou, ma trousse de toilette. J’ entrebaille la porte, je me faufile le long du mur.
On est samedi, mes parents sont dans l’ appartement.
Je lave mes cheveux. Mouillés, ils touchent mes omoplates.  Je laisse l’ eau très chaude couler sur mon corps. Longtemps.
J’ entends la sonnette d'entrée. Je stoppe l'eau. Je respire, je bloque, j’ expire, je bloque.
Je me retrouve face  au miroir. Il n’y en a pas dans ma chambre. Je n’ aime pas me regarder.
Les journalistes et mes fans me disaient mignon. Un petit prince. Grrrr….
Un visage fin, des pomettes hautes, des yeux émeraudes cernés de noir.
Un corps long et maigre. Je peux voir mon ventre creux, mes côtes saillantes. Mon sexe pends entre deux cuisses sans muscles.  J’ ai hérité de la blondeur slave de ma grand-mère maternelle. Ma soeur avait trouvé une photo d’ identite de cette femme. Je lui ressemble beaucoup. A part ma tignasse, je suis quasiment imberbe.
Ce corps me dégoûte. Je m’ en détourne , m’ enroule dans la grande serviette.
Je longe le couloir sur la pointe des pieds, fantôme silencieux.
– On ne sait pas comment le lui dire.
Je m’ immobilise. Qu’ est ce que ma mère a peur de me dire.
– C’ est un excellent poste. Pour nous deux. Une opportunité qui ne se représentera plus.
La voix du docteur répond
– Le plus vite sera le mieux.
- Nous avons peur de sa réaction.
Le débit de mon père est lent.

J’ entre dans le séjour. Trois regards se tournent vers moi.
J’ ai conscience de mon aspect. Mes cheveux s'égouttent sur mes épaules maigres, mes doigts osseux serre la serviette. Je tremble de froid.

– Je suis là, autant me dire ce qui se passe.
– Assieds toi s’il te plait.
Je refuse. Je les fusille du regard.
Mon père toussote.
– Voilà, docteur, ma femme et moi sommes physiciens. Nous travaillons au Cern.
Joshua, on vient de nous proposer un autre poste, à tous les deux.
Tu connais. La course à l' espace fait rage en ce moment. Une université finlandaise ainsi qu’ une entreprise de lancement de satellite viennent de nous proposer de poursuivre des recherches avec eux.
– A ma connaissance, le Cern fait des recherche sur la structure des atomes 
– Oui docteur. Ce sont nos expériences  de l’ infiniment petit qui les intéressent.
Je grelotte.
– Joshua, poursuit mon père, avec tes compétences tu pourrais aussi postuler. Nous partirions tous les trois ensemble.
– Parce que vous partez bientôt ?
Il baisse la tête.
– Nous partons début janvier.
– Nous avons trouvé un grand appartement. Il y a une chambre pour toi.

Mon souffle se coupe.

– Je veux rester ici.
– joshua, ce n’ est pas possible. Nous avons trouvé un locataire. Un collègue de ton père et sa famille. Ils emménagent à la mi-janvier.

Je les dévisage. Ma bouche s’ ouvre et se ferme, sans un son.
– On te l'aurait dit plus tôt, mais tu refuses tout dialogue.
Je fais demi-tour. Mon père saisit un coin de la serviette, je n’ ai plus d'énergie pour la retenir.
J’ entends l’ expression consternée de ma mère. Ses poings se pressent contre sa bouche.
–  oh ! Mon dieu !
Mon père se fige,  les bras ballants ,  face à mes fesses, plutôt l' absence de fesses . Il me tend la serviette.
– Joshua…
Je sais que je suis squelettique.
Je bondit dans le couloir, je me heurte au médecin qui propulse un carton vers le centre de la pièce. Je le bouscule avec violence.
Je tourne la clé
– Joshua, ce sont les compléments alimentaires promis.
J’ éclate le carton contre la chambranle.
Des canettes roulent dans tous les coins, je leur donne de grands coups de pied.
Je m’ engouffre dans mon nid, recroquevillé.

Mon téléphone sonne. Encore et encore.
Alfred. Je dois lui répondre.
– Oui.
– Tu ne vas pas bien.
Je prends mon ton le plus désagréable. Non, je ne vais pas bien, ça se voit. Non ? Je n’ ai pas envie d’ en parler. Il ne me demande rien.  Oui, je tremble de froid, je ferais mieux de mettre un pull. Et qu’il ne fasse aucun commentaire sur ma maigreur. Il n’ a aucun commentaire à faire. L’ aspect de mon corps ne concerne que moi.
Lui ? Il va bien. Il va être transféré en cardiologie. Encore une irm du cerveau à faire puis il pourra sortir.
Il lui tarde de retrouver les filles. Une assistante sociale veut s’ occuper de son retour, lui mettre une bonne femme dans les jambes. Il sait encore faire son ménage.
On râle tous les deux.
Au moins, on s’ accorde pour l’ humeur.
– Alfred
– Oui ?
- Après ta sortie, tu pourras revenir me voir ?
Bien sûr, il sera là, il viendra me lire le journal.
Je l'écouterai derrière la porte. On ne lira pas la guerre, ni les accidents, ni les maladies. Que les bonnes nouvelles.
La sensation d’ oppression diminue.
– Dis petit…
– Oui.
– Merci d’ avoir signé ce papier.
Que lui répondre…
L’ heure du déjeuner.
On s'appelle demain, oui, à demain.
Encore des notifications d’ appel .
J’ éteints mon natel. Je me berce. Je ne vois pas le temps passer.
Des plongs, plongs sur mes volets. Des cailloux ? Peut être. Qui peut jeter des cailloux sur mes volets ?
Là,  ce doit etre une petite pierre. Je finis par sortir sur la terrasse. Nathan.
Enfin, je sors, tout le monde s'inquiète pour moi. J’ allume mon natel sinon demain je vais me faire enguirlander par Alfred.
Simon t’ a laissé un colis. Tu as goûté ? Non.
Serieux , j’ ai besoin de me remplumer. Alfred a besoin de moi.
Un sac atterri à mes pieds.
– Ouvre moi,  je viens dormir avec toi. Je ne veux pas réveiller tes parents.
Je me fantôme jusqu'à à l'entrée. 
Sa masse me suit dans le couloir. Une latte grince sous son poid
– Joshua, s’ inquiète mon père.
– oui , ça va.
Je m’ appuie contre la porte, tous mes sens en alerte.
Il trébuche sur une canette. Il peut les ranger ? un vrai casse gueule.

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