Sortir

Chez Nathan

La vente a lieu dans trois jours.
Seule Béatrice vient donner des ordres.
Interdit de sortir, Selim doit rester invisible. Pas d’internet pour lui. Il est censé être à l'isolement. L’information a “fuité” au centre hier au soir. Seule Aurélie parvient à le gérer et….le tas de bûche grandit à vue d'oeil, Il a trouvé du bois à refendre à l’ arrière de la grange, face à la chapelle, à défaut de le voir, on l’ entend !
Pour les autres, les allées et venues doivent se poursuivre.
Mick a décidé de rester ici. On a cédé notre chambre contre deux lits de camp inconfortables.
Je n’ en peux plus.
Après l’ exaltation de la veille, j’ ai besoin de silence, de solitude pour intégrer les nouvelles données.

– Tu viens goûter ?
Un fou rire incontrôlable remonte dans ma poitrine, gonfle mes joues. Mes yeux débordent de larmes.
Tout tourne autour de ce goûter ; le monde, l’univers tourne autour de quelques pâtisseries, pour les autres repas, chacun mange à son rythme.
Je n’ en peux plus de ce goûter rituel dans la porcelaine délicate de Lucie, je n’ en peux plus de ces gens qui parlent, du tintement des couverts, je n’ en peux plus de ses pièces qui s’ouvrent en dégueulant des secrets qui restent mystérieux.
Le regard de Toussaint m’ accroche un instant, il me tend le bout de chiffon bleu récupéré sur l’ établi. Il sort à reculons,  grâce à Béatrice, je m’ efforce à penser en centres utiles ou inutiles, de suivre un fil rouge. Là, le centre Toussaint vient prendre la place.
J’ essuie mon visage.
Inspire, expire.
Inspire, expire.
Cherche cinq objets ronds
Inspire expire.
Cherche cinq objets carrés
Inspire expire.
Range cinq rouages semblables.
Inspire, expire.
Range cinq rouages différents dans cinq boîtes.
Soupir, ouf, ma respiration se pose.
Il me regarde depuis la verrière, pas par curiosité ou pitié.
Je sens à quel point lui aussi est un pilier, une colonne gracile maintenant un équilibre parfait par sa seule présence. Sa bonté. Une autre étoile de compréhension s’allume, une autre similitude avec Alfred, la bonté.
Alfred, est ce toi qui l’ a mis sur mon chemin ?

Il claque des dents, mon frileux, pourtant rien ni personne ne l’ aurait fait partir de son point de veille. L’un contre l’ autre, on rejoint le Prieuré.
Jo suis pas à pas son Amélie.
Il a apporté des bricelets ,de la pâtisserie.
Ma grand-mère nous en régalait pour le mardi gras. De fines gaufres roulées, croustillantes à souhait. Servis avec un délicieux chocolat épicé et crémeux.

– Vous avez terminé ? J’ ai une surprise.
Matt s’impatiente.
– J’ ai besoin de la grande table. Joshua , tu as une nappe propre ?
Il y pose de fins gants soyeux.
Une fois de plus, la porte du moulin à vent s’ouvre et se ferme.
– Tiens Toussaint, je te laisse le plaisir de déballer. Mets les gants.
Il lui présente un épais rouleau.
Intrigué, mon homme commence à défaire un papier blanc, puis un papier de soie.
Emerveillé, il deroule un feutre d’un blanc pur, sa paume gantée caresse l’ etoffe.
Les bouches dessinent un O silencieux
– Du feutre du cashemire ? Du vrai ?
– on peut?
Sur un signe de tête, les femmes enfilent les autres gants, effleurant à peine la surface neigeuse, admiratives.
– Mémé Aurélie, donne ta main. Regarde la sur le coin, ca sera certainement une chute. Tu peux toucher
Matt guide le dos de la main tavelé sur le tissus moelleux.
– Ce que c’ est beau et si doux ?
– Et ce n’ est pas tout
Iel en bonne meneur de revue imite un roulement de tambour, exécute quelques arabesques,sort de son sac deux petites boites de bijoutier.
– C’est ….c’est… j’y crois pas, j’y crois pas.
Il a retrouvé ses jambes ressorts. Il bondit dans mes bras, revint vers la boîte, bondit dans les bras de Mick, la Grande l’ évite, il finit  enlacé par Matt qui  lui tend une petite pince métallique, Toussaint dépose un à un de précieux cristaux sur le feutre.
– Regarde.
Matt fait jouer un fin rayon de lumière, les reflets pailletés de la neige illuminent les regards.
– ah, et aussi, j’ ai trouvé une dentellière. Voilà un échantillon. Par contre ce sera une dentelle mécanique, elle n’ aura pas le temps de la faire à la main. Elle a besoin du modèle complet pour créer son carton.
Je me remémore ce premier matin, Toussaint, émerveillé jouant dans le scintillement de la neige avec le portail en arrière plan.
Il raconte ce premier jour.