Chapitre 53

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"One heart broke, four hands bloody"

favorite crime - Olivia Rodrigo

Gabriel

Chanson Bonus : Bigger Than The Whole Sky, Taylor Swift

Avant que le soleil ne se soit levé, il est parti. Je suis resté allongé, les yeux fermés, comme on avait convenu. C'était le deal. Voilà un des regrets qui rongera mes os jusqu'à la moelle. J'aurais dû me lever, lui dire que je l'aime, l'embrasser. Maintenant, je ne sais pas quand je pourrai faire ça à nouveau.

L'oreiller est mouillé à l'endroit où ma tête reposait. Est-ce que Luc m'a entendu pleurer ? Est-ce qu'il a remarqué que j'étais réveillé ?

Mon avion est dans trois heures, mon père ne va pas tarder à monter voir si je suis prêt pour aller vers l'aéroport. Je ne voyagerai qu'avec une valise, le reste me sera envoyé par une entreprise de déménagement internationale. Alors, je ferme ma petite valise grise et passe, pour la dernière fois, le pas de la porte de ma chambre.

Il est absolument hors de question que je pleure. Pas maintenant. Pas devant mon père qui s'inquiète déjà suffisamment de me voir dans un pays inconnu, seul, à des milliers de kilomètres de lui. Je m'en veux déjà assez de le laisser seul, après tout ce qu'il a fait pour moi.

— Gaby ? Tu es prêt, mon grand ? crie mon père depuis le bas des escaliers.

— J'arrive.

Je descends avec une nonchalance dont je n'ai jamais fait preuve. Je suis tellement stressé que je demande à mon père de partir dès maintenant pour l'aéroport. Je sors de la maison, mais me rappelle que j'ai oublié de dire au revoir à mon chat. Je lâche ma valise et court droit vers la chambre de mon père. Salem miaule en me voyant et je le prends dans mes bras. Ses doux poils noirs contre ma peau. Son odeur si singulière que je ne sentirai pas avant plusieurs mois.

Se doutant que ma réaction est inhabituelle, il me suit jusqu'à la porte d'entrée et j'aperçois même la forme de son corps à la fenêtre.

J'entre dans la voiture de mon père. J'ouvre la fenêtre, car le désodorisant de voiture me donne l'impression d'étouffer. Je m'enfonce dans le siège en cuir.

— Tu reviens à Noël ? me demande mon père.

— J'essayerai. J'essayerai de revenir le plus souvent possible.

— Tu m'appelleras, hein, Gab ?

— Au moins une fois par semaine.

— Tu as fait ton au revoir à Luc ?

— On a décidé de ne pas se dire au revoir.

— Quoi ? C'est absurde. Vous allez regretter.

— C'est déjà le cas.

— Ton avion est dans un peu plus de deux heures et demie, on a peine le temps d'aller le voir. Disons qu'il faudra faire vite.

Je me redresse.

— Qu'est-ce que tu veux dire.

— Qu'on va chez Luc.

Il passe la seconde et double les voitures par une voie de bus. Quand, d'habitude, dix minutes de voiture nous séparent, là, en cinq minutes, nous sommes chez lui.

— Sors ! crie mon père.

Mon cœur accélère brutalement. Je claque la porte de la voiture et cours jusqu'à sa porte d'entrée. Je sonne et l'attente me paraît insoutenable. Charles m'ouvre et sans rien me dire, il me laisse passer, le sourire aux lèvres. Je cours dans les escaliers. Mes pieds martèlent le bois, je m'agrippe à la poignée et ouvre la porte de sa chambre qui vient claquer contre le mur. Luc est sur son lit, regardant son téléphone.

— Gabriel ? s'étonne-t-il.

— Je ne peux pas partir comme ça, sans t'avoir dit que je t'aime.

Il bondit hors de son lit et s'arrête à quelques pas de moi. Je lui saute dessus et plaque violemment mes lèvres contre les siennes. Là, je sens un feu d'artifice dans tout mon corps. Je ne remercierai jamais assez mon père de m'avoir fait faire ça.

— Je t'aime, murmure-t-il.

— Moi aussi.

— Je suis désolé, commence-t-il à sangloter, je te jure que j'ai voulu te réveiller.

— Ce n'est rien, je suis là maintenant.

— Ne traîne pas, tu as un avion à prendre.

— Je ne sais pas quand on se reverra, mais j'espère que ce sera le plus tôt possible.

— Dans, au moins, cinq ans, me rappelle-t-il.

— Je sais. Je dois y aller, dis-je.

Il reste planté là, à me regarder descendre les marches jusqu'à la sortie. Je m'apprête à ouvrir l'énorme porte blanche quand je l'entend crier depuis l'étage. Je lève les yeux et il est sur la rambarde à côté des escaliers.

— Écris-moi, Gabriel. Tous les ans à cette même date, écris-moi et donne-moi tes lettres quand on se reverra.

— Toi aussi, l'imploré-je.

— Je t'aime, Gabriel. Fais bon voyage.

— Je t'aime, Luc.

Je pleure pour de bon cette fois-ci. Cinq ans, c'est la fin du monde. Et cinq ans, c'est au bas mots. Qui sait ce qu'il pourrait se passer d'ici la ? À l'heure actuelle, ça représente quasiment un tiers de ma vie. Au moins, j'ai pu l'embrasser une dernière fois.

Je rentre à nouveau dans la voiture. Je pleure en regardant la maison de Luc rapetisser à travers la fenêtre. Mon père ne parle pas.

On arrive rapidement devant l'aéroport. Cette fois-ci, c'est mon papa qui pleure. Je l'enlace une dernière fois avant un moment. Quand je le quitte, mon t-shirt est trempé au niveau de l'épaule.

J'entre dans l'aéroport gigantesque. Je passe les portiques de sécurité et pars déposer ma valise pour qu'elle parte en soute. Je me retourne alors seul comme je l'ai rarement été.

J'hésite à appeler mon père, à lui dire que je veux qu'il vienne me chercher. Il m'a dit que si je changeais d'avis à n'importe quel moment, je n'avais qu'un mot à dire et je rentrais. Mais c'est trop tard. Avant que je ne m'en rende compte, je suis dans l'avion décollant en direction de New York. Il m'emmène à 5 836 kilomètres de Paris. À 5 836 kilomètres de Luc. Et ce, pendant au moins 1825 jours. À partir de l'instant où je suis parti, je compte les jours vers mon retour. Les jours qui me séparent de l'avion qui me fera parcourir dans le sens inverse ces 5 836 kilomètres qui me séparent de Luc. 


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