"I get drunk but it's not enough"
Death by a thousand cuts - Taylor Swift
Luc
Le facteur est passé. Je l'ai deviné à l'exacte seconde où mon père est entré dans ma chambre. Il ne s'y aventure jamais d'habitude, il préfère me faire appeler dans son bureau. Pourtant aujourd'hui, il entre sans frapper, l'enveloppe beige au papier épais dans les mains. Il jubile et ça me donne la nausée.
Il me la tend, avec un étrange sourire en coin. J'ai pensé que le papier était de bonne qualité et qu'il sentait bon. Le haut de l'enveloppe était découpé proprement, je n'ai eu qu'à retirer la lettre. Une lettre d'admission. Le sceau de l'école me laisse sans voix. Je suis admis en Littérature à l'université d'Oxford en Angleterre.
Je suis sonné, comme si j'avais reçu un coup derrière la tête. Alors, c'est la fin ? Mon père a gagné. Je suis stupéfait qu'il m'ait laissé prendre littérature juste parce que j'aime lire. Comme quoi, tout lui va tant qu'il a le dernier mot sur mes choix de vie.
Il a réussi à m'envoyer dans un pensionnat en Angleterre et il me tient. Je ne peux rien faire, j'ai peur de ce qu'il serait capable de faire. Il est le genre de personne qu'il vaut mieux ne pas se mettre à dos.
Je lui tends à nouveau la lettre après avoir pris connaissance de son contenu. En sortant, je pense l'avoir entendu ricaner. Je n'en suis pas sûr.
Je me suis rarement senti aussi mal. Déjà, sa présence a souillé mon QG. Ensuite, cette nouvelle. J'ai l'impression que la pièce tourne autour de moi. Mon cœur bat tellement vite que je pense mourir. Le comble si le fils d'un cardiologue meurt d'un problème cardiaque.
Je préfère m'allonger quelques instants, le temps de reprendre mes esprits. Ma cage thoracique se compresse de plus en plus et j'ai l'impression que mes os vont transpercer mes poumons. Mon angoisse grandit et je n'arrive pas à me calmer. Je me vois seul, perdu dans la masse de gens de cette université, loin de celui que j'aime. Une vision de malheur.
Soudain, je me souviens qu'il me reste des pilules dans le tiroir de ma table de nuit. Non, je ne dois pas, je ne peux pas. Tous mes autres organes me crient d'avaler cette pilule, que tout ira mieux après, comme toujours. Ma tête est une zone de guerre et qui sait qui gagnera. Mon cerveau perd niveau supériorité numérique, alors, je cède. Je sais que je suis faible, mais je ne peux rien y faire.
Gabriel serait tellement déçu de me voir comme ça, avec un cachet dans la main. Aussi lourd que les responsabilités que j'essaye de fuir. Mes oreilles sifflent de plus en plus, comme une Cocotte-Minute. Je ne supporte plus la tension en moi et jette la pilule au fond de ma gorge avant de l'avaler avec ma salive.
Comme à chaque fois, je lutte contre l'envie de me faire vomir, de revenir en arrière. Mais comme toujours, ce qui est fait est fait et il est trop tard pour changer d'avis. Je reste donc figé, sur le bord de mon lit, le regard dans le vide, à attendre que ça fasse effet.
Le pire, c'est que je ne peux même pas aller chez Gaby parce que je ne veux pas voir la déception dans ses yeux bleus et dans tous les cas, je ne pourrais pas lui expliquer la raison de mon état. Si je lui avoue ce que j'ai fait pour sa mère, il se sentira probablement trahi à cause de mon mensonge ou m'en voudra de ne pas pouvoir aller à New York avec lui et ne voudra certainement plus m'adresser la parole. Je ne peux pas le perdre. Je ne m'en remettrai pas. Je refuse de prendre ce risque.
Je me laisse tomber sur le dos et commence à observer le plafond. Il est toujours identique à d'habitude. Blanc, avec les mêmes moulures, aux mêmes endroits. Je l'ai tellement observé que j'espère secrètement qu'un jour, il change de forme juste pour me surprendre. À cet instant, ce qui me surprend surtout, c'est la sonnerie de mon téléphone.
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Burning Red
Roman d'amourGabriel et Luc, deux amis de toujours aux aspirations opposées, s'apprêtent à faire leur entrée en dernière année de lycée et dans le monde adulte. Durant quinze ans d'amitié, ils ont été omniprésent dans la vie l'un de l'autre, sans jamais s'imagi...