Burning Red

Chapitre 16

"The waiting is a sadness fading into madness"

Say Don't Go - Taylor Swift

Gabriel

La traque de Luc ne sera rien comparée à celle des sorcières de Salem. Je vais passer au peigne fin chaque recoin de cette ville. Mes recherches s'étendront jusqu'au plus profond des abysses ou la plus lointaine des galaxies pour le ramener auprès de moi. Je dois avouer que la tâche me paraît herculéenne et c'est plutôt effrayant. La seule option est de le trouver.

Je ne l'avoue pas mais je suis terrifié. C'est bien la première fois que je passe une semaine entière sans nouvelles de Luc.

Je me souviens dans les moindres détails de chaque jour qu'il a passé en fugue. Je déteste me souvenir de cette inquiétude ruisselant dans mes veines, prenant la place de mon sang, irriguant chacune de mes pensées. Des visions d'horreur de lui dans des endroits lugubres me retournent l'estomac presque à chaque fois. Je l'imagine sous un pont, une seringue dans le bras alors qu'il n'a jamais pris d'héroïne. J'imagine son corps flottant à la surface de la Seine, le regard rivé sur le fond du fleuve. J'irai jusque dans les catacombes de Paris pour le ramener en lieux sûrs.

Je n'ai jamais compris pourquoi il s'inflige ça. Il pourrait venir chez moi à la place. Personne ne me croit quand je dis être mort de peur. Mon meilleur ami est peut-être en danger et tout le monde me répète que c'est Luc, qu'il fait ça souvent. C'est justement parce que c'est Luc que ça me terrorise autant. Je ne veux pas être égoïste mais ma vie sans lui ne vaut probablement pas la peine d'être vécue.

J'ai fait une liste des endroits où il pourrait être, avec qui il pourrait être. Luc a beau être dans le désespoir, il a un esprit logique. Nous allons fouiller sous tous les ponts, aller voir tous ses dealers et ses anciens flirts. Ensuite, nous continuerons dans les parcs, les refuges de sans-abris et probablement les attractions touristiques de Paris. Luc aime être entouré, même s'il ne l'avoue jamais.

En quittant ma chambre, je me demande s'il se rend compte du mal qu'il me fait parfois, des états par lesquels il me fait passer. Tout pourrait être tellement plus simple s'il partageait ses émotions avec moi. J'ai vécu dix-sept années et je n'ai déjà plus assez de doigts pour compter le nombre de fois où je l'ai trouvé drogué, le nombre de fois où j'ai eu peur qu'on lui fasse du mal. La première fois, c'était la pire, après, on s'habitue. Le plus affreux, c'est surtout cette phrase. Je ne pourrais jamais m'habituer à son absence, pas plus qu'à mon inquiétude.

Une fois, il m'a demandé ce que ça m'a fait quand j'ai réalisé que j'avais vu ma mère pour la dernière fois. Je lui ai répondu qu'on ne sait jamais quand on voit une personne pour la dernière fois. En vérité, je n'avais même pas réalisé qu'elle ne reviendrait pas. Quand mon père me l'a dit, il pleurait, moi pas. En tout cas, ce n'est pas son amour maternel qui me manquait. Comment quelque chose qu'on a jamais connu peut nous manquer ? Luc me manque précisément pour cette raison, il est la plus puissante des drogues. Une journée sans lui est une journée horriblement vide.

Je ne pourrais jamais lui faire ça, jamais. Je l'aime trop pour lui faire autant de mal. Aimer Luc, ça a toujours été comme finir un spectacle, qu'on te jette des fleurs mais qu'elles soient remplies d'épines et qu'elles déchirent ta peau. Comme on dit, "merci pour les roses, merci pour les épines". Son petit côté égoïste ne part jamais d'une mauvaise intention, c'est pour ça que tout le monde le décrirait probablement comme affreusement altruiste.

Je suis reconnaissant de tout ce qu'il m'a appris. De chaque rire qui s'est envolé grâce à lui et de chaque larme qui a coulé à cause de lui. La moindre seconde de mon temps passé avec lui et soudainement toute ma vie vaut la peine d'être vécue. Les peines aussi. Tout en vaut la peine. Nous finissons toujours par accepter des roses remplies d'épines des gens comme Luc, parce que les vrais égoïstes, c'est nous. On préfère choisir le parfum éphémère de la rose que notre santé. Avec le temps, on arrive à décrocher les épines de la rose. Souvent, quand on en arrive là, il est trop tard pour nous sauver.