Chimère. Féline-Tome 2

Chapitre 14-2

— A partir de maintenant, tu es ma prisonnière. Joue bien ton rôle...sinon nous sommes morts tous les deux, me chuchota-t-il à l'oreille, avant de tirer d'un coup sec sur mon bras et de m'entraîner sans ménagement derrière lui.

Quelque peu surprise par la brutalité de son geste, à laquelle je ne m'attendais pas, je ne pus retenir un geignement lorsque ma main blessée cogna douloureusement contre son bras. Au lieu de réagir comme il l'aurait fait d'ordinaire, il m'ignora superbement et d'une nouvelle traction, me tira derrière lui. Nous arrivâmes alors en vue d'une allée caillouteuse, au bout de laquelle, se découpait la silhouette massive de la maison de Charles.

Une nouvelle secousse énergique me sortit de ma contemplation et je jetai à Jude un regard outré. Ce qui me valut aussitôt un rappel à l'ordre musclé, qui faillit me dévisser la tête.

— Non mais ça va pas ? sifflai-je entre mes dents en lui lançant un regard assassin. Qu'est-ce qui te prend, bon sang ?

— Je te test, voilà ce qui me prend, me répondit-il sur le même mode, tâchant d'ouvrir la bouche le moins possible. Et j'ai bien fait ! Tu as de la chance que nous ne soyons pas déjà en vue des sentinelles, s'il y en a, car ils nous auraient démasqués en trois secondes. Ne me lance pas des regards surpris ou interrogatifs...sinon, ils vont comprendre tout de suite. Tu en es capable ou non ?

Je ravalai la réplique cinglante qui m'était spontanément venu à l'esprit et me contentai de lui faire un petit signe de tête, en guise d'acquiescement. Il avait raison bien sûr et lorsqu'il me l'avait demandé tout à l'heure dans le bosquet, cela m'avait paru facile de jouer la comédie...un jeu d'enfant ! Nous nous étions tellement chamaillés et envoyés des vannes pendant des jours, que j'avais cru que cela reviendrait naturellement, mais je me trompais lourdement. Beaucoup de choses avaient changé entre nous en quelques semaines et notre relation avait beau en être à ses balbutiements et même pas encore clairement définie, cela changeait tout. Il allait donc falloir que je me force, que je fasse des efforts pour être crédible et ne pas tout faire capoter.

— Bon c'était ta dernière chance...cette fois-ci sois plus convaincante, ok ?

Il n'attendit même pas que je réponde et changeant apparemment de tactique sans me consulter, lâcha mon bras pour se saisir de la petite chaine des menottes. Puis il rejoignit la route à pas énergiques, ses grandes foulées m'obligeant à trottiner derrière lui pour pouvoir suivre son rythme. Je trébuchai presque à chaque pas sur le sol inégal et failli m'étaler à plusieurs reprises. Sans compter mes blessures en voix de cicatrisation qui me faisait souffrir et risquaient de se rouvrir et les menottes qui me meurtrissaient les poignets...c'était l'enfer ! Heureusement que le chemin menant jusqu'à la maison n'était pas long. Je comprenais l'utilité de cette mascarade, mais je trouvais que Jude prenait son rôle un petit trop au sérieux.

Enfin, nous finîmes par nous arrêter devant un grand portail ouvragé en fer forgé, que je ne me souvenais pas avoir vu la dernière fois que j'étais venue et pourtant...il était difficile à louper ! À notre approche deux hommes émergèrent de derrière les piliers, se plaçant simultanément et de manière toute militaire, chacun derrière l'un des vantaux. Si je n'avais pas été si stressée et si inquiète, la caricature de leur posture aurait presque pu me faire rire, alors que là...ces types me fichaient juste une trouille de tous les diables...ce qui n'était pas normal.

— Qui êtes-vous ? leur demanda Jude d'une voix forte en s'arrêtant à quelques pas de l'imposante grille.

Aucune réponse des deux cerbères, qui se contentèrent de nous fixer de leurs yeux froids et inexpressifs. Il y avait quelque chose qui clochait, je ne savais pas quoi exactement...mais je le sentais. C'est alors, que je laissais tomber un tout petit peu mes barrières psychiques et que leur aura corrompu me frappa de plein fouet, me faisant instinctivement reculer. Je sentis Jude chanceler légèrement sous mon brusque recul, à moins que d'une manière ou d'une autre, il ait réussi à capter une partie de ce que je venais de ressentir.