Contre toute attente, dans le capharnaüm de la grange, dans le coin récup de l' atelier d’ Alfred, j’ ai découvert un jeu de roulettes. Quelques clous, quatre bouts de planches, quatre tasseaux, j’ ai ma table roulante. Enfin, une sorte de plateau que je pousse avec mon genou, ou mes fesses, me servant de béquilles parfois.
Je regarde mes priorités.
J’opte pour rangement.Le plus simple dans l'immédiat, le bureau. Le premier classeur . Quasiment tout est à jeter. Des factures d’un autre temps, des modes d’ emplois d’objets qui n’ existent probablement plus… je pousse la table jusqu’à la cheminée… mince plus de bois…j’ ai oublié… aller à la chaufferie… certes la table est moche mais bien utile pour mes aller retour.
Je regarde des tranches de vie disparaître dans les flammes. J’imagine le coût en temps, en travail, en énergie , les espérances qu’il a fallu déployer, factures du salon, acheté en en 1970, d’un fer à repasser, de la machine à coudre….
Tout au fond du classeur, je découvre deux dossiers. Deux noms : Aloïs Fèvre , Anna Fèvre. calligraphié d’une écriture soigneuse, à l’ encre.
Le premier contient un carnet de santé. Un bébé bien portant. Un maigre dossier médical tapé à la machine Je ne comprends pas le jargon médical. Un certificat de décès. Un avis de décès.
Des cartes de condoléances, une mèche de cheveux clair… Il avait six mois.
L’ autre dossier plus étoffé avec des examens cardiaques. Un suivi plus régulier.
Puis l’inévitable avis de décès, quelques photos, on prenait les défunts en photo? les mêmes mots sur des cartons blancs cernés de noir*. Une autre mèche dans un papier blanc. Elle avait 15 mois.
Cela se résume à cela ? La courte vie de deux enfants ? L'immense chagrin de Lucie et d’ Alfred ?
Quelques papiers jaunies oubliés au fond d’un meuble branlant ?Je ne sais trop que faire, je ne me vois pas les livrer aux flammes.
Il est tard, Nathan ne passera pas,ni Lola. Le mercredi, il entraîne les enfants au stade.
Grignoter des nouilles, me coucher. Je n’ ai pas la force de faire plus. Mon pied me lance, dormir.Je déteste lorsqu’on me crie dessus.
– Putain … tu ne pouvais pas demander de l’ aide ?
Mick, Philippe et Barberousse sont arrivés il y a quelques minutes. Pour conduire la remorque à la déchetterie.
Je poussais péniblement ma table dans le corridor avec de quoi soigner mon pied. Une cuvette découverte dans la chaufferie, le pot boueux de ma sœur et les médicaments resté dans la salon.
Ce matin , sous la douche, j’ ai retiré le cataplasme. Depuis, la douleur, violente, malgré les antalgiques, me fait grincer des dents.Le soldat frappe du poing sur la table.
– Tu es seul depuis quand– Mardi après-midi.
– Et nous sommes jeudi !
Je me racornis, la marée commence à refluer. Vite trouver une grotte silencieuse au fond de mon océan.
– Mick, s’il te plait, calme toi. Il ne va pas gérer.
– Je sors.
– Dis moi, ta sœur ne devait pas rester avec toi ?
– Non. Elle a repris ses cours. Et Nathan a son travail et l’ entrainement des petits.
– On a mal jugé la situation. Je peux regarder ton pied ?
Il saisit ma cheville violette foncé veinée de vilaines stries pourpres.
– Tu as fabriqué cette table toi - même ? Quand ?
Mick. Le retour.
La voix froide, posée, m'effraie encore plus que le ton coléreux.
– Mardi.– Mais debleu, pourquoi tu n’ as pas demander d’ aide ?
Je me sens tout petit, minuscule face au grand homme sombre. Un filet de voix sort de ma gorge.
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Sortir
RomanceDepuis trois longues années, Joshua vit cloîtré dans sa chambre, volontairement. Il fait partie des invisibles, des hikikomori. Son rental brother ne peut plus l'accompagner. Un personnage inattendu, Alfred, va lui permettre d'ouvrir son cœur...