Chimère. Féline-Tome 2

Chapitre 24-1

C'était un véritable massacre, me dis-je tandis que j'avançai à contrecœur et en essayant de contenir ma nausée, en slalomant entre les corps que j'osai à peine regarder. Cassie qui marchait à côté de moi, ne cessait de répéter en boucle et dans un marmonnement obsédant « Oh, mon dieu ! Oh, mon dieu ! Oh, mon dieu ».

— Respires par la bouche et ne regardes pas, lui dis-je en chuchotant, comme si j'avais peur de déranger les morts.

L'atmosphère était lourde et irréelle. Pas un bruit ne semblait filtrer de la nature environnante, à moins que ce ne soit le choc qui ait anesthésié nos sens. J'en profitai pour suivre mon propre conseil...ce qui ne m'aida pas du tout ! L'herbe et les sentiers de terres battues que nous empruntions, étaient mouchetés d'éclaboussures écarlates, qui me rappelait bien trop efficacement, ce que mes yeux cherchaient à éviter.

« Pourquoi la vue de ces mauvais hommes mort, te dérange-t-elle ? » me demanda soudain Féline, qui elle semblait au contraire jubiler à la vue de ce spectacle répugnant.

C'est alors qu'une chose que j'aurai dû repérer depuis le début me sauta subitement aux yeux. Les corps, qui n'étaient pas si nombreux que cela, portaient tous des tenues de camouflages style militaire et vue leur état, avaient été tués avec autre chose que des armes à feu. Maintenant que je m'autorisai à vraiment regarder, les quatre ou cinq corps gisant là, étaient des hommes de Shaw et avaient été déchiquetés à coup de griffes et de crocs.

— Bien joué Isaac, entendis-je Jude lui murmurer à l'oreille d'une voix sourde et grondante quelques mètres devant moi.

Je me sentis soudain allégée d'un poids énorme et ma respiration s'en trouva immédiatement soulagée. Mais si tous les morts ici présents étaient des sbires de Shaw, où étaient passé les métamorphes qui vivaient ici d'ordinaire, me demandais-je alors que nous nous éloignions enfin de la zone de massacre, en passant entre deux bâtiments. Je n'avais pas fait un pas dans cet étroit passage, qu'un mauvais pressentiment me saisis, aussitôt confirmée par Féline.

« Attention ! Nous ne sommes pas seuls ici... » m'avertit-elle soudain, avant de feuler en direction des toits.

Je levai la tête et aperçus une ombre indistincte dissimulée derrière le conduit de cheminée et qui se recula à l'instant où je posais les yeux sur elle.

— Jude ?!

Ma voix, amplifiée par l'effet tunnel de l'étroit corridor, sembla claquer comme un coup de tonnerre, bien que j'aie pris la peine de parler le plus doucement possible.

— Je sais...j'ai vu. Ne regardez pas et continuez sans vous arrêter, nous sommes presque arrivés.

« Je vais voir. » me dit Féline, avant de partir à foulées longues et puissante le long du bâtiment adjacent, dans l'intention de trouver un endroit d'où elle pourrait grimper. Je continuai à avancer, une Cassie tremblante à mes côtés, essayant pour une fois d'écouter Jude et m'appliquant à observer mes pieds.

— Qu'est-ce-que c'était ? demanda Worth d'une voix légèrement anxieuse, tout en jetant des coups d'œil prudent mais nombreux autours de lui, ne pouvant apparemment pas s'en empêcher.

— Plus tard ! lui répondit Jude d'une voix sans appel alors que nous atteignions enfin la sortie de cet horrible goulet.

Je me reconnus à l'instant où nous tournâmes au coin d'un bâtiment de bois à un étage, équipé d'un escalier extérieur. Cette maison était divisée en deux appartements, dont celui du bas avait été attribué à Jude. Nous le longeâmes, et je ne pus m'empêcher d'avoir un petit pincement au cœur, au souvenir de ce qu'il s'y était passé il y avait quelques jours de ça. Même si tout c'était bien terminé entre Jude et moi depuis, je n'arrivais toujours pas à comprendre pourquoi j'avais réagi de façon aussi idiote en l'abonnant comme ça, blessé et au comble de l'inquiétude.

Je sortis brutalement de ma rêverie, lorsque je vis Jude se mettre à courir, un air d'intense inquiétude sur le visage. Nous n'étions heureusement pas loin de l'infirmerie et l'atteignîmes en à peine quelques minutes. Worth allongea brusquement sa foulée pour précéder Jude et lui ouvrir la porte. Nous nous engouffrâmes tous à sa suite et...ne pûmes que constater les dégâts avec affliction.

L'endroit était comme dans mes souvenirs, sauf qu'une tornade semblait y être passer avant nous. Les murs et le sol étaient recouvert de traces de sang et d'impacts de balles, tandis que du matériel médical saccagé et inutilisable, jonchait le lino imitation carrelage, éventré et brûlé par endroit. Tous les meubles avaient été renversés ou balancés aux quatre coins de la pièce. Un des deux lits, désormais irrécupérable, bloquait même l'accés à la salle de bain et une partie de l'entrée.

— Mon dieu, mais il s'est passé quoi ici ? chuchota tristement Cassie en contemplant le carnage.

— Je pense que c'est ici qu'il le retenait prisonnier et l'on torturé, nous répondit Jude d'une voix à la limite de la rupture. Vite, il faut redresser un lit, tout de suite ! Celui-là, m'a l'air encore récupérable nous dit-il d'une voix pressante en nous indiquant le coin gauche de la pièce d'un signe de tête.

L'inspecteur et moi, nous précipitâmes vers le meuble renversé et réussîmes à le remettre sur ses pieds avec plus de facilité que je n'aurais cru. Le matelas présentant des traces de sangs et de brulures, nous le recouvrîmes d'un drap étonnamment propre trouvé sous une des caisses de rangement, pour protéger un minimum Isaac des infections avant de nous rappeler que c'était un métamorphe et que ce n'était donc pas une préoccupation pour lui. Quoique dans son état, me dis-je tristement quand Jude le déposa avec mille précautions sur le linge immaculé, qui le fit paraitre encore plus pâle qu'il n'était déjà.

— Hannah, c'est à toi de jouer maintenant, lui dit-il en s'écartant pour lui laisser la place. Tu es la seule à avoir des notions médicales dans cette pièce. Dis-nous ce qu'il faut faire...

Pendant un instant, elle ne dit rien, se contentant d'observer son frère d'un regard torturé et perdu. Puis je la vis se reprendre et commencer à fouiller la pièce du regard.

— Christina, Gabriel ! Cherchez un tuyau assez long et deux cathéters...vous savez ce que c'est ? nous demanda-t-elle d'une voix voilée, où ne transparaissait qu'une once de son autorité habituelle.

— Oui, lui répondis-je déjà en train de fouiller dans le monceau de fournitures médicales répandu alentours.

— Que veux-tu faire avec ça ? lui demanda Jude, se mettant spontanément à nous aider dans nos recherches pour le moment infructueuse.

— Une transfusion. Il lui faut du sang de métamorphe, pour aider son corps à se battre et le stabiliser. Ensuite, je pourrais m'occuper du reste, mais...il faut déjà qu'il survive.

Nous ne mîmes heureusement pas trop longtemps à trouver ce qu'il fallait. Hannah était en train d'installer le cathéter dans le bras de Jude, quand une douleur fulgurante me paralysa, semblant me déchirer le cerveau et qu'un cri inhumain retentissait à l'extérieur, faisant trembler les murs.

Sous le coup de la douleur je tombai à la renverse, me fracassant le dos sur l'une des étagères renversées. Je n'arrivais plus à faire la part des choses entre la douleur de Féline et la mienne. Mon amie était blessée et en train de se battre, pourtant je ne ressentais aucune panique émanant d'elle, elle était plutôt concentrée et attentive. Alors d'où venait cette douleur atroce qui semblait me déchirer le corps et l'esprit sans que je n'aie aucune prise sur elle ?