Chimère. Féline-Tome 2

Chapitre 15-1

Bien qu'il se trouve encore à plusieurs mètres de nous, de l'autre côté de la pièce, je ne doutais pas une seconde que s'il tirait...il ne raterait pas sa cible. Jude en étant visiblement arrivé à la même conclusion, profita du moment où Charles passa derrière l'un des piliers pour déposer Hannah sur le sol. Il s'arrangea pour la mettre relativement à l'abri d'un tir perdu, derrière un autre des grands poteaux de bois, soutenant la charpente apparente de l'édifice.

Charles, tout à son approche triomphante, ne s'était apparemment rendu compte de rien. Il était comme dans mes souvenirs, froid, arrogant et...subtilement différent, sans que je sache pourquoi. Quelque chose dans son regard...me troublait. Au moment où j'allais spontanément me tourner vers Jude, Charles se décala légèrement sur la droite pour contourner un nouvel obstacle et un autre homme, jusqu'à présent dissimulé par son ombre, apparut.

Je cru que mon cœur avait manqué un battement, tellement le choc fut violent. Sans compter le rugissement de rage qui retenti dans mon esprit, à l'instant où Féline comprit par notre lien, qui se trouvait en face de moi.

Le professeur Shaw, irradiant la haine et me fixant d'un regard meurtrier, se tenait devant nous, debout aux côtés de Charles.

Mon mouvement de recul fut instinctif et celui de Jude tout autant, lorsqu'il tira violement sur mes menottes d'un geste rapide et circulaire du bras, pour me placer derrière lui dans un réflexe protecteur.

— Qu'est-ce qu'il fait là ? rugit-il d'une voix remplie de haine, tandis que toutes ses émotions qu'il n'arrivait pas à canaliser, m'atteignaient de plein fouet, me faisant chanceler.

— Il m'a fait une offre que je ne pouvais pas refuser, répondit Charles en me fixant étrangement. Il semblerait que notre chère métamorphe déficiente, soit finalement encore plus exceptionnelle qu'on ne le pensait. Alors livre-la lui sans faire d'histoire et...peut-être que je te laisserai partir.

— Jamais ! gronda Jude d'une voix étrange, qu'il avait visiblement du mal à maîtriser tandis que son odeur changeait subtilement sous l'effet de l'adrénaline.

Non c'était un cauchemar, je devais être en train de rêver...il le fallait ! Même si je détestais Charles au plus haut point et le croyais capable de presque tout, je le pensais quand même fidèle aux siens et prêt à tout pour les protéger. Visiblement je me trompais et je n'étais pas la seule que cette pensé consternait.

Je sentis Féline, envahit d'une rage animale, courir de toute la force de ses pattes, pour parvenir jusqu'à nous et déchiqueter à coup de griffes cet homme qu'elle abhorrait plus que tout. La peur viscérale que je ressenti pour elle à l'idée de ce qu'il pourrait lui arriver si elle s'approchait trop près du hameau des métamorphes, calma ma panique, me permettant de réfléchir plus clairement et ne plus alimenter la rage de la panthère avec ma peur.

« Féline ! » essayai-je de la contacter mentalement, espérant qu'elle soit encore assez lucide pour m'écouter. « Tu ne peux pas venir ici, il y a des gardes partout autour des bâtiments...tu vas te faire tuer », tentai-je de la prévenir le plus calmement possible pour ne pas augmenter sa fureur.

« Je ne veux pas qu'il te fasse du mal comme il m'en a fait à moi et aux miens », rugit-elle dans ma tête.

Sa projection fut si forte, qu'une douleur fulgurante éclata soudain derrière mes yeux, me donnant l'impression que mon cerveau était sur le point d'éclater. Par reflexe je voulus porter mes mains à mes tempes, mais la poigne de Jude m'en empêcha. Ce dernier, trop occupé à tenter de se calmer et trouver une solution pour nous sortir de là, ne s'était rendu compte de rien. Avec effort, je repoussai la nausée que la douleur venait de provoquer et essayai une nouvelle fois de raisonner mon amie avant qu'un drame ne se produise.

« Féline, écoute-moi s'il te plait », la suppliai-je avec les dernières forces qu'ils me restaient. « Ne viens pas ici, on va se débrouiller...Va trouver Worth », lui ordonnai-je soudain, surprise de ne pas y avoir penser avant. « Trouve le moyen de lui faire comprendre que Shaw est ici et il préviendra ses collègues...eux ils pourront nous aider », ajoutai-je pour tenter de la convaincre.

Je ne sais si ce furent mes arguments qui firent mouche, où le fait qu'elle m'ait fait souffrir sans le vouloir, mais je la sentis ralentir sa course et commencer à se calmer et réfléchir.

« D'accord petite sœur...mais après je viens », m'envoya-t-elle d'un ton sans réplique avant de couper brusquement notre communication mentale, me laissant subitement seule dans ma tête.

Mon échange silencieux avec Féline m'avait semblé long, mais n'avait en fait pas dû durer très longtemps puisque lorsque je revins dans le monde réel, Charles était toujours sur l'estrade et n'avait toujours pas répondu à la question de Jude.

— Comment as-tu pu...après qu'il ait enlevé Aria et les autres ?

— Lorsque l'on est un chef digne de ce nom, on doit savoir prendre les bonnes décisions, faire certains sacrifices pour le bien du plus grand nombre, clama Charles d'un ton emphatique bien qu'il n'ait aucun spectateur à convaincre.

— Comme livrer une innocente à ce monstre ou envoyer sa fille à la mort ?

— De quoi est-ce que tu parles ? Hannah était avec toi et tu me sembles aller très bien !

— Nous avons été attaqués. Je pense pouvoir affirmer sans trop me tromper que ton nouvel associé à essayer de te doubler.

— Vous m'aviez juré que si je vous livrais la chimère, vous ne feriez plus aucun mal aux miens, rugit-il en direction de Shaw, que ça n'eut pas l'air d'impressionner plus que ça.

« Chimère » ? Mais de quoi parlait-il ? me demandai-je soudain un peu perdu par le tour obscur que prenait la conversation. Jusqu'à ce que je sente Jude se raidir et qu'il me lance un regard à la fois surpris et effrayé, qui me déstabilisa encore plus. J'essayai de trouver un peu de réconfort et d'explication dans notre lien psychique, mais me heurtai à un mur...il ne voulait pas que j'accède à ses pensées ! Mais que se passait-il encore à la fin ? Et qu'est-ce-que c'était qu'une chimère et quel lien cela pouvait-il bien avoir avec moi ?

— J'ai simplement voulu assurer mes arrières et mes...hommes, ont été un peu plus zélé que nécessaire, répondit Shaw de sa voix monocorde et glaciale.

— Où est ma fille ? demanda Charles dans un grondement terrifiant qui fit presque trembler les murs. J'espère pour vous qu'elle n'a rien, menaça-t-il Shaw en lui lançant un regard meurtrier que l'autre soutint sans aucun effort apparent.

Shaw, bien que beaucoup plus frêle et petit que Charles, toisait ce dernier avec une assurance et un dégout non dissimulés. Je crois que niveau sociopathe, Charles avait trouvé son maître !

— Elle est ici, l'interpela Jude en lui désignant l'endroit où se trouvait Hannah d'un signe de tête, mais elle est grièvement blessée et à besoin de ton aide.

— Ce n'est pas à toi de me dire ce que je dois faire ou pas, répondit-il dans un grognement féroce, tandis qu'il sautait de l'estrade et s'approchait de Jude d'une démarche fluide et déterminée, un drôle d'éclat dans le regard.

Jude, dont je sentais la peur et l'anxiété croitre de manière exponentielle, me glissa soudain quelque chose de petit et froid au creux de la main.

— Enlèves tes menottes et dès que tu as une opportunité...sauve-toi, me chuchota-t-il avant de me pousser en arrière.