17 : La chapelle du démon

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J'avais retrouvé Julien, le collègue du journal, à 15 heures au café L'Idéal. C'était plus un bar PMU qu'un café branché, mais nous y étions tranquilles. 

"Parle-moi de cette histoire de chapelle abandonnée ! Tu sais que j'adore les vieilles bâtisses ! avais-je commencé.

- Ouais, c'est ça, ma petite, et les beaux mecs aussi ! 

- Ecoute, c'est vrai que c'est surtout pour une copine que je te demande tout ça...

- Mais bien sûr, une copine ! m'avait-il coupée.

- Pour une copine. Mais ça m'intéresse aussi cette affaire de patrimoine local ! C'est une chapelle du XVIIème siècle, non ? Ce n'est pas vraiment ma période de prédilection, mais s'il y a quelques jolies statues, peut-être des peintures d'époque, ou même des meubles anciens, ça peut me plaire !

- Raconte-moi d'abord ton histoire bidon de copine et dis-moi ce que tu veux savoir, et après je te parlerai de la chapelle. Je suis étonné que ça ne te dise rien, d'ailleurs. On voit que tu n'es pas du coin ou alors, tu bossais trop quand tu étais au lycée et tu as zappé des trucs sur la campagne tourangelle !"

Julien commençait vraiment à m'intriguer.

"Je suis arrivée ici pour mon Master 2, figure-toi, c'est pas si vieux. Bon, pour le reste, c'est pas très compliqué, une de mes copines - je ne te dirai pas son prénom, n'insiste pas ! - a flashé sur ce mec à une soirée, elle l'a revu deux-trois fois, et voilà, on voudrait bien en savoir un peu plus. Pas question que je laisse une amie se lancer dans une histoire potentiellement pas nette avec un mec bizarre !

- C'est lequel des deux ?

- C'est le brun, cheveux longs. Stanis.

- Ok. Il s'appelle Stanislas Molnar. Son pote, c'est Armand de Rouvery. Ils sont plutôt cool et sympas, en tous cas de ce que j'en sais. Ils m'ont payé un resto après le reportage, un truc vraiment chic, dans un genre de relais-château, où ils m'ont emmené avec leur propre voiture. Une Audi A8, la grande classe, les mecs. Je ne connaissais pas le resto, mais c'était super bon, style les chefs que tu vois à la télé, présentation et tout, et en plus ils n'ont pas lésiné sur le vin. Une bouteille différente pour chaque plat, t'imagines ! Il y avait notamment un petit Merlot... j'en salive encore !

- Bon, tu ne vas pas me faire la description du menu, non plus ! Raconte-moi les trucs intéressants plutôt !

- Molnar, le mec de ta copine, il est d'origine hongroise d'après ce que j'ai compris. Je précise, parce que c'est bizarre, un Hongrois qui veut acheter ce truc, c'est pas vraiment un trésor national... Mais bon, quand tu as du fric, tu fais ce que tu veux ! L'autre, Armand, c'est un mec d'ici, enfin bon, il n'habite plus à Tours, il est plus du genre Londres ou Madrid. Les De Rouvery, c'est une famille qui est assez connue dans la région. Ils étaient dans le vin à la base, ça a fait leur fortune. Tu as toujours un des fils qui continue de s'en occuper, et qui perpétue la tradition familiale, mais pour les autres, bah ils ont plutôt investi leur héritage dans des trucs financiers genre rachats d'entreprises, ou je ne sais quoi, ça leur a super bien réussi apparemment. Armand, c'est l'un des rejetons. Il est à peine plus vieux que nous, mais on ne vit pas vraiment dans le même monde. Il m'a expliqué qu'il dirigeait une boite de transport, spécialisée dans les échanges avec l'Europe de l'Est.  

- Et c'est comme ça qu'il a connu Stanis ! S'il a des liens avec la Hongrie...

- Oui, en effet, ils travaillent ensemble. Tu sais, Stanis, il n'a pas beaucoup parlé. Je ne peux pas en dire grand chose. Armand, par contre, je le connaissais déjà un peu, c'est comme ça que j'ai pu faire les photos et le reportage. Au lycée, il était à Notre-Dame, évidemment, mais il aimait bien s'encanailler avec des gens du peuple, tu vois le style, et venir de temps en temps visiter les petits camarades du public ! Quand j'étais en seconde, il était en terminale, et il venait faire le beau, draguer les filles, acheter un peu d'herbe surtout. Les nanas de ma classe en étaient toutes dingues ! En fait, j'avais des copains qui dealaient un peu, donc il m'était arrivé de traîner quelques fois avec lui. 

- Et Stanis, il t'a fait bonne impression ? 

- Tu sais, au bout d'un moment, j'étais complètement bourré, donc ton Stanis, qui me servait verre sur verre, ben ouais il m'a fait bonne impression ! J'imagine que c'est un peu le même genre de fils à papa qu'Armand. Il va s'amuser avec ta copine ici, et ensuite, il ira retrouver sa petite amie de la haute pour parler des préparatifs du mariage ! 

- Super... Bon, et ces trucs mystérieux sur la chapelle alors ?

- Héhé, la chapelle Saint Firmin. La chapelle du démon. A l'époque du lycée, et même au collège d'ailleurs, il y avait des espèces de légendes qui couraient sur cette chapelle. Tout le monde racontait qu'elle était hantée, que Satan y tenait cour - oui, c'était comme ça qu'on disait, je ne sais pas d'où venait cette expression - et que des messes noires y étaient célébrées régulièrement.  Il y en avait qui prétendaient y être allés, ou plutôt qui connaissaient quelqu'un qui connaissait quelqu'un qui connaissait quelqu'un qui y était allé, à minuit précises, et qui y avait assisté à des scènes à vous glacer le sang : prières sataniques, sacrifices d'animaux, femmes nues, hommes encagoulés, rituels de sang, danses lubriques autour d'un feu, orgies démoniaques, il y aurait même eu des vampires, tout le décorum quoi ! On se foutait tous la trouille avec cette ruine, d'ailleurs, pour l'article, c'était la première fois que je la voyais de près ! Les histoires les plus flippantes parlaient de sacrifices humains, et de jeunes filles disparues dont on ne retrouverait jamais la trace puisque des "instances supérieures" bloquaient les enquêtes de police. On parlait notamment d'une certaine Stéphanie Berthaud, une fille du lycée qui avait en fait déménagé à Toulon avec ses parents, mais dont on chuchotait qu'elle était morte, que nous étions manipulés et qu'elle avait en réalité été offerte à Satan pendant une messe noire à Saint Firmin, ou dans une autre version, jetée en pâture à des vampires ! 

- Eh ben, l'imagination des ados, c'est dingue ! Mais c'est rigolo cette histoire, tu aurais dû en parler dans ton article, ça aurait donné du relief ! 

- Figure-toi que ce qui est dingue, c'est que De Rouvery a insisté pour que je ne mentionne pas ces histoires, et aussi pour que je ne cite pas leurs noms. Et dans les photos parues avec l'article, bien entendu, on ne les voit pas.

- Pourquoi ? C'était des délires de gamins tout ça.

- Bien sûr, et puis apparemment, il y avait quand même des gens qui s'y rendaient. Des gothiques, des métalleux, notamment. Ils faisaient un feu, buvaient quelques bières, fumaient quelques pétards et écoutaient de la musique, rien de plus. Mais je crois que De Rouvery y emmenait souvent des nanas pour les impressionner. Il avait la réputation d'avoir une petite manie : il adorait dépuceler les filles vierges, et les laisser tomber ensuite. Je pense qu'il n'y a jamais eu d'orgies sataniques là-bas, mais peut-être quelques histoires de cul entre le bon petit catho dépravé et quelques lycéennes naïves.

- Depuis le temps, il y a prescription... Mais c'était quand même un sacré connard, non ? Et tu crois qu'il rachète ça par nostalgie ?

- Nostalgie ou lubie, va savoir. Mais si tu veux, je t'y emmène un de ces jours, ça te dit ?

- Avec grand plaisir ! Voir le lieu où Satan tient cour, ça ne se refuse pas !"




Le clavier vampireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant