Solitude et soliloque.

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La cuisine paraît immense. Les murs sont grisâtres. J’ ai toute une déco à faire.
A imaginer.
Un pas de plus vers l’ autonomie, créer mon chez moi. J’ ai toujours vécu dans le décor des autres. Je vais devoir choisir des meubles,  cette pièce doit rester accueillante pour la foule qui passe régulièrement ici.
D’ ailleurs, j’ ai confirmation de mon agrément, déjà accompagné de la proposition d’ accueillir deux autres ados . A 45 euros de défraiement quotidien par le ministère de la justice, la peur des contraintes lié à la délinquance, il n’ y a pas foule pour les recevoir. Dans le département, je suis le seul.

Par automatisme, je vais vers la berceuse…. Je l’ ai brûlé, la pierre du sol est impeccable, propre, vide. Froide.

Un tesson, si je pouvais trouver un bout  de tesson gris avec un morceau d’ aile ou de toit bleu…
J’ ouvre un carton plein de bris de vaisselle, un autre…rien. Je tente de soulever un des lourds placards de cuisine fracassé, impossible.
La berceuse doit être dessous, en miette, je la revois sur le côté, les pieds brûlés.
A froid, seul, ma violence me terrifie. Je ne me souviens de rien, et si j’avais attaqué mes amis ? Ma famille ? J’ aurai pû les tuer.
De nouveau cette….je ne sais trop comment la nommer… je vais rester sur ce cliché d’océan traversé par des événements surréalistes, au sens premier du terme , au-dessus de la réalité.

Qui va venir m’ aider à transporter cette remorque vers la déchetterie ?

Seul dans cette grande maison ! Lorsque je m’isolais, j’ avais conscience du mouvement des uns et des autres avec les milles bruits de la vie, une porte qui grince, un pas vif, le claquement d’une canne, les parfums de la cuisine.
Là plus rien, la réelle solitude. Comment le vivait Alfred avant mon arrivée ? Je me souviens de sa radio allumée en permanence, il ne l'écoutait pas vraiment.

Chez mes parents, je pouvais être seul quelques heures, quelques jours, ici ce sera sur de longs moments.
En attendant l’ arrivée de Selim.
Courir me manque. Courir avec Nathan me manque encore plus.

Céleste a raison, en parcourant le rez-de -chaussée , de dire ce n’ est pas beau.
Je regarde vraiment cette maison,avec ses pièces monumentales. j’ ai encore beaucoup de difficulté à la reconnaître mienne.
La lourde porte d'entrée donne sur un large corridor. Il y fait toujours froid, même en été. On y range les skis, les raquettes en hiver ; en toute saison, on y trouve des pèlerines, des sabots, oui des vrais sabots de bois. J’ai pris l’ habitude d’en porter avec Alfred.
Et tout un bric à brac de paniers, de bottes
Sur la droite trois pièces en enfilade. La cuisine, la salle à manger, le bureau. Malgré les portes harmonieuses donnant sur le corridor, Alfred passait par les petites portes de services.
Je remarque de riches moulures au plafond de la cuisine, ce ne devait pas être une cuisine, plutôt une salle de réception.
Seule la salle à manger trouve grâce  à mes yeux avec ses meubles louis xv, par contre, il faudra comme dans les autres pièces changer le papier peint et les tapis usés à la corde.
Le bureau vieillot à souhait et son hideux lampadaire  à imitation bougeoir en laiton, l’abat jour gris de vieillesse, ses classeurs à enrouleurs se coinçant en permanence, certains à mis  hauteur, d’autres impossible à ouvrir si on les fermes, dégueulent de factures jaunis.
Je soupire. Je vais avoir du trie à faire sans passer par la case destruction radicale.
Pour l’instant, je pousse la lourde porte donnant sur le couloir, avec un bruit à faire fuir les meilleurs amateurs de film d’horreur.
De l’ autre côté, uniquement deux pièces. Enfin trois.
Face à la cuisine, l’immense chambre d’ Alfred. Je vérifierai, mais à vue d’oeil, je pense que c'était la bibliothèque. Transformation logique, c'était la plus pratique, la plus proche de la pièce de vie de la maison, portes ouvertes pour discuter, surveiller, on faisait ainsi avec Alfred. Je m’ occupais des multiples tâches du quotidien, il allait d'une pièce à l’ autre, puis plus tard, lorsqu’il ne pouvait plus bouger, on s’ appelait d’une pièce à l’ autre.
J’ avais fait rajouter un couchage étroit pour moi, peu utilisé, je préférais le fauteuil près de son lit.
Si je veux la remettre en fonction, je devrais détruire la salle de bain probablement ajoutee pour Lucie.
L’ immense salon devra aussi être rénové, il reste encore dans un coin une énorme télévision antédiluvienne.
Une troisième porte donne sur une pièce plus petite, la chaufferie, là aussi je distingue des boiseries ouvragées derrière la chaudière. Le grand escalier ferme le corridor tout au bout.  Encore deux portes en dessous. Les toilettes, puis le couloir en L qui mène d’un côté à l' hostellerie , de l’ autre à une grange avec des arcades, à l'étable.

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