Chapitre 32

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Ariane

 Aujourd'hui est un jour maudit. Déjà en me levant ce matin, je me suis cogné un orteil contre mon lit, ensuite, j'ai glissé dans ma salle de bain et me suis étalée par terre et pour finir l'eau chaude était froide. Tout ça pour vous dire que je savais déjà que la journée allait être compliquée, mais pas au point de voir Alyssa débarquer avec Daemon dans ma chambre pendant que je jouais du piano. À peine ont-ils franchi le pas de la porte que j'ai déjà claqué le couvercle sur les touches en jetant un regard noir à Alyssa. Elle s'est contenté de hausser les épaules et de me prévenir qu'elle rejoignait Cole et Jellal en ville. Me voilà donc assise sur mon lit à fixer mes cours pendant que Daemon me fixe moi. Au bout de quinze minutes à subir les œillades qu'il me lance en silence, je prie intérieurement pour que Cameron arrive vite et me sorte de ce pétrin. Je lève les yeux pour chercher mon téléphone du regard et croise malencontreusement les yeux de Daemon qui, précisons-le, n'a pas dit un seul mot à mon intention depuis son arrivée. Je récupère donc mon téléphone et constate que j'ai un message.

Cameron : Hello Tigresse !! Désolé, j'ai eu une urgence, une jeune demoiselle en détresse à sauver. Tu m'en veux pas trop si je sèche l'exposer ? Tant mieux ! Oublie pas que si cet emmerdeur de Daemon t'embête, c'est entre les jambes qu'il faut viser. Bises 😘​

- Je vais le tuer.

Oups. Je ne réalise que j'ai dit ça à voix haute qu'au moment où Daemon ouvre enfin pour la bouche pour me demander de qui je parle.

- Cameron. Cet abruti nous pose un lapin, lâchai-je le regard noir alors que j'envoie à ce dernier mes projets de meurtre par message.

- Ah...tu as carte blanche, renchérit-il un sourire venimeux sur le visage.

Je grimace et retourne aux fiches étalées devant moi jusqu'à ce que Daemon brise le silence d'un long soupire agacé. Je risque un œil dans sa direction pour constater qu'il est toujours en train de me fixer, mais cette fois, il est clairement en train de perdre patience.

- Quoi ? lui demandai-je.

- Tu vas continuer comme ça combien de temps encore ? Pourquoi tu fais comme si je n'existe pas depuis une semaine d'abord ? C'est à cause de ce qu'il s'est passé à la bibliothèque ? Si tu ne sais pas comment m'annoncer que je ne t'intéresse pas du tout, tu peux te rassurer parce qu'à mes yeux ça ne signifiait rien de particulier, bougonne-t-il.

Aïe. Ça ne devrait pas m'atteindre et pourtant, l'entendre dire que notre moment échangé au CDI ne représente rien à ses yeux me blesse un peu. Sûrement, parce que mon ego ne supporte pas d'être considérée comme un objet qu'il peut choisir de prendre puis de jeter.

- Sérieusement ? Je ne pensais pas que tu accordais si peu de considération aux femmes, répliquai-je déçue.

- Je n'ai jamais prétendu être un gentleman, siffle-t-il glacial.

Le silence se fit, lourd et chargé en énergie négative. Je savais que cette journée serait affreuse, j'aurais dû tout annuler. Les paroles de Daemon me blessent et m'enfoncent un peu plus dans ma déprime et je déteste le fait qu'il puisse avoir autant d'impact sur moi. J'ai la tête baissée et mes cheveux forment un voile protecteur devant mon visage, l'empêchant de voir qu'il m'a atteinte. Je suis à deux doigts de lui demander de partir quand je sens ses doigts se poser sur ma main.

- Pardon.

Je relève vivement la tête surprise et comprends vite à l'expression de son visage que ce simple mot lui coûte beaucoup. Je l'avais deviné, mais visiblement, Daemon n'est pas le genre de personne qui s'excuse. Je lui accorde un faible sourire puis détourne les yeux.

- Je suis sérieux Ariane, je ne voulais pas te blesser et j'admets avoir eu des paroles un peu crues, mais je ne veux pas que tu te fasses d'illusion. Je ne veux pas te blesser en te laissant croire quelque chose de faux. Je pense qu'on t'a assez mis en garde contre moi pour ne pas avoir à t'expliquer que je suis froid et que je ne suis pas exclusif dans mes relations, me dit-il le regard vide.

- C'est comme ça que tu te vois ? Comme un mec froid, juste bon à coucher avec la moitié de la gent féminine du lycée ? Et bien laisse-moi te dire que ce n'est pas l'impression que tu me donnes. Enfin, pour les filles, je n'en sais rien, mais tu n'es pas froid quand tu fais un effort. Avec moi tu souris, tu es sarcastique et l'autre jour tu étais même plutôt chaleureux, réfutais-je même si je ne comprends pas d'où me vient cette soudaine envie de le défendre face à lui-même.

- Si tu le dis...

Plus je le regarde et plus il m'a l'air horriblement triste, c'est comme s'il avait d'un seul coup perdu toutes ses couleurs. Il est terne aussi bien dans ses propos que dans son attitude. C'est la première fois que je le vois comme ça et j'ai vraiment envie de le prendre dans mes bras à mon tour et de lui remonter le moral comme il l'a fait pour moi.

- Je ne veux pas plus que de l'amitié entre nous, déclarai-je en attrapant sa main à mon tour.

- Ça me va, accepte-t-il un sourire triste sur le visage.

- En tant qu'amie, il est de mon devoir de te remonter le moral, décidai-je en me levant.

Il me suivi du regard une lueur curieuse dans les yeux.

- Quand ça ne va vraiment pas, la seule chose qui m'aide, c'est la musique, lui expliquai-je en rassemblant tout mon courage.

Je m'assois sur le banc et dévoile les touches ivoires de mon piano. J'inspire et expire lentement et commence à jouer. Je joue une mélodie lente et douce, elle s'accélère en même temps que les battements de mon cœur. La musique emplie l'espace et exprime ce que je ne peux dire avec des mots. Je sens son regard glisser sur moi et c'est en risquant un regard vers lui que je comprends que nous parlons le même langage, celui de deux cœurs brisés qui affrontent la douleur différemment. Je ne sais pas ce qu'il traverse, mais je sais qu'il comprend ce que je tente de lui transmettre, il sait que ce que je fais me demande un effort énorme. Je n'ai joué devant aucun autre public que celui de mes frères depuis des mois et le laisser écouter, c'est accepter de le faire entrer dans ma bulle, mon monde. C'est un effort immense et il le sent, il m'encourage des yeux et je vois un petit sourire poindre au coin de ses lèvres.

En voyant cela, je me libère, je brise les quelques entraves qui me retenaient et je joue, je joue et j'y met mon cœur et mon âme. Je joue la colère qui m'habite, je joue l'angoisse qui me hante, je joue ma peine, mes larmes, ma douleur et je joue la compassion que j'ai pour lui. Les sons s'assemblent et s'envolent pour former une déferlante d'émotions. La musique et la seule chose qui me prouve que je suis encore en vie, elle extériorise mes émotions et parle pour moi. Quand le silence se fait, je crois le voir essuyer une larme avant de se lever pour s'asseoir près de moi. Il retient sa respiration puis souffle doucement. Ses doigts se posent sur les notes et libèrent dans leur sillage une ribambelle de sons. Je lui ai ouvert une partie de mon cœur et il vient de m'ouvrir une partie du sien. 

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