Chapitre 5-1

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— Christina, il faut se dépêcher ! m'interpella Worth d'une voix pressante à la limite de l'affolement. Si vous préférez rester avec elle, je peux prendre le...Oh merde ! s'exclama-t-il, quand il croisa mon regard transformé, tourné vers lui dans un mouvement reflexe.

Je ne lui répondis pas et me contentai de détourner le regard en fermant les yeux, au moment où je sentis les larmes poindre derrière mes paupières. C'était idiot, cela aurai dû me ravir, au contraire. La métamorphose s'amorçait enfin, alors que tout le monde croyais cela impossible. Cela signifiait, qu'à présent, j'étais une métamorphe à part entière. Ce qui, il y a encore quelque jours, m'aurait comblé de bonheur. Mais là...comme ça et en rapace en plus ! Je ne comprenais pas pourquoi cela me dérangeai autant. Je me transformais enfin et, comble de chance pour une fois, en la même espèce que Jude...que pouvais-je demander de plus ?

Le problème...je n'étais pas prête et je ne me sentais pas du tout l'âme d'un oiseau, ce...ce n'était pas moi ! Sans compter que ce n'était ni le bon endroit, ni le bon moment. J'étais seule et...j'aurais aimé que Jude soit là. Cette révélation me fit un choc. Il était là, le vrai cœur du problème. J'aurais voulu qu'il soit à mes côtés pour m'aider, m'accompagner...il me manquait atrocement et je regrettai chaque jour un peu plus de l'avoir abandonné comme cela. Je n'aurais jamais dû. J'aurais dû lui faire confiance...nous faire confiance. Forte de cette prise de conscience nécessaire, mais un peu tardive, je me promis, une fois là-bas, d'aller le trouver et de tout lui expliquer. Restait juste à espérer qu'il me pardonne.

Un peu rassérénée par ma décision, je rouvris précautionneusement les yeux, espérant qu'ils auraient repris leur teinte verte habituelle. Mais un nouveau coup d'œil dans le rétroviseur, m'apprit bien vite que ce n'était pas le cas. Les symptômes pré-transformation semblant s'être calmé pour l'instant et n'ayant pas franchement d'autres options, je montai dans la voiture et m'installai au volant.

— Tenez, me dit Worth d'un ton compatissant en me tendant ses lunettes de soleil par-dessus l'appui-tête. Vous serez plus à l'aise et cela évitera que vous ne provoquiez un accident, essaya-t-il de plaisanter pour détendre l'atmosphère.

Je les pris avec reconnaissance et réussis même à lui faire un petit sourire. Après tout ce n'était pas la fin du monde, juste un problème de plus dans ma vie désormais étrange et chaotique. Je mis le contact et descendis doucement du trottoir, qui était assez haut, pour ne pas abîmer le bas-de-caisse de la voiture de l'inspecteur...et pillai brutalement, pour ne pas rentrer dans le lampadaire qui se trouvait là.

— Oh là doucement, s'exclama Worth, visiblement peut adepte des freinages brusques. Vous savez conduire au moins ? me demanda-t-il d'un ton sceptique, qui me piqua au vif.

— Bien sûr que je sais conduire, lui répliquai-je hargneuse. J'essaie juste de ne pas rentrer dans les lampadaires ! Désolée si cela vous dérange que j'évite d'esquinter votre voiture.

— Un lampadaire ? Quel lampadaire ? me rétorqua Worth surpris et inquiet à la fois. Christina, il n'y a aucun obstacle devant nous. Le premier éclairage public est au moins à trois mètres !

— Non, ce n'est pas...commençai-je avant de m'interrompre, perdue et désorientée.

Effectivement, il avait raison. Maintenant que je regardais mieux, le lampadaire que j'avais eu peur d'emboutir, se trouvait à plusieurs mètres de là. Mais à nouveaux yeux...nouvelle vision et celle-là était...Waouh ! Maintenant que j'y faisais plus attention, tout me semblait plus proche et plus net à la fois. Même trop net, à vrai dire. C'était un peu comme si j'utilisais des jumelles en permanence, c'était...troublant.

Je dus prendre un peu de temps pour m'y accoutumer et réapprendre sommairement à réévaluer les distances correctement. Je fus un instant tentée de laisser le volant à Worth, ce qui aurait été beaucoup plus sûre et judicieux, mais aussi beaucoup trop risqué pour Hannah, me rendis-je compte d'un énième coup d'œil dans le rétroviseur. Sa blessure semblait s'être enfin arrêter de saigner, ce n'était pas le moment de la rouvrir en la bougeant inutilement.

C'est donc très précautionneusement que je repris la route, en essayant de dépasser le vingt à l'heure, sans faire une crise cardiaque. Tous les obstacles, poteaux et autres panneaux de signalisations, semblaient me sauter au visage. Je découvrais des couleurs et des nuances que je ne connaissais pas et qui semblaient s'incruster directement dans mes rétines, en les brulants au passage. Misère...heureusement que mon appartement n'était pas loin du bar. Alors que j'étais en train de me débattre avec ma nouvelle vision bionique, j'entendis Worth passer un coup de fil. Même s'il essayait d'être discret, j'entendais toute la conversation comme si je tenais moi-même le téléphone. Tiens, encore un cadeau surprise de mon moi volatile, ironisai-je toute seule, rigolant même de mon jeu de mot involontaire.

— « Henry ? C'est Worth. Il faudrait que tu envoies une unité dans la ruelle jouxtant le « Bruce Café » »

— « Ah bon, pourquoi ? demanda-t-il d'un ton suspicieux. Je te croyais au repos forcé chez toi, pas à faire la tournée des bars ! »

— « Arrête de plaisanter et écoute, le recadra Worth d'un ton autoritaire. J'ai cru voir un corps étendu dans la ruelle en passant devant en voiture quand je rentrais de la pharmacie. N'étant pas en service, je ne me suis pas arrêter, mais...j'aimerai que tu envoies quelqu'un jeter un coup d'œil. Je ne sais pas...une intuition... »

— « Pff...toi et tes intuitions... ! Bon ok, je vais envoyer quelqu'un. »

— « Merci Henry et surtout...tu me tiens au courant ? »

— « Ok, t'inquiètes. Mais...tu es sûr que... »

Worth lui avait raccroché au nez, lui coupant très efficacement la parole. Bien qu'à mon avis, ce ne soit pas tellement judicieux. Ce que je ne manquai pas de lui faire remarquer.

— Comment pouvez-vous savoir... ? commença-t-il à me demander, s'interrompant de lui-même quand je lui lançai un coup d'œil éloquent dans le rétroviseur, en ayant pris soin de baisser les lunettes de soleil, avant de les remettre tout de suite après.

— D'accord...si je comprends bien, il n'y a pas que la vue qui a changé ?

— Exactement, lui confirmai-je en constatant que je parlais instinctivement plus bas maintenant. Pourquoi avoir prévenu vos collègues ?

— Parce que c'est ce que l'on s'attend à me voir faire quand on me connait et votre collègue au bar m'avait l'air bien pipelette. Alors, j'ai préféré prendre les devants. Sans compter que nous pourrions peut-être en apprendre plus sur ce type...

— Et si les métamorphes l'apprennent...vous y avez pensé ? m'exclamai-je, agacée qu'il ne mesure pas le danger qu'ils pouvaient représenter.

— Et après... ? Je suis déjà dedans jusqu'au cou alors...

— Oh non ! Là vous n'effleurer que le sommet de l'iceberg, mon pauvre ami ! Et croyez-moi, vous n'avez pas du tout envie de savoir ce qui se trouve en-dessous...

Worth ne me répondit pas et se contenta de me renvoyer un regard borné et boudeur par rétroviseur interposé. Nous arrivâmes enfin devant notre immeuble, où je me garai en vrac sur le trottoir. Pas question que je tente un créneau en ce moment...mes nerfs et la voiture n'y survivraient pas ! J'ouvris ma portière, me demandant comment faire pour installer Hannah le mieux possible, pour le trajet plus long qui nous attendait.

J'eu un mal fou à m'extraire de la voiture, tellement j'avais mal partout. Tous mes membres me faisaient souffrir, comme après une séance particulièrement intensive de sport. Sans compter que mes yeux me brûlaient horriblement et que ma tête ressemblait à un tambour. En résumé...j'étais une loque. Pas une grande nouveauté pour moi ces derniers temps ! constatai-je amèrement. Cette sensation désagréable étant presque devenue la norme chez moi, depuis que j'avais rencontré ces fichus métamorphes de malheur.

— Christina, j'ai besoin d'aide ! me rappela à l'ordre et d'un ton limite exaspéré, monsieur inspecteur ronchon. Je crois qu'elle est en train de se réveiller...

— Oh non, ce n'est pas le moment...gémis-je, la tête dans les mains, tandis que je finissais de me lever de mon siège avec difficulté.




Chimère. Féline-Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant