12 : Nocturne

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Mes paupières s'étaient closes sur l'image d'Axel, dont j'avais éperdument contemplé la seule photo que je possédais avant de me coucher, comme imprimée sur mes pupilles.

Je m'étais endormie vite, bercée par la certitude - ou l'illusion - que j'entamais une histoire magique avec un homme formidable, une aventure hors du commun, et que je devais la vivre à tout prix.

Vers quatre heures du matin, j'avais été réveillée par un froissement dans ma chambre. Comme un bruissement de plumes. Puis j'avais entendu une sorte de tapotement sur le parquet, que j'avais assimilé au bruit que feraient de tous petits pas. Tendant l'oreille, j'essayais de percevoir d'autres sons, qui auraient pu me renseigner sur la nature de cette présence. Mais plus rien. Pendant de longues minutes, les yeux fermés, incapable d'allumer la lumière, j'avais guetté en vain une autre manifestation de l'intrus. Rien. Le silence de la nuit. A peine le ronronnement des voitures, en bas, dans la rue. Je commençais à me dire que j'avais tout simplement rêvé.

Et puis soudain de nouveaux pas avaient sourdement résonné sur le sol, et le bruissement était devenu un véritable battement d'ailes, lent et régulier, tournant autour de moi. Une angoisse atroce pesait sur mes paupières que je ne pouvais me résoudre à ouvrir. J'étais paralysée par la peur. J'avais l'impression de sentir sur mon visage le souffle de l'air remué par ce déplacement odieux. Mon cœur battait à tout rompre, ma respiration s'accélérait. Et puis tout d'un coup, j'avais senti un poids s'écraser sur mon corps. La créature s'était posée sur ma poitrine, et ne bougeait plus. Je voulais hurler de terreur, mais j'étais pétrifiée par la force de cette masse qui pesait sur moi. Je ne respirais plus, mes poumons allaient exploser, j'étouffais.

Mais poussée par une volonté que je croyais aliénée par la présence de la bête, j'avais fini par ouvrir les yeux. A quelques centimètres de mon visage se dressait un animal magnifique. C'était un paon sublime, majestueux, immense. Malgré l'obscurité qui régnait dans la chambre, je voyais distinctement les nuances superbes de son plumage. La tête, le cou et la poitrine resplendissaient d'un bleu nacré tirant sur le violet, et l'aigrette qui couronnait son crane brillait de reflets métalliques. Le plumage de son dos était d'un bleu-vert doré, et la couleur des bordures de chaque plume rappelait le bronze des plus merveilleuses statues. Je reprenais mon souffle petit à petit, incapable de comprendre comment cet animal avait pu pénétrer dans mon appartement.

Sa queue reposait sur le lit, paresseusement abandonnée, comme une traîne de mariée. Mais lentement, cette longue masse de plumes s'était déployée. Le paon l'avait relevée à la verticale, ouvrant largement ses plumes en un immense éventail parsemé d'ocelles étincelants. Des ondes lumineuses avaient envahi tout l'espace de ma chambre. Le paon rayonnait littéralement sous mes yeux ébahis. Les murs, les meubles, le plafond étaient métamorphosés, atteints par la diffraction de la lumière qui enflammait les plumes de l'oiseau. Partout, des reflets colorés, des taches argentées, des mouchetures dorées faisaient scintiller la pièce.

La luminosité était telle que j'avais dû à regret refermer les yeux. J'avais alors cru entendre un chuchotement très faible, un murmure étrange qui s'était insinué dans mon oreille. Quelques mots glissés tout doucement, et répétés inlassablement, mais que j'étais incapable de saisir. Le sentiment que ces mots étaient d'une importance capitale avait alors pris toute la place dans mon esprit. Il fallait que je les comprenne, et une angoisse insoutenable s'était immiscée en moi. Je m'était mise alors à répéter "PLUS FORT", d'abord dans ma tête, puis en articulant silencieusement les mots qui ne voulaient pas sortir, pour finalement me réveiller dans un grand cri : PLUS FORT !

La chambre était tranquille, aucune trace d'oiseau merveilleux, le seul scintillement étant celui de mon radio-réveil qui indiquait 5h12. Un cauchemar.

Assommée par la fatigue, en sueur, j'avais réussi à me rendormir malgré des pensées désordonnées, témoins de ce rêve troublant.

De nouveaux rêves avaient pris la place du songe du paon. Des rêves moins angoissants, mais presque aussi bizarres. Des rêves plus... érotiques.

J'étais étendue sur le dos, et je me rendais compte que mes draps avaient été doucement enlevés du lit et posés sur le sol. Je savais aussi que la nuisette et la culotte que je portais en m'endormant m'avaient été retirées. J'avais surtout l'impression de sentir des mains qui parcouraient voluptueusement ma peau. La sensation d'un contact doux et caressant, délicat et sensuel. Et pourtant ces mains qui caressaient mes seins, qui sillonnaient mes jambes, qui exploraient chaque centimètre de ma chair, ou presque, étaient excessivement froides, glacées même. J'en ressentais un plaisir étrange et délicieux, qui cambrait mon dos et accélérait ma respiration.

A un moment, j'avais nettement perçu un souffle, ou plutôt un halètement près de mon visage. Ce souffle s'était d'abord approché de mes lèvres entrouvertes et je sais que j'avais alors tenté de saisir cette bouche fiévreuse du bout de ma langue. Mais elle s'était éloignée et avait soudainement plongé au creux de mon cou. La très légère douleur que j'avais alors éprouvée n'était rien en comparaison du plaisir violent que m'avait procuré la morsure. Ce baiser étrange avait duré quelques instants, plusieurs minutes peut-être, au cours desquels les mains s'étaient formidablement réchauffées, et avaient intensifié leur course sur mon corps, l'une se calant sous ma taille et l'autre me découvrant de plus en plus intimement, caressant mon sexe avec ardeur, pour laisser exploser ma jouissance dans un gémissement de plaisir.

A mon réveil, mon esprit était encore embrumé par les rêves de cette nuit-là, et en me levant, j'avais constaté que ma culotte était tachée de sang.


Le clavier vampireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant