Chimère. Féline-Tome 2

Chapitre 22-2

J'avais beau avoir appuyé Jude dans sa décision, car je n'en avais pas de meilleure que lui, j'étais loin de penser que c'était une bonne idée. Cela faisait déjà une bonne heure que nous marchions et l'attention fournit à rester connectée avec Féline et à éviter les obstacles en tout genre, commençait à avoir raison de ma patience et du peu d'endurance qu'il me restait. Alors que je trébuchais pour la centième fois me semblait-il et surtout sans raison apparente, je sentis une main hésitante me saisir par le bras pour me stabiliser, avant de me relâcher aussitôt.

— Je ne brûle pas vous savez, dis-je à Worth dans un chuchotement essoufflé, tout en essayant de garder un ton léger et détaché pour ne pas le brusquer.

— Vous non, mais moi...

Sa voix était hésitante, comme voilée et on sentait qu'il avait peur. J'aurai bien aimé pouvoir le réconforter, lui dire que tout allait rentrer dans l'ordre et s'arranger...mais je savais très bien que ce n'était pas le cas. Dorénavant sa vie ne serait plus jamais la même et je n'étais même pas certaine qu'il puisse même reprendre son boulot un jour. Ce dont j'étais sûre en revanche, c'était qu'il n'avait ni envie, ni besoin d'entendre ça en ce moment et que...je ne savais pas mentir. Le mieux était donc que je me taise. Ce que je fis, et qu'il interpréta encore plus mal que n'importe quelle bêtise que j'aurai pu dire, constatai-je lorsqu'il me dépassa d'un pas rageur, son beau visage défiguré par la peine.

— Je n'ai pas peur de vous, lui dis-je en le retenant sans aucune hésitation par le bras. Je suis tout simplement nulle quand il s'agit de réconforter les autres, c'est tout.

Pour toute réponse, il se retourna et me sourit, d'un petit sourire timide et sans joie qui ne lui ressemblait pas et me fis de la peine.

— Tout va rentrer dans l'ordre, lui dis-je finalement en lui prenant la main pour lui apporter un peu de réconfort et confirmer mes propos.

Ce qui ne m'empêcha pas de faire une grimace intérieure, en m'entendant lui sortir ce poncif éculé.

— On vous a déjà dit que vous ne saviez pas mentir ? me demanda-t-il en me fixant de son beau regard redevenu vert, assortit de son vrai sourire désarmant.

— Oh zut ! Moi qui croyais que je m'améliorais...commençai-je à plaisanter avant de m'arrêter brutalement, soudain envahit d'une vague d'émotions contradictoire.

— Stop ! ordonnai-je d'une voix claire, mais que j'espérai tout de même pas trop sonore.

À mon grand soulagement, je vis tout le monde s'arrêter net et Jude se précipiter vers moi, m'interrogeant déjà du regard à plusieurs mètres de distance.

— Féline...commençai-je tout en essayant de mieux analyser les perceptions qu'elle m'envoyait.

— Elle voit quelque chose, me demanda Jude légèrement sur la défensive.

— Non justement, c'est...

« Trop calme...ce n'est pas normal » verbalisa enfin la panthère dans un murmure mental imprécis.

— Selon elle, tout est trop calme...mais elle ne peut pas être plus précise.

« Formidable », ronchonna Jude dans sa barbe, avant de me saisir par la main et de m'entrainer avec lui, en tête de notre petit groupe.

— Nous sommes quasiment arrivés. Juste quelques centaines de mètres nous sépare des premiers bâtiments, suivez-nous comme votre ombre et restez groupé, ordonna-t-il avant de se tourner vers moi. Toi, reste en contact avec Féline et si tu peux, essaye de repérer des signatures de métamorphes dans les parages.

— Tu penses, qu'ils montent la garde sous leur forme animale ?

— C'est une possibilité, me répondit-il d'un ton légèrement froid et distant.

— Pourquoi ne se serait-il pas manifesté en nous voyant dans ce cas ?

— Justement ce n'est pas logique, mais pour une fois je suis d'accord avec la panthère...il y a quelque chose qui cloche. Tu ne le ressens pas ?

— Franchement non, mes perceptions se mélangent à celles de Féline et...ce n'est pas simple pour moi. Mais je ressens bien ton agressivité en revanche ! Qu'est-ce-qui ne va pas ?

— Te voir main dans la main avec notre cher inspecteur par exemple ! me répondit-il avec un demi-sourire carnassier.

— Quoi tu es jaloux ? Tu crois vraiment que c'est l'endroit et le moment pour ça, lui répondis-je dans un murmure irrité.

— Non je ne suis pas jaloux et je comprends même très bien pourquoi tu l'as fait. Mais tu lui plais et lui risque d'en tirer de mauvaises conclusions...alors fais attention, c'est tout.

Je restai bouche-bée quelques secondes devant tant de mauvaise foi masculine, mais réussis l'exploit incommensurable de ne rien dire. Comme quoi tout arrivait ! Je ruminai toujours tandis que nous nous rapprochions du hameau des métamorphes, apercevant même le toit de certains bâtiments. C'est alors que ça me frappa...le silence. Un silence pesant et anormal, un silence de mort. Soudain très angoissé, j'essayai de déterminer où se trouvait Féline, pas très rassurée de la savoir seule.

« Je suis ici...au-dessus de toi » m'envoya-t-elle avec ce qui dans mon esprit correspondait à un sourire.

— C'est Féline ! prévins-je les autres au moment où cette dernière amorçait sa descente, arrivant presque sur la tête de Jude, qui dû faire un petit écart sur le côté pour l'éviter.

— Je suis sûr que ça l'amuse en plus, commenta-t-il en nous jetant à elle comme à moi, un regard noir.

— C'est certain, lui rétorquai-je alors que j'accueillais mon ami, d'une rapide caresse sur la tête. Ce silence, n'est pas normal, ajoutai-je beaucoup plus sérieusement en me rapprochant de lui.

— Tu l'a enfin remarqué, me dit-il mais sans pour autant qu'il y ait de critiques dans sa voix.

— ça pourrait être Adam, dit soudain Worth, s'immisçant dans notre conversation. Il avait fait la même chose dans les bois quand...

— C'est une possibilité en effet. Mais si c'est le cas, c'est qu'il y a une menace dans les environs et je pense que Féline l'aurait remarqué. De toute manière rester là, ne nous avancera pas...allons-y.

Nous nous engageâmes donc très prudemment dans les derniers mètres de sous-bois, englués dans ce silence oppressant et limite surnaturel. Nous n'avions fait que quelques pas, quand Jude d'un signe de la main nous fit signe de nous arrêter, avant de faire un pas prudent en avant.

— La barrière est désactivé, nous dit-il la voix grave et le visage sombre.

— Ce qui veut dire, demanda Worth.

— Que cela a été fait sciemment, ce qui m'étonnerait. Ou que la sorcière qui l'a mise en place...

— ...est morte, acheva Hannah a sa place, d'une voix sans force.

« Comme tous les humains tueurs d'animaux qui se trouvaient ici ! Et maintenant ça va être votre tour ! » Tonna soudain dans mon esprit, une voix mentale puissante et rageuse, qui submergea mes sens me laissant tremblante et malade, tandis qu'une ombre gigantesque se dressait soudain devant nous, nous barrant le passage.